Les statines peuvent améliorer la fonction hépatique en cas de stéatose

Aude Lecrubier

4 janvier 2011

Thessalonique, Grèce — Selon les résultats d'une analyse post-hoc de l'étude GREACE (Greek Atorvastatin and Coronary Heart Disease Evaluation) publiée dans le Lancet [1], l'utilisation à long terme des statines n'augmente pas le risque d'affection hépatique chez les patients présentant un bilan hépatique anormal et pourrait même améliorer la fonction hépatique. De plus, il semblerait que les statines confèrent une protection cardiovasculaire supérieure aux patients ayant un bilan hépatique perturbé au départ.

« Bien qu'elle soit rétrospective, cette publication est fondamentale. Que le foie gras métabolique soit amélioré par la prescription d'une statine et que cela augmente le bénéfice cardiovasculaire est une démonstration majeure », commente pour heartwire le Pr Jean-François Cadranel, chef du Service d'Hépato-Gastro-Entérologie et Nutrition, au centre hospitalier de Creil.

 
Que le foie gras métabolique soit amélioré par la prescription d'une statine et que cela augmente le bénéfice CV est une démonstration majeure — Pr Cadranel (Creil)
 

GREACE était un essai prospectif randomisé ouvert comparant, chez des coronariens de moins de 75 ans, l'atorvastatine à une posologie croissante pour obtenir un taux de LDL-cholestérol inférieur à 2,6 mmol/L et un traitement standard. Parmi les 1600 patients inclus, 437 présentaient une affection hépatique de type stéatose hépatique sans cirrhose (taux d'ALAT élevés mais inférieurs à trois fois la valeur normale à l'inclusion). Les statines ont été données à 227 patients, alors que les autres (groupe témoin, n = 210) recevaient un traitement standard.

Une évolution hépatique plus favorable sous statine

Après trois ans de suivi, sur les 437 patients qui avaient un bilan hépatique perturbé à l'entrée dans l'étude, les 227 patients traités par statines (principalement l'atorvastatine 24 mg/j) ont vu leurs tests hépatiques améliorés (baisse moyenne des ALAT de 35 %, p < 0,0001) alors que les 210 patients non traités par une statine ont vu leurs concentrations d'enzymes hépatiques continuer à augmenter (+12 %).

 
Il est maintenant clairement prouvé qu'il est possible et même parfois intéressant de prescrire une statine à quelqu'un qui a une stéatopathie métabolique, même si le bilan hépatique de départ n'est pas normal — Pr Cadranel
 

« Ces résultats ne me surprennent pas. Chez les patients qui ont une hépatite C, par exemple, des publications ont montré que l'administration d'une statine n'augmenterait pas le risque d'événements hépatiques problématiques et parallèlement, une revue de la littérature un peu sérieuse sur la toxicité hépatique des statines, montre qu'à part quelques cas assez bien documentés d'hépatites, en général peu graves, l'élévation des transaminases est un effet de classe qui n'a aucune gravité. L'augmentation des transaminases n'est pas liée à la statine mais le plus souvent au fait que les malades ont une stéatopathie métabolique. Il est maintenant clairement prouvé qu'il est possible et même parfois intéressant de prescrire une statine à quelqu'un qui a une stéatopathie métabolique, même si le bilan hépatique de départ n'est pas normal », souligne Jean-François Cadranel.

Changements observés chez les patients avec fonctions hépatiques anormales


Patients sous statines
Patients ne recevant pas de statine
Inclusion
(n=227)
Fin étude
(n=227)
Différence (%)
p
Inclusion
(n=210)
Fin étude
(n=210)
Différence (%)
p
Cholestérol total (mmol/L)
6,36 (0,70)
4,16 (0,21)
-35%
<0,0001
6,41 (0,75)
6,21 (0,83)
-3%
0,8
LDL cholestérol
(mmol/L)
4,37 (0,47)
2,46 (0,16)
-44%
<0,0001
4,45 (0,72)
4,24 (0,83)
-5%
0,8
HDL cholestérol
(mmol/L)
0,96
(0,18)
1,03 (0,18)
8%
0,02
0,98
(0,26)
0,96 (0,23)
3%
0,9
TG
2,20
(0,63)
1,49 (0,26)
-32%
<0,0001
2,13
(0,58)
1,98 (0,62)
-7%
0,8
ALAT
57 (8)
37 (6)
-35%
<0,0001
56 (9)
63 (7)
12%
0,003
ASAT
49 (7)
26 (4)
-47%
<0,0001
49 (7)
55 (8)
12%
0,01
GGT
70 (10)
38( 6)
-46%
<0,0001
68 (10)
79 (12)
16%
0,001
TFG
59 (17)
70 (10)
19%
<0,0001
68 (19)
64 (18)
-6%
0,8
Evènements CV
22 (9,7%)
63 (30%)
Evénements CV pour 1000 patient-années
3,2
10

Plus de bénéfices cardiovasculaires en cas de bilan hépatique initial anormal

Dans le groupe des patients qui avaient un bilan hépatique perturbé à l'inclusion, des événements cardiovasculaires sont survenus chez 22 (9,7 %) des 227 patients qui recevaient une statine et chez 63 (30 %) des 210 patients qui n'en recevaient pas (p < 0,0001).

Le bénéfice cardiovasculaire était supérieur (réduction de 68 % du risque relatif, p = 0,0074) à celui des patients avec des tests hépatiques normaux. Chez ces derniers, 90 [14 %] événements ont été observés chez les 653 patients recevant une statine versus 117 [23 %] chez les 510 patients ne recevant pas de statine (réduction de 39 % du risque relatif, p < 0,0001).

Au total, 7 (<1 %) des 880 participants qui ont reçu une statine ont arrêté le traitement en raison d'une hépatotoxicité (taux d'ALAT élevés mais inférieurs à trois fois la valeur normale).

« Les malades qui ont des transaminases augmentées, ont une stéatose. Or, il a été montré que la stéatose est un facteur de risque cardiovasculaire indépendant supplémentaire. Si vous corrigez la stéatose, il n'est pas surprenant d'observer un bénéfice cardiovasculaire », explique Jean-François Cadranel.

Un changement de pratique ?

En dépit de l'absence de dangerosité des statines sur le foie, une enquête réalisée aux États-Unis et mentionnée dans l'éditorial accompagnant l'article du Lancet[4]], montre que 50 % des médecins ne prescriraient pas une statine à un patient ayant une élévation des ALAT supérieures à 1,5 fois la normale. En outre, plus de 40 % d'entre eux ne prescriraient pas de statine à des patients atteints d'hépatite C [5].

« Il faut modifier les habitudes de prescription dans ce domaine. Il est clair aujourd'hui qu'il ne faut pas avoir peur de donner une statine, a fortiori si le malade a un foie gras métabolique. C'est fondamental », explique Jean-François Cadranel.

« Cela fait trop longtemps qu'une élévation des ALAT après l'instauration d'un traitement par statine est considérée comme une affection hépatique. Cela fait trop longtemps que les patients souffrant de maladies hépatiques se voient refuser les statines pour traiter leur hypercholestérolémie » insiste l'éditorialiste du Lancet, Ted Bader (University of Oklahoma Health Sciences Center, É.-U.).  

Pour l'éditorialiste, des études complémentaires sont nécessaires pour savoir s'il serait intéressant de traiter par statines des patients hypercholestérolémiques ayant des élévations des ALAT supérieures à 3 fois la normale, ce qui est aujourd'hui contre indiqué.

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