Les accidents cardiaques aggravent les troubles ventilatoires du sommeil

Muriel Gevrey

3 mai 2011

Boston, États-Unis — Des études prospectives ont bien documenté la relation entre les apnées du sommeil et le risque augmenté de maladies cardiovasculaires. Mais la relation inverse semble également vérifiée. Le travail de l'équipe de Hassan A. Chami (Boston University School of Medicine), publié dans Circulation, montre en effet pour la première fois une relation entre les évènements cardiaques et l'aggravation ou la survenue de troubles respiratoires durant le sommeil [1].

La présence d'apnées obstructives au cours du sommeil (SAS) entraîne une stimulation du système sympathique qui se prolonge au cours de la journée, avec comme conséquence une insulinorésistance, une dysfonction endothéliale, une augmentation de l'activation et de l'agrégation plaquettaire, et une augmentation de la pression artérielle. D'où le lien entre SAS et augmentation du risque cardiovasculaire, bien décrit dans plusieurs études au cours des dernières années.

 
Il est tentant de voir dans la pathologie cardiaque un facteur causal ou aggravant des problèmes pulmonaires durant le sommeil.
 

On sait par ailleurs que l'instabilité du contrôle ventilatoire pourrait contribuer à l'apparition des troubles respiratoires durant le sommeil. Or, la dysfonction cardiaque est associée à une instabilité ventilatoire à travers le chémoréflexe sensible à la concentration en CO2 et la stimulation des récepteurs pulmonaires, ce qui concourt à la congestion pulmonaire. Il est donc tentant de voir dans la pathologie cardiaque un facteur causal ou aggravant des problèmes pulmonaires durant le sommeil. C'est l'hypothèse qu'a testée l'équipe américaine, en s'appuyant sur une grande cohorte.

La survenue d'évènements cardiaques est associée à la progression des apnées

L'étude a inclus 2721 participants de la Sleep Heart Health Study, âgés en moyenne de 62 ans. Cette population était majoritairement féminine (57 %) et initialement indemne d'antécédent cardiovasculaire.

Les patients ont bénéficié de deux enregistrements polysomnographiques à 5 ans d'intervalle. Les évènements cardiovasculaires incluant infarctus du myocarde, insuffisance cardiaque congestive et accident vasculaire cérébral, ont été colligés et adjudiqués de manière indépendante. L'évolution de l'association entre les nouveaux évènements cardiovasculaires et l'index d'apnée-hypopnée a été analysée par régression logistique avec un ajustement sur l'âge, le sexe, l'ethnie, le centre d'investigation, les antécédents de diabète, la variation de l'index de masse corporelle et les caractéristiques du sommeil.

Par rapport aux participants n'ayant développé aucun accident cardiaque, les patients ayant souffert d'un événement CV ont vu une progression significative de leur index d'apnée-hypopnée entre les deux enregistrements de sommeil. La différence entre les deux populations (ayant souffert ou non d'un accident cardiaque) était de 2,75 évènements par heure (0,26 à 5,24 ; p = 0,032). Cette association persiste en excluant les patients souffrant d'apnée centrale.

Les épisodes d'apnée obstructive augmentent de 1,74 par heure, et l'apnée centrale de 1,07 chez les patients ayant présenté un premier accident cardiovasculaire durant la période de suivi. C'est surtout l'infarctus qui augmente le risque ventilatoire, alors que l'ICC est moins probante. La variation de l'index est de 3,59 en cas d'IDM (p = 0,02) contre 1,80 en cas d'IC incidente sur le modèle ajusté.

Maladie cardiovasculaire incidente et variation de l'index apnée-hypopnée (IAH) selon un modèle ajusté sur neuf variables

Variation moyenne IAH
Intervalle de confiance
p
Pas de MCV incidente
2,69
2,24-3,24
-
MCV incidente
5,40
2,97-7,83
-
Différence
2,75
0,26-5,24
0,032

Des nuances…

Les auteurs soulignent que, sans remettre en cause leurs résultats, deux nuances doivent être gardées à l'esprit dans l'interprétation.

Premièrement, les résultats sur l'index d'apnée-hypopnée tendent à démontrer que la maladie cardiovasculaire est davantage un facteur aggravant de troubles ventilatoires existants, qu'un facteur déclenchant l'apparition de troubles de novo.

 
Il semble que dans le tandem évènements cardiovasculaires-troubles du sommeil, chacun des termes puisse être à la fois cause et effet, l'obésité se présente comme un troisième paramètre, dont le rôle causal … mériterait d'être précisé.
 

Deuxièmement, s'il semble que dans le tandem évènements cardiovasculaires-troubles du sommeil, chacun des termes puisse être à la fois cause et effet, l'obésité se présente comme un troisième paramètre, dont le rôle causal vis-à-vis des deux précédents mériterait d'être précisé. Dans l'étude, l'obésité se présente en effet comme un facteur confondant, puisque les évènements cardiovasculaires sont associés à une augmentation de l'index d'apnée-hypopnée chez les patients ayant un IMC inférieur à 25, alors qu'ils sont neutres chez les patients déjà en surpoids (IMC supérieur à 25).

… et des limites

Les auteurs indiquent par ailleurs plusieurs limites de ce travail. Ainsi, l'enregistrement polysomnographique de contrôle n'a été effectué que chez 57% des patients, ce qui peut introduire un biais dans l'interprétation des données. D'autant que les patients chez lesquels cet enregistrement n'a pas été effectué étaient à la fois plus âgés, et davantage sujets à des accidents cardiovasculaires aigus (15,5 % contre 9,4 %). Ils n'étaient cependant pas différents en terme de prévalence d'apnée, de sex-ratio, de corpulence ou de diabète.

Des difficultés techniques ont par ailleurs empêché le calcul des paramètres chez certains sujets. Enfin, la variabilité de l'index d'apnée-hypopnée pourrait gonfler artificiellement la différence entre les deux enregistrements polysomnographiques.

Les auteurs estiment toutefois que ces limites sont contrebalancées par le large effectif de la cohorte, la diversité de la population étudiée, la qualité du protocole de mesure et l'adjudication indépendante des évènements. Ils concluent donc que les accidents cardiovasculaires incidents sont associés à une aggravation des troubles ventilatoires du sommeil après ajustement sur les facteurs de risque d'apnée obstructive, et qualifient l'association entre évènements cardiovasculaires et troubles du sommeil de « causale » et de « bidirectionnelle ».

Dans un éditorial associé à la publication, S. F. Paul Man et Don D. Sin (Université de Colombie Britannique, Vancouver) évoquent la possibilité d'un cercle vicieux entre problèmes cardiaques et apnée du sommeil dans une relation d'aggravation réciproque [2].

Ils soulignent aussi la difficulté de diagnostic d'apnée du sommeil chez un cardiaque tant les symptomatologies cardiaque et respiratoire ont tendance à se superposer. La fatigue et la somnolence diurne sont peu spécifiques, et elles sont communes aux deux pathologies. Pour autant, un dépistage systématique n'est pas envisagé : il semble en effet peu réaliste de l'envisager pour l'ensemble des IDM. L'hypothèse doit néanmoins être évoquée devant une somnolence excessive ou des symptômes évocateurs d'apnée du sommeil

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