Auckland, Nouvelle-Zélande — « La supplémentation calcique, avec ou sans vitamine D, majore modestement le risque cardiovasculaire, en particulier d'infarctus », résume le Pr Mark J. Bolland (Auckland, Nouvelle-Zélande).
Telle est la conclusion d'une ré-analyse de la Womens Health Initiative (WHI) tenant compte de la supplémentation automédiquée, et d'une nouvelle méta-analyse d'études contrôlées sur la supplémentation calcique avec ou sans vitamine D.
Ces nouveaux résultats viennent d'être publiés dans le British Medical Journal [1].
« Une ré-évaluation du rôle de cette supplémentation dans l'ostéoporose est donc justifiée », tonne à nouveau le Pr Bolland. En effet, même si le surrisque est modeste, vu le nombre de femmes supplémentées, l'impact potentiel est important.
Les rhumatologues tendront-ils l'oreille ?
Cette fois ci, les rhumatologues tendront-ils l'oreille ?
Pour les professeurs Bo Abrahamsen (Copenhague, Danemark) et Opinder Sahota (Nottingham, Grande-Bretagne), qui signent un éditorial dans le BMJ, le débat n'est pas clôt [2].
« Nous n'avons pas assez de preuves pour affirmer ou réfuter une augmentation du risque cardiovasculaire sous supplémentation calcique/vitamine D », estiment les deux éditorialistes. « Clairement, d'autres études sont nécessaires. »
De l'Auckland Calcium Study à la ré-analyse de la Womens Health Initiative
Pour mémoire, en 2008, une étude randomisée néo-zélandaise, la Auckland Calcium Study, comparant supplémentation calcique (1g/j) versus placebo chez des femmes âgées en bonne santé, mettait en évidence une augmentation des évènements cardiovasculaires — item secondaire préspécifié — chez les femmes supplémentées [3]. Le résultat était publié en 2008 dans le BMJ par le Pr Bolland.
À la suite de cette publication, une équipe rassemblant les chercheurs néo-zélandais, mais aussi des américains et des écossais, entreprend une méta-analyse d'essais contrôlés, randomisés versus placebo, de supplémentation calcique non associée à de la vitamine D. Et les résultats de cette méta-analyse vont dans le même sens que le travail initial, puisqu'ils mettent en évidence une augmentation de l'ordre de 30 % du risque d'infarctus à 4 ans associé à une supplémentation calcique isolée (sans vitamine D) [4].
Cette fois, c'est un pavé dans la mare, avec à la clé des débats houleux sur le site du BMJ, autour de ces données et de la méthodologie dont elles sont issues. L'an passé, ces débats avaient largement alimentés le Congrès Mondial sur l'Ostéoporose, et heartwire s'en était d'ailleurs fait l'écho. La question soulevée était alors la suivante : même en admettant que la supplémentation calcique isolée soit délétère, quid de la supplémentation calcique associée à une supplémentation en vitamine D, conforme aux recommandations pour la prévention et le traitement de l'ostéoporose ? C'est à cette question que répondent les nouveaux résultats publiés dernièrement dans le BMJ.
L'association avec la vitamine D annule-t-elle l'effet délétère de la supplémentation calcique ?
L'étude WHI, publiée en 2006, n'avait pas mis en évidence de risque cardiovasculaire significatif sur les items cardiovasculaires retenus. S'agissant d'une vaste étude randomisée, contrôlée, de supplémentation vitamino-calcique (vit D 400 UI/j, calcium 1 g/j), menée sur plus de 36 000 femmes durant 7 ans, ce résultat semblait très rassurant. Mais la relecture qu'en propose aujourd'hui le Pr Bolland l'est moins.
Dans l'étude WHI, un nombre important de femmes prenaient déjà, à l'inclusion et hors protocole, des suppléments calciques (54 %) ou vitaminique D (47 %) automédiqués. « L'étude WHI correspond donc à une comparaison de doses (haute dose vs versus dose moyenne) de supplémentation en calcium et vitamine D chez une majorité de participantes », explique le Pr Bolland.
Or l'analyse met en évidence une interaction entre l'usage personnel de suppléments et les évènements cardiaques. De fait, lorsque l'on restreint cette analyse aux 16 700 femmes (46 %) de WHI ne prenant ni calcium ni vitamine D hors protocole, le signal est significatif : le RR d'évènements cardiovasculaires dans le bras calcium/vitamine D oscille entre 1,13 et 1,22 suivant le type d'évènement (RR = 1,22 pour les IDM ; p = 0,05 et RR = 1,16 pour les IDM et revascularisations ; p = 0,04.). En revanche, dans le sous-groupe de femmes qui s'auto-supplémentent rien ne sort, par manque de puissance discriminante.
Une méta-analyse de huit/neuf essais contrôlés avec ou sans vitamine D
Forts de cette ré-analyse de la WHI, les auteurs ont repris leur première méta-analyse pour y ajouter les essais de supplémentation vitamino-calcique. Cette seconde mouture porte au total sur huit essais contrôlés de supplémentation calcique avec ou sans vitamine D, à quoi s'ajoute le sous-groupe des femmes non supplémentées hors protocole de la WHI. On note d'ailleurs que ce sous-groupe pèse lourd dans cette seconde méta-analyse, puisque sur un effectif total de 30 000 femmes, plus de la moitié (16 700) proviennent de la WHI.
La méta-analyse des 3 essais calcium/vitamine D vs placebo portant sur 20 000 femmes, met en évidence une augmentation du risque d'évènements : IDM : RR = 1,21; p = 0,04 - AVC : RR = 1,20 ; p = 0,05 - IDM+AVC : RR = 1,16 ; p = 0,02).
La méta-analyse des essais calcium avec ou sans vitamine D vs placebo retrouve aussi un surrisque. Sur les données d'études rassemblant 28 000 femmes, le RR d'IDM est de 1,24 (p = 0,004). Le RR d'AVC est de 1,16, mais reste non significatif (p = 0,06). Enfin, le RR d'infarctus ou d'AVC est de 1,15 (p = 0,009), avec un RR de décès non significatif (RR = 1,04, 0,95-1,13).
Méta-analyse : RR associés à la supplémentation calcique avec ou sans vitamine D RR |
p |
|
IDM |
1,24 (1,07-1,45) |
0,004 |
AVC |
1,15 (1,00-1,32) |
0,06 |
IDM ou AVC |
1,15 (1,03-1,27) |
0,009 |
Enfin, l'analyse des données individuelles de 25 000 femmes participant à six études (5 études plus le sous-groupe non automédiqué de WHI), met en évidence un surrisque d'IDM (RR = 1,26 ; p = 0,005) et d'AVC (RR = 1,19; p = 0,03).
Sur la base de ces données, les auteurs estiment que « le traitement par calcium ou calcium/vitamine D de 1000 sujets durant 5 ans, est responsable de 6 IDM ou AVC, quand il prévient 3 fractures ».
Limites de l'analyse post-hoc et implications cliniques
Pour cohérents qu'ils soient entre eux, ces résultats doivent être considérés avec prudence. Comme l'expliquent les éditorialistes, « la randomisation initiale des femmes incluse dans la WHI ne tenait pas compte de leurs apports hors protocole en calcium/vitamine D ». Or, « rien ne dit qu'au sein du sous-groupe retenu par Bolland [16 700 femmes ne se traitant pas hors protocole] pour la ré-analyse post-hoc de la WHI, les facteurs confondants sont bien équilibrés dans les deux bras supplémentation calcium/vitamine D, et placebo.
Et les éditorialistes de souligner qu'un tel déséquilibre entre bras calcium/vitamine D et bras placebo au sein du sous-groupe ne se traitant pas hors protocole, pourrait expliquer un autre résultat, plutôt surprenant.
Ainsi, chez les femmes qui ne s'auto-supplémentent pas, on observe un excès de 16 % d'IDM dans le bras calcium/vitamine D, par rapport aux patientes sous placebo (écart de mortalité = NS). En revanche, chez les femmes qui s'auto-supplémentent hors protocole, on observe un excès de mortalité de 16 % dans le bras placebo cette fois, par rapport au bras calcium/vitamine D…
À cela s'ajoutent « les données rassurantes » dont on dispose aujourd'hui « sur l'usage de la supplémentation vitamino-calcique associée au traitement par les bisphoshonates dans l'ostéoporose, tant en terme de sécurité cardiovasculaire que d'amélioration de la survie ».
Ainsi, une cohorte rétrospective finlandaise de plus de 23 000 patientes traitées après une fracture de hanche par calcium/vitamine D ou vitamine D associés à divers médicaments anti-ostéoporoses récemment publiée met en évidence une réduction de 28 % des décès chez les hommes et de 38 % chez les femmes [5].
« Vu le design et l'adjudication des événements cardiovasculaires dans ces études, on ne peut ni réfuter ni affirmer le risque », concluent les deux éditorialistes. « Des études complémentaires sont donc nécessaires. »
Actualités Heartwire © 2011
Citer cet article: Supplémentation calcique et risque d'IDM : le débat relancé par de nouveaux résultats - Medscape - 16 mai 2011.
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