ROCKET-AF montre seulement que le rivaroxaban est non inférieur aux AVK

Vincent Bargoin

15 novembre 2010

Chicago, IL, États-Unis — L'étude ROCKET-AF, présentée en Late-Breaking du congrès de l'American Heart Association montre que le rivaroxaban (Xarelto, Bayer HealthCare) est une alternative aux AVK en prévention thromboembolique dans la FA [1]. Dans une population à haut risque, l'anti-Xa se montre en effet non inférieur à la warfarine en terme d'efficacité, et son utilisation ne s'accompagne pas d'un surrisque hémorragique.

Une analyse per protocole pour la forme

Dr Mahaffey

Selon la présentation de ROCKET-AF ( Rivaroxaban Once daily oral direct Factor Xa inhibition Compared with vitamin K antagonism for prevention of stroke and embolism Trial in Atrial Fibrillation
), faite par le Dr Kenneth Mahaffey (Duke University), une analyse per protocole fait même ressortir une supériorité du rivaroxaban sur la warfarine. Cette analyse per protocole semble toutefois essentiellement répondre à des exigences méthodologiques américaines.

 
Les résultats en intention de traiter, qui montrent une supériorité non significative, reflètent probablement davantage la véritable différence d'efficacité entre les 2 traitements — Dr Hylek (Boston)
 

Et pour le Dr Helaine M Hylek (Boston, Massachusetts), qui discutait la présentation, « les résultats en intention de traiter, qui montrent une supériorité non significative, reflètent probablement davantage la véritable différence d'efficacité entre les deux traitements ».

 
En tant que clinicien, seule l'analyse en intention de traiter a de l'importance — Pr Le Heuzey (HEGP)
 

Interrogé par heartwire , le Pr Jean-Yves Le Heuzey (HEGP, Paris) a pour sa part confirmé « qu'en tant que clinicien, seule l'analyse en intention de traiter avait de l'importance ».

On retiendra donc la notion de non-infériorité qui ressort de cette analyse.

Une population à haut risque

Pr  Le Heuzey

ROCKET-AF est une étude, menée chez 14 264 patients en FA non valvulaire, recrutés dans 1178 centres, répartis dans 45 pays. Ces patients étaient à haut risque. Cinquante-cinq pourcents d'entre eux présentaient en effet un antécédent d'AVC, d'AIT.

Le Dr Hylek a souligné que  « l'on ne peut apprécier les résultats de ROCKET-AF qu'en prenant pleinement la mesure de la complexité de cette population de patients ». Quant au Pr Le Heuzey, il remarque que « ROCKET-AF est plus proche de la prévention secondaire que RE-LY ».

Facteurs de risque des populations de ROCKET-AF et de RE-LY


Âge
Antécédent d'AVC ou AIT
HTA
IC
Diabète
Score CHADS2
ROCKET-AF
(n = 14264)
73 ans
55 %
91 %
62 %
39 %
3,5
RE-LY
(n = 18113)
72 ans
20 %
79 %
32 %
23 %
2,1

Un double aveugle avec la warfarine

Les patients de ROCKET-AF ont été randomisés et traités par rivaroxaban, à la dose de 20 mg/j (15 mg/j pour une clairance de créatinine de 30-49 ml/min), ou par warfarine, avec un INR cible de 2,5, et compris entre 2 et 3. On note que le double-aveugle, traditionnellement difficile à mettre en place avec la warfarine, a été réalisé avec une procédure en « double-dummy », tous les patients subissant les dosages d'INR.

Cette sophistication n'a pas été retenue dans RE-LY, ce qui n'a pas empêché la FDA de retenir le dabigatran dans la FA — après nombre de débats entre experts, il est vrai. Pour le Pr Le Heuzey, néanmoins, « si l'ouvert a finalement été accepté par la FDA, c'est parce que la dose de 150 mg de dabigatran s'est montrée supérieure à la warfarine. Sans cette supériorité, il est très probable qu'une simple non-infériorité montrée en ouvert, n'aurait pas été admise par l'agence américaine ».

Un INR cible souvent raté

Dr Hylek

La durée médiane de suivi était de 706 jours dans le groupe rivaroxaban, pour 589 jours d'exposition au traitement. Parmi les patients traités par warfarine, ces chiffres sont respectivement de 708 et 593 jours. Dans ce groupe néanmoins, exposition ne signifie pas anticoagulation correcte : le temps médian passé par les patients sous warfarine dans l'intervalle cible (2-3), n'était en effet que de 57,8 %, 11,9 % du temps étant passé au-dessus de la cible, et 19,7 %, en dessous.

 
Moins de 50 % des patients sous warfarine ont dépassé le seuil de 58-60 % du temps dans l'intervalle cible*. Dans ces conditions, la question se pose de la performance du comparateur — Dr Hylek
 

* temps à partir duquel la supériorité de la warfarine sur la bithérapie antiplaquettaire a été démontrée.

Comme l'a souligné le Dr Hylek, « moins de 50 % des patients sous warfarine ont dépassé le seuil de 58-60 % du temps dans l'intervalle cible, temps à partir duquel la supériorité de la warfarine sur la bithérapie antiplaquettaire a été démontrée. Dans ces conditions, la question se pose de la performance du comparateur ».

La non-infériorité

Le critère primaire d'efficacité était l'incidence des AVC et des évènements thromboemboliques hors SNC, durant un suivi maximal de 960 jours.

Incidence du critère primaire dans ROCKET-AF selon le mode d'analyse (intention de traiter ou per protocole)


Rivaroxaban
Warfarine
RR
p
ITT (n = 14171)
2,12
2,42
0,88
0,117
PP (n = 14143)
1,70
2,15
0,79
0,015

En retenant l'analyse en intention de traiter comme référence, le taux d'évènement étant moindre dans le groupe rivaroxaban, mais non significativement moindre, on conclut donc à la simple non-infériorité de l'anti-Xa sur la warfarine.

Le rivaroxaban parait sûr en terme de saignements

En ce qui concerne le risque hémorragique, les écarts entre groupes ne sont significatifs ni pour l'ensemble des hémorragies, ni pour les hémorragies majeures, ni pour les hémorragies mineures. Le rivaroxaban ne fait donc pas moins saigner que les AVK.

En détaillant les types de saignements, on retrouve toutefois des différences de profil des deux molécules.

Taux de saignements


Rivaroxaban
Warfarine
RR
P
Saignements intracrâniens
0,49
0,74
0,67
0,019
Hémorragies fatales
0,24
0,48
0,50
0,003
Transfusion
1,65
1,32
1,25
0,044
Chute > 2 g/dL
2,77
2,26
1,22
0,019

La réduction des saignements intracrâniens et des hémorragies fatales sous rivaroxaban a été qualifiée « d'importante » par le Dr Hylek. L'augmentation des transfusions et des chutes de l'hématocrite, « rend toutefois le profil de sécurité moins clair » a-t-elle ajouté.

Le Pr Mahaffey a précisé qu'il s'agissait principalement d'épistaxis donc d'hémorragies de « surface » mais ayant néanmoins conduit à la nécessité de transfuser.

La question « désagréable » du choix entre rivaroxaban et dabigatran

Au total, donc, on dispose avec le rivaroxaban d'une alternative à la warfarine dans la FA non valvulaire.

Reste la question difficile de la comparaison entre ROCKET-AF et RE-LY, c'est-à-dire entre rivaroxaban et dabigatran. Et le Dr Douglas P Zipes (Carmel, Indiana, É.-U.) ne s'est pas privé de la poser à Kenneth Mahaffey, en séance plénière — en la qualifiant néanmoins de « question désagréable ».

À quoi le Dr Mahaffey n'a pu répondre que de manière évasive : « Les deux essais sont de très bons essais, mais des médicaments différents, évalués avec des protocoles différents, dans des populations différentes, doivent être comparés face à face pour pouvoir être situés mutuellement ».

Le Dr Zipes a qualifié cette réponse « d'éminemment politique ».

Question au Pr Le Heuzey : qui sont les candidats au Switch ?

À supposer que le rivaroxaban et/ou le dabigatran soient autorisés, et remboursés, dans la FA, à qui s'adresseraient-ils ? « À l'évidence aux patients nouvellement traités », répond le Pr Le Heuzey. « S'agissant des patients déjà sous AVK, tout dépend de la stabilité de l'INR. Si le patient est instable, le changement de traitement est souhaitable ; si le patient est stable, le changement de traitement doit être proposé, l'avantage étant l'abandon des mesures d'INR, et l'inconvénient, l'introduction d'un nouveau médicament ».

Pour autant, « les AVK ne disparaîtront pas », ajoute le Pr Le Heuzey. « Il ne faut en effet pas perdre de vue que les nouvelles molécules n'ont fait leur preuve que dans la FA non valvulaire. Il reste donc les patients valvulaires et les porteurs de prothèse. Le problème se pose par ailleurs pour les insuffisants rénaux, puisque les nouvelles molécules sont éliminées par voie rénale ».


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