Boston, MA, É.-U. — « La prescription d'un inhibiteur de la pompe à proton (IPP) se justifie pleinement chez les patients traités par double antiagrégant plaquettaire. Elle diminue le risque de saignement digestif et ne majore pas le nombre d'évènements cardiovasculaires » affirme le Dr Deepak L Bhatt (Boston), principal investigateur de l'étude COGENT (Clopidogrel and the Optimization of Gastrointestinal Events Trial) dont les résultats sont publiés dans le NEJM.[1]
Mais après analyse, les choses paraissent beaucoup moins évidentes.
D'autant que curieusement, si la conclusion de l'article est très positive, celle de l'abstract l'accompagnant semble beaucoup plus en retrait... ce qui semble bien traduire l'embarras des auteurs eux-mêmes quant à l'interprétation de leurs propres résultats !
Sur fond de controverse
Selon les études récentes, le clopidogrel, dont on sait que les hémorragies gastro-intestinales sont la complication la plus fréquente, vient de passer au second rang des médicaments les plus prescrits dans le monde.
Selon toute logique, cette nouvelle devait stimuler les prescriptions des inhibiteurs de la pompe à proton qui protègent de ce risque de complications digestives. Sauf que plusieurs travaux menés ces dernières années suggèrent que ces mêmes IPP diminuent l'activité pharmacologique du clopidogrel au risque de rendre ce dernier inefficace. À l'inverse, l'antiplaquettaire réduirait l'effet anti-acide des IPP et donc leur effet protecteur contre les hémorragies.
Une controverse a donc vu le jour, opposant les praticiens sur l'attitude à observer chez un sujet devant bénéficier d'un traitement au long cours sous clopidogrel, à plus forte raison en association avec l'aspirine dans le cadre d'une double antiagrégation. Les résultats d'une étude clinique prospective en double aveugle telle que COGENT étaient donc très attendus.
« La prise en charge optimale des patients relevant de la prescription concomitante des deux thérapeutiques faisait débat. L'étude COGENT a été initiée pour établir de façon objective quelles étaient les conséquences, aussi bien en terme d'efficacité que d'effets secondaires, de l'ajout d'IPP chez des patients coronariens devant être traités par clopidogrel et aspirine » commente le Dr Bhatt.
Un travail prometteur
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Pr Gilard |
COGENT est un essai international, randomisé en double aveugle contre placebo, faisant partie de l'expérimentation en phase 3 du CGT-2168, association fixe de clopidogrel (75 mg) et d'oméprazole (20 mg). La population visée était celle de patients à haut risque cardiovasculaire, recevant tous par ailleurs une dose de 75 à 325 mg d'aspirine à PH neutre.
La stratification reposait sur deux facteurs : la sérologie Helicobacter pylori (positive ou négative) et l'utilisation concomitante (ou non) de tout anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) en dehors de l'aspirine.
Le critère d'évaluation primaire en terme d'efficacité de protection gastro-intestinale était le délai entre le début de l'inclusion et la survenue d'un premier événement tel qu'apparition d'un ulcère gastro-duodénal, non compliqué ou hémorragique (confirmé par endoscopie ou radiographie), d'un saignement occulte vraisemblablement digestif (chute de plus de 2 g du taux d'hémoglobine ou de plus de 10 % de l'hémoglobine) ou de brûlures épigastriques durables accompagnées d'érosions de la muqueuse.
Le critère d'évaluation cardiaque était également composite, retenant pour événements la mortalité cardiovasculaire, la survenue d'un infarctus non fatal, le taux de revascularisation coronaire et les AVC ischémiques.
Au total, les données de 3761 patients furent exploitées (1876 dans le groupe oméprazole contre 1885 sous placebo), avec un suivi moyen de 106 jours.
Durant cette période, 55 évènements « gastro-intestinaux » se déclarent dont 51 sont retenus en terme de critère primaire. Le risque à 180 jours, déduit par une analyse de Kaplan-Meier, est évalué à 2,9 % sous placebo contre 1,1 % avec oméprazole (p < 0,001). Il n'est pas noté de différence significative selon que les sujets ont une sérologie H. pylori positive ou négative, ni en fonction de l'utilisation ou non de AINS.
« Je suis tout de même très gênée par le flou entourant ces accidents hémorragiques. On n'en précise pas la gravité, pas plus que le nombre de ceux ayant nécessité une transfusion...» s'étonne le Pr Gilard.
Les auteurs déplorent par ailleurs 109 accidents cardiovasculaires sans différence selon le traitement (55 dans le groupe oméprazole contre 54 sous placebo). Le risque à 180 jours ressort à 4,9 % sous IPP contre 5,7 % sans protection gastrique. L'analyse de sous-groupes ne montre aucune différence de résultat en fonction de la pathologie des patients ou de leurs antécédents, pas plus que leur statut sérologique concernant H. Pylori.
« Le nombre d'évènements observé est extrêmement faible, d'autant qu'une bonne partie d'entre eux est constituée non pas d'accidents au sens propre du terme, mais de revascularisations. Cet élément prouve que les patients incorporés n'étaient pas vraiment à haut risque : moins de la moitié avaient présenté un SCA et très peu avaient bénéficié d'angioplastie » précise le Pr Gilard.
Il n'est par ailleurs retrouvé aucune différence entre les deux groupes en termes d'effet secondaires sauf pour les diarrhées plus fréquentes sous IPP (3,0 vs 1,8 %).
Au final, les auteurs estiment que la prescription d'oméprazole chez les sujets sous double antiagrégants plaquettaires diminue considérablement le risque d'hémorragie digestive sans pour autant entraîner de majoration du risque d'accident cardiaque. Ils estiment que ce bénéfice serait encore plus significatif dans une population non cardiaque mais plus exposée aux hémorragies digestives que ne l'était celle de leur étude.
« Ces résultats sont importants à prendre en compte. Certes de nouveaux antiagrégants font leur apparition. Mais le clopidogrel reste de loin l'un des médicaments les plus prescrits actuellement, et la tendance est même à l'utiliser avec des posologies plus fortes ! » souligne le Dr Bhatt.
Un manque de puissance statistique
Le projet initial COGENT prévoyait de travailler sur un échantillon de 3200 patients avec une durée d'incorporation de un an et un suivi de deux ans.
Ce chiffre fut revu à la hausse par deux fois (4200 puis 5000 sujets) pour assurer un nombre d'évènements gastro-intestinaux suffisants fixé à 143 pour des raisons statistiques. L'étude fut cependant arrêtée prématurément, son sponsor Cogentus Pharmaceuticals ayant rencontré des difficultés financières inattendues.
« En raison de cette interruption prématurée pour défaut de financement, l'étude n'a pas inclus le nombre de sujets qui aurait été nécessaire pour lui donner une puissance statistique suffisante. Avec un nombre d'évènements observé extrêmement faible, cela fait deux problèmes majeurs pour ce travail ! » estime le Pr Gilard
Au final, les résultats de COGENT présentent donc de nombreuses limites qui incitent à la prudence. Les auteurs reconnaissent que le nombre total d'évènements étant bien plus faible que ce qui avait été anticipé, l'intervalle de confiance statistique concernant les accidents cardiaques est trop large pour qu'une interaction entre clopidogrel et oméprazole puisse être totalement écartée.
De plus, la population étudiée étant à 94 % de race blanche, la prévalence attendue d'un gène homozygote codant le cytochrome P-450 CYP2C19 n'était que de 2 à 3 %. Or chez ces sujets homozygotes, les IPP pourraient réduire d'avantage le taux des métabolites actifs du clopidogrel, conduisant à un niveau trop bas pour préserver son efficacité. Seule une étude plus vaste comportant un génotypage pourrait lever cette ambiguïté.
« Il manque incontestablement à ce travail la prise en compte de l'aspect pharmacologique. Puisque le clopidogrel n'a pas d'action aux posologies usuelles sur 30 % de la population, il aurait été intéressant de différencier les sujets répondeurs et non répondeurs » confirme le Pr Gilard
Alors, associer ou pas ?
La protection gastrique par IPP ne doit pas être systématique chez les patients relevant d'une double antiagrégation. Elle doit être réservée à ceux qui ont des antécédents ou une susceptibilité accrue aux accidents hémorragiques digestifs, sous couvert d'une surveillance cardiologique très vigilante — Pr Gilard
COGENT ne permet donc pas d'apporter une réponse définitive au problème de l'association IPP clopidogrel.
En pratique, « la protection gastrique par IPP ne doit pas être systématique chez les patients relevant d'une double antiagrégation » estime le Pr Gilard.
« Elle doit être réservée à ceux qui ont des antécédents ou une susceptibilité accrue aux accidents hémorragiques digestifs, sous couvert d'une surveillance cardiologique très vigilante. »
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Citer cet article: COGENT peine à convaincre de l'utilité d'associer IPP et clopidogrel - Medscape - 25 oct 2010.
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