Médiator : l'Afssaps face à un nouveau scandale sanitaire ?

Pascale Solère

16 novembre 2010

Saint-Denis, France -- Le Médiator (benfluorex, Laboratoires Servier) aurait causé à minima 500 décès et 3500 hospitalisations pour valvulopathies en France depuis 1979. Telle est l'extrapolation issue de la deuxième enquête menée par l'Assurance Maladie présentée ce lundi 15 novembre en réunion extraordinaire de pharmacovigilance à l'Afssaps.

Une réunion suivie de la diffusion d'un avis de sécurité mis en ligne mardi par l'agence (www.afssaps.fr) qui fait aujourd'hui grand bruit dans tous les médias dans une ambiance de scandale sanitaire.

Pour mémoire, c'est en effet après la parution dans le journal Le Monde, fin août 2010, des conclusions d'une thèse de pharmacie [1] estimant que le « Médiator pourrait avoir entraîné ces dernières années entre 150 et 250 hospitalisations/an en France et une trentaine de décès, soit 500 à 1000 morts en 30 ans de commercialisation » que l'enquête complémentaire publiée aujourd'hui a été initiée à la demande de l'Agence. Or, même si l'estimation exacte de l'ensemble des décès secondaires aux valvulopathies attribuables à la prise de benfluorex depuis sa mise sur le marché reste difficile, les données médicales CNAM n'étant pas conservées plus de 3 ans, force est de reconnaître que ses résultats confortent ces premières estimations.

« Pour une exposition totale de 7 millions de personnes-années entre 1979 et 2009, les experts estiment à près de 500 le nombre de décès attribuables au benfluorex » souligne l'Afssaps dans son résumé publié en ligne [2].

Une enquête portant sur 48 millions d'assurés entre 2006 et 2009

L'analyse épidémiologique présentée lundi à l'Afssaps porte sur les 48 millions d'assurés du régime général.[3] [4] Parmi eux, 303 000 patients exposés au benfluorex (au moins un remboursement) en 2006 ont été identifiés. Le suivi est de 4 ans en terme d'hospitalisations pour insuffisance valvulaire ou polyvalvulopathie, et de 4,5 ans pour les décès.

« Sur cette période de suivi, parmi ces 303 000 patients (73 % de femmes, âge moyen : 53 ans), 597 patients ont été hospitalisés pour valvulopathie, 50 % ont eu une chirurgie valvulaire et 64 sont décédés dont 33 après chirurgie. Et l'analyse de la cause la plus probable de décès met en évidence 46 décès imputables à une valvulopathie » résume l'Afssaps. [2]

Une majorité d'atteintes mitrales et aortiques

«Sur les 556 sujets hospitalisés (au moins une fois) pour valvulopathie cardiaque par régurgitation en 2006-2009 ; soit 184 pour 100 000 (46 pour 100 000 personnes-anneìes), pour 303 patients (54 %) l'hospitalisation eìtait motiveìe par une insuffisance de la valvule mitrale, chez 270 patients (48 %), par une insuffisance aortique et pour 77 patients (18 %) par une insuffisance tricuspidienne. Et il faut leur ajouter les 41 autres patients hospitalisés pour atteinte plurivalvulaire » précisent les auteurs de l'étude.[3] [4]

Un patient sur deux opéré

« Au total, sur les 597 personnes hospitalisées pour valvulopathie/multivalvulopathie, 50 % (298 patients) ont eu un remplacement valvulaire et on a observé 33 décès post-chirurgie : 5 décès/ 93 remplacements aortiques isolés (5,4 %) ; 7 décès / 72 remplacements mitraux ou tricuspidiens isolés (9,7 %) et 21 décès/133 remplacements bi- ou trivalvulaire (15,8 %) ».[3] [4]

Hypertension pulmonaire et décès

« L'étude apporte aussi des informations sur les HTAP et décès. Mais l'interprétation des données nécessite des informations complémentaires en particulier pour distinguer HTAP primaire et secondaire (pas si évidente à partir du codage) », ajoute prudemment l'Afssaps en bas de page (NB) dans son communiqué.

De fait, l'étude montre que « sur les 303 336 personnes exposées au benfluorex en 2006, 99 ont été hospitalisées avec un diagnostic principal (ou associé) d'hypertension artérielle pulmonaire ». Et la prise en compte de l'hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) pourrait augmenter le nombre de décès observés » soulignent les auteurs de l'étude. D'autant que « dans les 58 cas de valvulopathies avec décès, il existait une HTAP associée », explicite le rapport.

Effet dose/temps d'exposition et délai d'apparition des complications

L'exposition pèse sur la toxicité. « Les quantités de benfluorex délivrées chez les non-malades sont inférieures sur les trois paramètres analysés à celles délivrées aux personnes ayant contracté une complication ». [3] [4]

Quanté de benfluorex délivrée et complication (valvulopathie ou HTAP)

  Exposés au benfluorex, non malades
(n = 302 646)
Exposés au benfluorex, malades
vivants : 605
Exposés au benfluorex, décédés : 85
% consommateur début 2006 : reflet consommation passée probable 53,7 % 64,30 % 80,0 %
Dose journalière moyenne 246 mg 301 mg 327 mg
Dose cumulée moyenne (2006-2009) 153 g 333 g 162 g (au décès)

 

 

Les complications majeures semblent être assez précoces.

« Le fait que l'apparition d'une complication peut entraîner l'arrêt du benfluorex rend délicate l'analyse du délai d'apparition des complications » nuancent les auteurs. « Néanmoins, l'analyse des 138 192 patients ayant consommeì du benfluorex en 2006 et pas après, met en évidence, que dans 62 % des cas les complications sont apparues dans l'année calendaire de l'arrêt, dans 21 % dans l'année suivante et dans 14 et 4 % dans les années n+2 et n+3 » [4].

Alerte sanitaire

Associées à l'alerte de sécurité, de nouvelles recommandations de suivi ont été éditées par l'Afssaps ce 16 novembre. [6]

Notant que « sur la base des éléments disponibles, le risque de développer une complication valvulaire pouvant conduire à l'hospitalisation est clairement établi à partir d'une durée de traitement de 3 mois et plus » et que « l'ensemble des données montre que le risque apparaît principalement dans les deux premières années d'utilisation, persiste dans les deux années qui suivent l'arrêt et devient très faible au-delà ». L'Afssaps recommande aux patients ayant pris du benfluorex pendant au moins 3 mois au cours des 4 dernières années de commercialisation (2006-2009) de consulter... si cette démarche n'a pas été déjà entreprise lors des dernières recommandations de novembre 2009.

L'Afssaps rappelle aussi aux médecins (traitants) qu'en cas de suspicion le patient doit être adressé en consultation spécialisée.

Mais, fait encore plus notable, des échanges entre l'Afssaps et l'Assurance Maladie sont actuellement en cours pour examiner la possibilité d'adresser un courrier aux personnes ayant consommé du benfluorex plus de 3 mois entre novembre 2008 et novembre 2009.

« Tous ceux qui ont été traités avec l'antidiabétique oral Mediator — et pas seulement ceux dont le traitement a dépassé trois mois — doivent consulter un médecin », a indiqué aujourd'hui le nouveau ministre de la Santé, Xavier Bertrand, allant plus loin que la recommandation donnée ce matin par l'Afssaps.

Un nouveau scandale sanitaire ?

Au-delà des 500 morts, des 1750 interventions chirurgicales et des 3500 hospitalisations pour valvulopathies, estimations a minima comme l'ont bien souligné les experts... des atteintes plus bénignes des valves liées au Médiator pourraient concerner des dizaines de milliers de patients. D'autant que le risque de complication "bénigne" est non négligeable comme le montre, à son corps défendant, l'étude REGULATE : dernière étude en date du produit destinée à apporter de nouvelles données d'efficacité du Médiator (comparaison MEDIATOR(r) + sulfonylurée versus pioglitazone + sulfonylurée) comportant une échographie cardiaque à T0 et à la 52e semaine de traitement, dont on attend toujours la publication.

Pour mémoire, dès 2000, des travaux américains élucident la cardiotoxicité de la norfenfluramine qui se trouve être un métabolite à la fois de la dexfenfluramine (Isoméride) et du benfluorex (Médiator). Néanmoins, malgré une surveillance par le système national de pharmacovigilance depuis 1990, il faut attendre 2009 et la ténacité d'une équipe de Brest menée par le Dr Irène Frachon pour arriver à arrêter en France la commercialisation du Mediator, bien après les autres pays européens.

D'où aujourd'hui, vu l'ampleur potentielle des dégâts, un parfum de scandale sanitaire flotte. Un scandale dont se défend par avance l'Afssaps comme l'illustre son « Point d'information » [6] décliné en six arguments en forme de plaidoyer.

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