Le cocktail explosif entre dépression et maladie cardiaque se confirme

Dr Jean-Luc Breda

7 octobre 2010

7 octobre 2010

Villejuif, France -- « Les troubles dépressifs qui touchent selon les études 20 à 30 % des patients cardiaques entraînent une surmortalité très importante. Les professionnels de santé ne peuvent plus ne pas tenir compte de ce facteur dont la recherche et la prise en charge doivent désormais faire partie de la routine ! » estime Hermann Nabi (Unité Inserm 1018, Villejuif), principal investigateur d'une étude épidémiologique dont les résultats viennent d'être révélés dans l édition en ligne de heart.bmj.com[1]

On sait depuis une enquête menée en 2005 par l'Institut National de Prévention et d'Education à la Santé (INPES), que 19 % des Français de 15 à 75 ans ont vécu ou vivront une dépression au cours de leur vie.

Par ailleurs, chez les populations en bonne santé, des études prospectives menées sur le long terme ont montré que la dépression était associée au développement des maladies cardiovasculaires, indépendamment des facteurs de risque spécifiques de ces pathologies (déséquilibre alimentaire, tabagisme, sédentarité, obésité, hypertension...).

Un travail innovant sur une cohorte de fonctionnaires

Hermann Nabi

« La plupart des travaux menés à ce jour évaluent l'impact de la dépression sur la morbimortalité de groupes homogènes, tantôt cardiaques, tantôt non cardiaques. Toutefois, l'effet combiné de la dépression et de la maladie cardiaque sur le risque de décès (toutes causes confondues et par maladies cardiovasculaires) n'était pas connu. En d'autres termes, on ne savait pas si les personnes qui sont à la fois cardiaques et dépressives ont un plus grand risque de décès comparativement à celles qui ne sont ni dépressives ni cardiaques ou à celles qui sont cardiaques ou dépressives seulement. Nous nous sommes attelés à cette tâche » explique Hermann Nabi, interrogé par heartwire .

Son équipe de l'unité 1018 de l'INSERM à exploité des données issues de la cohorte Whitehall II, étude longitudinale britannique démarrée en 1985 pour examiner les rapports entre niveau socio-économique et état de santé chez 10 308 fonctionnaires londoniens (6895 hommes et 3413 femmes). La 7e phase de ce travail, menée de 2002 à 2004, comportait (entre autre) le dépistage d'un syndrome dépressif selon les critères CES-D (Center for Epidemiologic Studies Depression Scale).

« Nous avons travaillé sur cette cohorte britannique parce que nous entretenons une collaboration étroite avec nos collègues de l'University College à Londres (où j'ai fait une partie de ma formation post-doctorale) et que cette cohorte se prêtait très bien à l'objectif de ce travail. Depuis environ 25 ans les participants ont régulièrement des examens cliniques, ce qui permet d'avoir des mesures objectives sur les facteurs de risque cardiovasculaires. Nous aurions pu faire ce travail dans la cohorte GAZEL, une cohorte française de plus 20 000 personnes mais les évènements coronariens ne sont qu'en cours de validation. Nous n'excluons cependant pas d'essayer de répliquer les résultats de notre étude britannique » commente Herman Nabi.

Les chercheurs de l'INSERM se sont intéressés aux 5936 fonctionnaires survivants évalués durant cette période. Ils ont considéré leurs antécédents pathologiques et ont suivi leur devenir pendant cinq ans. Après avoir défini leurs critères sociaux (âge, sexe, race, niveau professionnel) et leur profil de risque cardiovasculaire, tous les évènements pathologiques furent répertoriés.

La prise d'antidépresseurs ou de traitement à visée cardiaque établie par questionnaire fut également prise en compte. Les sujets étaient alors stratifiés en quatre groupes selon qu'ils étaient considérés en bonne santé, qu'ils présentaient des symptômes dépressifs, une affection cardiaque ou les deux pathologies.

Le statut « cardiaque » était défini par des antécédents d'IDM non fatal (prouvés par ECG et/ou marqueurs biologiques) ou de cardiopathie ischémique diagnostiquée lors des visites médicales des phases antérieures de Whitehall, ou sur la base d'éléments fournis par les médecins traitants et les hôpitaux.

La combinaison dépression-maladie cardiaque

Le critère « dépressif » était retenu pour tout patient dont le score CES-D était supérieur ou égal à 16 (sur 60).

Le risque de décéder des suites d'une maladie CV est 1,3 fois supérieur chez les personnes présentant uniquement une pathologie cardiaque, 2,4 fois supérieur chez les personnes avec des symptômes dépressifs uniquement et jusqu'à 3,9 fois supérieur chez ceux associant symptômes dépressifs et pathologie cardiaque — Hermann Nabi

Pendant la période de suivi (durée moyenne 5, 6 ans), 170 décès sont à déplorer sur l'ensemble des sujets étudiés (âge moyen 61 ans) dont 47 de cause cardiovasculaire.

La prévalence d'un syndrome dépressif était estimée à 14,9 % dans l'ensemble de la population étudiée, mais passe à 20 % dans le groupe ayant des antécédents cardiaques.

Au terme du suivi et après ajustement des facteurs de confusion potentiels, les résultats obtenus montrent que le risque de décès toutes causes confondues chez les personnes associant dépression et maladie cardiaque est 2,9 fois supérieur à celui des sujets ne présentant aucune de ces deux pathologies. Ce risque est 1,1 fois supérieur chez les sujets présentant seulement une pathologie cardiaque et de 1,8 fois supérieur chez ceux présentant des symptômes dépressifs uniquement.

« Quant au risque de décéder des suites d'une maladie cardiovasculaire, il est 1,3 fois supérieur chez les personnes présentant uniquement une pathologie cardiaque, 2,4 fois supérieur chez les personnes avec des symptômes dépressifs uniquement et jusqu'à 3,9 fois supérieur chez ceux associant symptômes dépressifs et pathologie cardiaque par rapport au groupe ne présentant aucune de ces pathologies. » indique Herman Nabi.

Des limites à la généralisation de ces données

Les auteurs reconnaissent à cette étude certaines limites.

Les participants de la cohorte Whitehall ne sont pas représentatifs de la population générale puisque non seulement tous bénéficient d'un emploi, mais les plus jeunes (moins de 35 ans) et certaines classes professionnelles comme les ouvriers ne sont pas pris en compte.

D'autre part, l'évaluation du statut psychologique ne fait pas état de dépression cliniquement authentifiée, mais de syndrome dépressif retenu selon des critères informatifs, obtenus essentiellement (tout comme les données concernant le tabagisme ou l'activité physique par exemple) à l'aide de questionnaires auto-déclaratifs dont on connaît les limites de fiabilité.

« La tendance dépressive a été établie une fois par sujet dans cette étude. Toutefois, les symptômes dépressifs dans cette cohorte ont été mesurés à plusieurs reprises (au moins 8 fois) et des analyses complémentaires ont montré que les personnes considérées comme dépressives dans notre étude sont en réalité des personnes qui ont des antécédents de symptomatologie dépressive » souligne Herman Nabi.  

Enfin le nombre d'évènements constatés demeure très faible durant la phase d'observation, ce qui en limite la portée statistique (seulement 15 décès toutes causes confondues dont 5 d'origine cardiovasculaire dans le groupe dépression + cardiopathie).

Malgré ces bémols, et bien que le mécanisme exact de cette relation ne soit pas entièrement connu, ces résultats confirment une nouvelle fois une interaction importante des symptômes dépressifs avec les pathologies cardiovasculaires.

Des résultats à venir

Le suivi des participants de Whitehall débuté en 1985 se poursuit. Le dernier examen clinique a eu lieu en 2009 et le suivant est programmé pour l'année prochaine. Les investigateurs de l'INSERM sont donc en mesure de poursuivre leurs travaux sur cette problématique dans cette cohorte où le taux de participation à chaque examen clinique avoisine les 70 % (sur 10 308 participants en 1985).

Il est important que les professionnels de santé, les cardiologues en particuliers, soient plus dans une logique de bien être physique (problème cardiaque) et psychologique/mental (dépression) vis-à-vis de leurs patients — Hermann Nabi

Pour Herman Nabi, « la suite logique de ce travail serait de continuer à essayer de comprendre les mécanismes qui expliquent l'excès de risque de morbidité et mortalité chez les personnes dépressives, surtout cardiaques et dépressives. L'adhérence aux traitements, les modes de vie (tabagisme, alcool, alimentation,... ) sont autant de pistes qui pourraient expliquer cette différence de risque. Il y a aussi des hypothèses de mécanismes biologiques qui impliqueraient l'immunité (biomarqueurs inflammatoires), le système nerveux autonome (pression artérielle, rythme cardiaque, variabilité du rythme cardiaque). »

Herman Nabi conclut : « Il est important que les professionnels de santé, les cardiologues en particuliers, soient plus dans une logique de bien être physique (problème cardiaque) et psychologique/mental (dépression) vis-à-vis de leurs patients. Il existe des outils simples pour détecter des symptômes dépressifs importants en vue d'un traitement par un spécialiste. Ce serait une bonne occasion de collaboration entre médecins de différentes spécialités. »

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