Comment faire face à la pénurie de médicaments ?

Stéphanie Lavaud

Auteurs et déclarations

15 septembre 2011

Faire face à la pénurie de médicaments, Afssaps, Xavier Bertrand

Les Autorités de santé annoncent des solutions pour faire face à plusieurs problèmes d'approvisionnement en médicaments, sans commune mesure néanmoins avec la situation américaine.
15 septembre 2011

Paris, France - Face à plusieurs épisodes de pénurie en certains médicaments essentiels -le dernier en date étant celui de produits anesthésiques _, le ministère de la Santé vient d'annoncer un certain nombre de mesures [1]. De son côté, l'Afssaps, interpellée par la SFAR (Société Française d'Anesthésie et de Réanimation) en août dernier [2][3], a apporté des réponses concrètes pour chacun des médicaments évoqués par les anesthésistes-réanimateurs et rappelé son implication face à ce qu'elle considère comme une « préoccupation permanente ». |[4].

Le plan d'action du gouvernement

Xavier Bertrand, Ministre du Travail, de l'Emploi et de la Santé a réuni le 7 septembre toutes les parties prenantes de la production et de la distribution de médicaments : les industriels, les grossistes-répartiteurs, le Conseil National de l'Ordre des Pharmaciens, les syndicats de pharmaciens d'officine et hospitaliers, ainsi que les autorités sanitaires, apprend-on dans un communiqué. Objectif : « partager et d'échanger les informations détenues par chacun des acteurs et de confronter les analyses respectives, pour identifier les solutions et mesures correctrices qui sont à apporter au système actuel de distribution des médicaments en France et éviter ainsi toute pénurie » [1].

Jugeant qu'il était « intolérable qu'aujourd'hui certains patients aient des difficultés à suivre leur traitement normalement », le ministre a décidé de mettre en œuvre, sans délai, un plan d'action qui prévoit notamment :

  • L'établissement d'une liste de classes thérapeutiques définies comme sensibles, c'est-à-dire présentant un intérêt majeur et à risque de rupture, avec mise en place d'un suivi national des approvisionnements de ces produits (par exemple, anesthésiques, anticancéreux, antirétroviraux)

  • La mise en place d'un circuit d'information rapide facilitant, d'une part le signalement par les professionnels de santé de toute rupture de stock ou difficultés d'approvisionnement et, d'autre part, le retour d'information vers les prescripteurs et dispensateurs

  • L'instauration d'un plan de gestion des pénuries à la charge des titulaires d'AMM,

  • Ou encore l'anticipation des arrêts de commercialisation, afin de disposer d'une période transitoire suffisante pour la mise en place de mesures alternatives [1].

Aux Etats-Unis, les pénuries de médicaments deviennent très problématiques

Si la France a connu quelques problèmes d'approvisionnement, la situation n'est en rien comparable aux Etats-Unis qui connaissent des épisodes de pénuries depuis longtemps déjà, lesquels se sont aggravés ces derniers temps, notamment en ce qui concerne les médicaments anti-cancéreux. Un état de fait plusieurs fois pointé du doigt par la FDA, l'Association des hôpitaux américains (AHA) ou encore les Pharmaciens de la Société américaine du système de santé, comme l'indique un article du JAMA publié cette semaine [5]. En cause, la non-déclaration par les firmes pharmaceutiques des cessations de commercialisation de leurs produits - elles ont une obligation légale de le faire 6 mois avant, mais ne sont pas sanctionnés le cas échéant_, des pénuries en matières premières, etc. Concrètement, selon la FDA, le nombre de ruptures de stock aurait triplé au cours des 6 dernières années passant de 61 en 2005 à 178 en 2010 (sans compter les vaccins, les anticorps et les médicaments d'origine biologique) précise le JAMA. Loin d'être anecdotiques, ces problèmes d'approvisionnement retentissent sur la qualité des soins des patients. Preuve à l'appui : une étude menée par l'AHA pendant 6 mois a montré qu'en raison de rupture de stock, 62% des hôpitaux ont retardé la mise en place de traitements et 53% n'ont pu fournir le traitement adéquat. De plus, 58% des patients ont reçu des traitements moins efficaces et 32% ont ressenti des effets indésirables. Les pharmacies des hôpitaux ne sont pas épargnées, selon une autre étude, 80 % d'entre elles ont connu des problèmes d'approvisionnement de certains produits. .Parmi les solutions préconisées : constituer des « réserves » dans différentes régions du pays dans lesquelles les hôpitaux pourraient « piocher » en attendant le ré-approvisionnement en médicaments ou encore donner plus de pouvoir à la FDA pour pouvoir exiger des industriels une information en prévision de futures ruptures de stock…


Les réponses concrètes de l'Afssaps

De son côté, , l'Afssaps a reçu le 1er septembre _comme elle s'y était engagée_ des représentants de la SFAR (Société française d'anesthésie et de réanimation) qui avait attiré son attention sur des problèmes d'approvisionnement rencontrées avec certains médicaments couramment utilisés en anesthésie et réanimation [2] [3]. Même si, « il faut s'intéresser aussi à d'autres classes médicamenteuses », considère le Pr Dan Benhamou, chef du service d'anesthésie-réanimation au CHU du Kremlin-Bicêtre, interrogé par Medscape France. « Là, nous nous sommes intéressés, en fer de lance, au problème des médicaments de l'anesthésie mais la question pourrait se poser à court terme pour de nombreuses classes médicamenteuses. Nous avons entendu parler des antirétroviraux pour le SIDA, nous entendons parler des antibiotiques, des antidouleurs. Nous voyons bien que toute la pharmacopée pourrait basculer dans le même scénario ».

Dans le contexte des difficultés récentes, l'Afssaps a proposé à la SFAR à travers la création d'un comité d'interface « de caractériser ses besoins en ce qui concerne les produits d'anesthésie et de réanimation et, ce, au regard de la diversité des situations cliniques rencontrées ».

Très concrètement, en réponse à la pénurie en anesthésiques, l'Afssaps a apporté des réponses pour chacun des produits concernés. Dans le cas duThiopental (Pentothal®), par exemple, une solution temporaire possible passe par « des autorisations d'importation de produits initialement destinés au marché allemand ». Et, pour s'approvisionner sur le long terme, l'Afssaps a engagé « des échanges avec différents opérateurs, afin de les sensibiliser sur la nécessité de santé publique de déposer une demande d'AMM avant fin 2011 auprès de l'Afssaps pour commercialiser de façon régulière et pérenne une spécialité à base de thiopental ».

Des solutions en concertation avec les laboratoires concernés

De façon plus générale, l'Afssaps a fait valoir son positionnement comme intermédiaire entre les professionnels de santé _qui doivent caractériser leurs besoins le plus précisément possible_ et les industriels du médicaments afin que ces derniers puissent y répondre « y compris lorsque ces besoins concernent un nombre restreint de patients ». En cas de problèmes ou de rupture sur l'approvisionnement d'un médicament indispensable, « le contingentement de stocks résiduels disponibles, la mise à disposition de lots initialement destinés à des marchés étrangers, l'importation  de médicaments similaires disponibles au-delà de nos frontières, ou l'augmentation des quantités du ou des médicaments constituant des alternatives thérapeutiques » sont autant de solutions que l'Afssaps peut mettre en .oeuvre au cas par cas.

L'Afssaps a aussi rappelé qu'elle « sensibilise depuis le début des années 2000 les industriels du médicament sur la nécessité d'un approvisionnement continu et l'intérêt d'une information anticipée des situations de rupture de stock ou d'arrêt de commercialisation ». Par ailleurs, en cas de tension ou de rupture sur l'approvisionnement d'un médicament indispensable, elle « recherche des solutions adaptées à chaque cas et à chaque situation » et ce, « en concertation avec le laboratoire concerné ou avec d'autres laboratoires, et auprès d'homologues européens ». Enfin, l'Agence française du médicament « échange en permanence avec les professionnels de santé concernés afin d'identifier les produits ne pouvant être remplacés et déterminer les situations cliniques prioritaires. Elle organise l'information des professionnels de santé et des patients sur ces situations ».

Des considérations économiques

Reste à savoir si ces mesures nationales suffiront et si les industriels joueront le jeu face à une problématique qui s'explique, en partie, par la mondialisation des échanges, notamment de matières premières pharmaceutiques. Les considérations économiques sont elles aussi à prendre en compte, puisque souvent l'arrêt de commercialisation de certains produits tient à leur faible coût et donc au peu de rentabilité pour les firmes. « Les aspects financiers sont majeurs » confirme le Pr Benhamou. « Compte tenu du fait que les médicaments sont fabriqués par des industriels qui ont des stratégies commerciales, il est légitime de considérer qu'ils doivent aussi gagner de l'argent. Toute la difficulté comme dans beaucoup de domaines est de trouver le juste milieu entre un coût raisonnable pour la société et le bénéfice que la société retire par l'emploi de ces médicaments. Il se trouve que pour l'instant ; les industriels ne tirent pas de bénéfice à fabriquer ces médicaments ». Pour autant des solutions existent. Pour le Pr Benhamou : « Une des stratégies assez logique est de revaloriser légèrement le coût de ces médicaments, ce qui pourrait faire basculer un équilibre légèrement négatif, vers un équilibre légèrement positif. Une stratégie de revalorisation du prix des médicaments est tout à fait envisageable par le biais des négociations de prix, des nouvelles AMM, des différents systèmes réglementaires, qui nous permettrait d'éviter l'explosion des prix tout en assurant la disponibilité du produit. Nous sommes dans un jeux subtil et chacun doit s'y retrouver ».

A suivre donc…

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....