Paris, France — Pas un jour, depuis un mois, sans entendre parler du benfluorex (Médiator, Servier) dans les médias grand public. Du côté des professionnels, en revanche, les informations ne sont pas légion. Les médecins, en première ligne dans cette problématique de pharmacovigilance, ne devraient-ils pas se réapproprier l'information ?
Un point de vue partagé par le Pr Geneviève Derumeaux, présidente de la Société Française de Cardiologie, qui a accepté de répondre aux questions de heartwire sur le sujet.
Garder la tête froide

Pr Derumeaux
Nous ne sommes pas inactifs, loin de là » explique le Pr Derumeaux (hôpital Pradel, Lyon). « Mais plutôt que de participer à l'emballement médiatique, nous faisons un travail de fond pour donner les bons messages aux médecins, cardiologues et généralistes et pour organiser une large étude de suivi. Des experts ont été mandatés auprès du Ministère et de l'Afssaps.
Le chiffre projeté de 500 morts par l'enquête de la CNAM a affolé la population. Nous voyons des patients en consultation qui ont l'impression qu'ils vont mourir. Il est difficile de revenir sur cette information en leur expliquant qu'il s'agit d'un calcul statistique.
Concernant l'information des cardiologues, la présidente rappelle que « la SFC a immédiatement relayé l'information du retrait du Médiator par l'Afssaps, sur son site Internet en novembre 2009. En reprenant le communiqué de l'Afssaps, nous avons informé de l'imputabilité de certaines lésions valvulaires à la prise de benfluorex et à la nécessité, le cas échéant, de procéder à des explorations. Au même moment, nous avons ouvert un registre de surveillance, piloté par le Pr Christophe Tribouilloy, responsable de la Filiale d'Échographie de la SFC, pour colliger les cas suspects rencontrés par les cardiologues. »
Ce registre et les liens Internet pour y participer sont constamment restés actifs. »
Note : le Pr Derumeaux fait remarquer que toutes les sociétés savantes médicales ont reçu le communiqué de l'Afssaps au moment du retrait.
Extrait du communiqué de l'Afssaps du 25 novembre 2009 |
« Il est recommandé, après l'arrêt du benfluorex de rechercher d'éventuels signes ou symptômes évoquant une atteinte valvulaire, et si nécessaire de demander des examens complémentaires, voire une consultation spécialisée. » « Si votre patient a été traité par benfluorex dans le passé, une consultation médicale systématique visant spécifiquement à dépister une valvulopathie n'est pas justifiée. Par mesure de précaution, il est recommandé de procéder à un interrogatoire et un examen clinique à la recherche de symptômes ou de signes évocateurs d'une valvulopathie, et si nécessaire de demander des examens complémentaires, voire une consultation spécialisée. » |
« Nous avons réactivé ces informations sur la page d'accueil du site www-cardio-sfc.org, dès l'annonce des résultats de l'enquête de l'Assurance Maladie le mois dernier et rappelé aux cardiologues la possibilité de participer à une étude multicentrique pilotée par la Filiale d'Échographie de la Société Française de Cardiologie. »
Imputabilité : rappel du niveau de preuve
« Au moment du retrait du produit, les données dont nous disposions pour prouver l'imputabilité du benfluorex — et qui ont conduit à la décision de l'Afssaps — étaient de trois ordres » rappelle le Pr Derumeaux qui précise « qu'elle s'en tient au factuel », seule façon d'avancer sur ce sujet car « à ce stade, on n'en est pas à discuter de l'imputabilité du produit mais à optimiser la surveillance ».
Au moment du retrait, donc, nous disposions :
De cas erratiques, publiés dans la littérature, indiquant la toxicité potentielle du benfluorex dans la survenue de valvulopathie, dont un cas espagnol avec double atteinte valvulaire. Quelques cas avaient été rapportés par la pharmacovigilance, dont un en 1999 par un cardiologue de Marseille, mais l'imputabilité, non évidente, n'avait pas été retenue.
De l'étude du CHU de Brest pilotée par Irène Frachon qui conduisait à projeter un risque relatif de valvulopathie en cas de prise antérieure de Médiator. Il s'agissait d'un registre de patients porteurs de valvulopathies mitrales sévères adressés à la chirurgie, à partir desquels était menée une enquête rétrospective sur la prise de Médiator.
« On peut discuter, dans ce travail, du calcul du risque relatif de valvulopathie lié au benfluorex pour des raisons méthodologiques, mais c'est un élément d'alerte important. »
De l'étude REGULATE qui a participé à la décision du retrait, menée par le laboratoire Servier.
C'est une étude que je connais bien car j'ai piloté sa partie échographie. REGULATE comparait dans une population de diabétiques indemne de valvulopathie, l'effet d'un traitement par benflurorex à celui d'un traitement par pioglitazone, en complément d'une monothérapie par sulfamide. L'intérêt de ce travail, qui comprenait une échographie cardiaque avant l'entrée et à la sortie de l'essai, est qu'il permet d'évaluer l'impact d'une période d'exposition au produit de un an. »
Caractéristique d'une fuite triviale |
Les fuites sont détectées et quantifiées par la surface du jet couleur en échographie doppler. On mesure l'importance du signal de façon semi-quantitative suivant l'extension et la surface du jet couleur. Les fuites triviales, inaudibles à l'auscultation, ne font pas l'objet d'un référencement échographique puisque qu'elles échappent à la classification en grade 1 à 3. De fait, elles ne sont généralement pas signalées par le cardiologue. |
« L'étude REGULATE a apporté deux informations importantes. La première est que l'examen attentif des valves, dans une population de diabétiques sélectionnés pour l'absence de maladie valvulaire significative, retrouve des anomalies valvulaires minimes dans 51% des cas (avant toute exposition au traitement par benfluorex). Ces fuites asymptomatiques, étiquetées triviales, ne sont généralement pas rapportées dans les compte rendus d'échographie.
La deuxième chose est que, sur cette population de plus de 300 patients diabétiques, une incidence accrue de fuites, considérées comme triviales dans le groupe exposé, est apparue : 40 fuites aortiques supplémentaires, RR de 2,4. Une différence significative après un an maximum d'exposition était un autre signal fort. On a été surpris car avec deux groupes homogènes soumis à des facteurs prédisposant aux valvulopathies comme le tabagisme ou l'hypertension, ce n'est que dans le groupe benfluorex que l'émergence de fuites est apparue.
Ces trois éléments objectifs ont conduit au retrait du benfluorex parallèlement à l'enquête de la CNAM.
Comment expliquer le retard ? Pourquoi seulement 61 cas déclarés ?
On peut se demander pourquoi la dangerosité de ce produit « surgit » un an après son retrait, jugé déjà tardif comparativement à d'autres pays.
« Pour qu'une fuite arrive chez le cardiologue il faut qu'elle devienne symptomatique et pour que le cardiologue fasse le lien entre cette fuite et le produit, il y a des éléments pas toujours évidents. Quand on a exclu de façon très nette les éléments classiques, comme les dystrophies, les causes dégénératives et les causes rhumatismales, on se pose des questions mais l'information n'est pas toujours si évidente. Évoquer l'exposition au Médiator est un diagnostic d'exclusion. »
À ce jour, 61 cas ont été rapportés à la pharmacovigilance, dont les cas du CHU brestois, et ces cas n'ont pas encore été requalifiés. Pourquoi un tel décalage avec les projections de l'Assurance Maladie qui font état de 500 morts ?
« Le constat que si peu de cas aient été rapportés traduit probablement le fait que l'alerte individuelle des cardiologues n'a pas été suffisante. Et les patients eux-mêmes, ont probablement masqué un peu le traitement. C'était un médicament banalisé, pris parfois à l'insu du médecin chez des femmes en surcharge pondérale, en remplacement des coupe-faims. Au moment du retrait du produit l'an dernier, j'ai moi-même constaté, en faisant une recherche sur Internet, qu'il y avait un marché parallèle visant à se procurer ce médicament. »
Qui sont les patients concernés ?
« On peut supposer que les effets d'une exposition datant de plus de 10 ans auraient déjà dû parler. Raison pour laquelle, il est raisonnable de convoquer les patients qui ont pris du Médiator dans la tranche 2006-2009.
L'enquête de la CNAM a apporté une information importante qui est la dose seuil de 41 g d'exposition. Cela correspond, en tenant compte de l'observance, à environ 3 mois de prise.
D'où le courrier adressé aux patients et aux médecins par l'Afssaps, précisant que seules les personnes ayant pris au moins 3 mois le produit après 2006 sont concernées. »
Quelle surveillance ?
« Le bureau de la SFC a travaillé ces dernières semaines à la rédaction d'une lettre à l'intention des cardiologues et des médecins généralistes ainsi qu'à la constitution d'une grande enquête nationale. Nous voulons repositionner les choses et passer des messages clairs aux médecins. Les généralistes face à des patients inquiets ou vindicatifs ne doivent pas hésiter à les adresser aux cardiologues, nos portes sont ouvertes.
Aujourd'hui, il est peu probable qu'il reste des médecins ignorant le lien entre benfluorex et valvulopathies.
En ce qui concerne les cardiologues, il est important qu'ils identifient l'existence d'une valvulopathie en faisant soigneusement l'échographie (qu'il ne faut pas oublier d'enregistrer), et qu'ils évoquent un lien potentiel avec la prise de benfluorex. En cas de doute, nous les incitons fortement à inclure leur patient dans notre registre et à faire une déclaration à la pharmacovigilance (de l'hôpital, de l'Afssaps ou du laboratoire), c'est d'ailleurs une obligation médico-légale.
Notre message, à l'intention des généralistes, est avant tout un rappel de la sémiologie. Nous leur conseillons de faire le même historique et de s'appuyer sur des éléments factuels. Nous leur rappelons les règles de la consultation, ce qu'il faut rechercher à l'interrogatoire, à l'auscultation, ce qu'apporte l'échographie cardiaque et comment expliquer les résultats de l'échographie au patient.
En l'absence d'anomalie échographique ou en cas de fuite triviale, ces patients seront à revoir l'année suivante pour être rassurés. Dès lors qu'il existe une fuite valvulaire significative, on rejoint alors les modalités de surveillance signalées dans les recommandations.
En revanche, il ne faudrait pas que l'exposition au benfluorex occulte d'autres facteurs de risque tel l'exposition à d'autres toxiques. Il est probable que la prise de Médiator à des fins de régimes amaigrissant a dû parfois faire suite à la prise d'autres produits amaigrissant de type coupe-faim amphétaminique. C'est quelque chose à ne pas négliger et à rechercher également systématiquement à l'interrogatoire. »
Caractéristiques des fuites dues au Médiator |
« Quand l'aspect valvulaire est pur, il donne des signes de restriction de la cinétique valvulaire avec des valves modérément épaissies, rigides et sans calcification, ni fusion commissurale comme dans les valves rhumatismales. Les fuites apparaissent du fait de cette restriction. L'atteinte valvulaire est liée à la stimulation du récepteur sérotoninergique 5 HT 2b, présent sur les valves qui induit un effet prolifératif conduisant à l'épaississement. Toutes les valves peuvent être concernées. L'étude d'Irène Frachon s'est focalisée sur les fuites mitrales et dans REGULATE, nous avons surtout observé des fuites aortiques. La fuite aortique est la première à apparaître chez l'animal exposé (rat). À ce jour, des atteintes bivalvulaires sous benfluorex ont été décrites. » |
Quid du risque d'HTAP ?
« Des signes d'hypertension artérielle pulmonaire par mesure des niveaux de pression systolique dans l'artère pulmonaire, seront systématiquement recherchés par les cardiologues. Cela fait partie de l'examen échographique.
L'HTAP ne donne pas de symptômes spécifiques. Il faut savoir la rechercher à partir du flux d'insuffisance tricuspide qui est présent chez 70 % des patients (de façon physiologique !).
Dans REGULATE, on n'a eu aucun cas d'HTAP. Cependant, l'équipe de Béclère avait rapporté 5 cas d'HTAP sous benfluorex, ce qui justifie donc le dépistage systématique lors de consultations échographiques dans la population exposée. »
Quel devenir à l'arrêt de l'exposition ? |
« Nous n'avons pas encore les données de suivi, c'est précisément le travail sur lequel nous nous sommes focalisés ces dernières semaines afin de mettre en place une grande enquête nationale. Les données expérimentales chez l'animal avec la fenfluramine (Pondéral) montrent qu'à l'arrêt de la prise, les atteintes valvulaires se stabilisent et régressent avec le temps. Une étude de suivi chez les patients traités par dexfenfluramine avait montré l'absence de progression et de cas émergents un an après l'arrêt de l'exposition au produit et voire même une régression des fuites dans certains cas. La projection est d'autant plus difficile à faire qu'il existe des facteurs de risque environnementaux de valvulopathies. Ainsi, dans une grande étude de suivi, présentée récemment au congrès de l'AHA 2010, on voit que leur histoire naturelle peut varier. Dans ce travail de cohorte (hors effet toxique), mené dans une population de plus de 6600 patients porteurs d'une insuffisance aortique (IA) et appariés avec des patients indemnes d'IA, on constate, à l'issue de 14 ans de suivi que :
Par ailleurs, l'incidence de l'insuffisance cardiaque était de 31 % dans le groupe avec IA et de 22 % dans le groupe sans IA. |
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Citer cet article: Médiator : les messages de la SFC à la population des cardiologues - Medscape - 13 déc 2010.
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