Standing ovation pour les travaux du Pr Alain Cribier dont les répercussions sont considérables

Dr Catherine Desmoulins

27 septembre 2010

Rouen, France — Le congrès de cardiologie interventionnelle nord-américain, TCT, a rendu hommage la semaine dernière au Pr Alain Cribier (Rouen) en lui remettant le TCT career Achievement Award . Quelques semaines plus tôt, le Pr Cribier accompagné du Pr Alec Vahanian (hôpital Bichat, Paris) avait été invité à donner la Lecture Andreas Gruentzig au congrès de l'European Society of Cardiology. Une façon pour l'ESC de féliciter des avancées remarquables dans le domaine de la cardiologie interventionnelle.

Pr Alain Cribier

Vingt ans de travail incessant pour offrir une solution thérapeutique a des patients arrivés en bout de course avec leur valvulopathie aortique et pour qui la chirurgie est trop risquée. Recevoir ce prix est une belle récompense professionnelle mais les résultats de la cohorte B de l'étude PARTNER, présentée conjointement à TCT, le sont certainement encore plus car ils justifient définitivement le remplacement aortique percutané chez les patients récusés par les chirurgiens.

Si les « TAVI » sont aujourd'hui sur le devant de la scène de la cardiologie interventionnelle, le développement de la technique n'a pas été sans mal, comme l'explique pour heartwire le Pr Cribier.

Première valvuloplastie aortique

 
J'en ai eu personnellement assez de ne rien pouvoir faire pour ces patients.
 

L'histoire a commencé à Rouen en 1985. À cette époque, le seul traitement possible du rétrécissement aortique (RA) était le remplacement valvulaire chirurgical cardiaque. Les contre-indications de la chirurgie étaient alors très nombreuses dont l'âge, au delà de 70-75 ans.

« J'avais beaucoup de patients de cet âge, arrivés à la fin de leur maladie, très symptomatiques et qui étaient systématiquement récusés par les chirurgiens. Nous n'avions pas de traitement à proposer à ces patients dont la mortalité est de l'ordre de 80 % à 2 ans. J'en ai eu personnellement assez et en septembre 85, j'ai tenté une dilatation de la valve aortique au ballonnet chez une femme de 72 ans, considérablement gênée, qui avait été récusée trois fois par les chirurgiens. J'ai utilisé pour cela un ballonnet destiné à dilater les artères pulmonaires chez l'enfant. À ma grande surprise, ce geste a entraîné une amélioration immédiate et spectaculaire de la patiente. Nous avons alors rappelé dans le service tous les malades récusés par les chirurgiens et nous avons obtenu le même bon résultat. La publication des six premiers patients dilatés au ballonnet dans le Lancet a provoqué une révolution mondiale. Après ce « pari » fait en désespoir de cause, des milliers de patients ont été dilatés à travers le monde. »

 
Après ce « pari » fait en désespoir de cause, des milliers de patients ont été dilatés à travers le monde (valvuloplastie aortique).
 

Malheureusement, deux, trois ans plus tard, les patients sont revenus à cause de la resténose valvulaire.

« C'était très choquant pour moi. Le seul geste à proposer était de les redilater, sachant que cela marchait un peu moins bien a chaque fois.

Dès 1987, il est apparu impossible de proposer cette méthode de traitement de façon générale car ses résultats, magnifiques sur le plan des symptômes, n'étaient pas durables. »

Le concept de stent valvulaire

Le Pr Cribier envisage alors la possibilité d'installer un stent à travers l'orifice aortique, après avoir dilaté la valve pour éviter qu'elle ne se referme.

 
Toutes les sociétés biomédicales m'ont envoyé paître de façon souvent assez agressive en m'expliquant que c'était infaisable et dangereux.
 

« Le concept de stent valvulaire est venu de l'idée de contrecarrer la resténose aortique. Le projet paraissait d'emblée difficile à réaliser. La première étape était de démontrer que le stent était suffisamment fort pour pouvoir maintenir une valve calcifiée ouverte. Nous avons, avec Hélène Eltchaninoff et d'autres collaborateurs, procédé à un travail autopsique qui a permis de constater que toutes les valves de malades décédés de leur RA se laissaient ouvrir, quelle que soit l'importance des calcifications. Ces travaux ont également permis de déterminer les dimensions idéales du stent, afin de préserver les coronaires (au dessus), la valve mitrale et le faisceau de His (en dessous). Ces constatations anatomiques ont été fondamentales puisque les dimensions (23 mm de diamètre, 14-16 mm de hauteur) sont celles qui sont utilisées aujourd'hui. »

Le deuxième niveau de difficulté était ensuite de trouver le moyen de mettre une valve à l'intérieur du stent.

« Cette deuxième étape nécessitait beaucoup de réflexions et de travail d'ingénieur. J'ai passé mon temps, à travers le monde, à trouver une compagnie qui s'intéressait au projet et qui fabriquerait cette valve. Toutes les sociétés biomédicales m'ont envoyé paître de façon souvent assez agressive en m'expliquant que c'était infaisable et dangereux.

 
J'étais à deux doigts d'abandonner. J'ai même entendu dire, par un chirurgien cardiaque allemand et alors que nous avions déjà implantés des animaux, que c'était le projet le plus stupide jamais présenté.
 

Dans ces cas-là, il faut rencontrer les bonnes personnes au bon moment et j'ai eu de la chance en rencontrant trois personnes qui ont cru vraiment à ce projet : le Pr Martin Leon (Colombia University, New York), et deux ingénieurs qui travaillaient à l'époque chez Johnson & Johnson. Nous avons décidé de créer une start up (Percutaneous Valve Technologies, 1999) aux États-Unis pour faire cette valve nous-mêmes car nous n'arrivions pas à trouver de financement. Une petite compagnie biomédicale israélienne, ARAN, s'est beaucoup investie dans ce projet. Un ingénieur a réussi à faire des prototypes de valve qui correspondaient vraiment à ce que j'avais en tête, c'est-à-dire une prothèse ressemblant beaucoup à une valve cardiaque normale et il a résolu tous les problèmes techniques. Cette première valve en polyuréthane a fait l'objet d'énormément de travaux de laboratoire en Israël puis nous avons procédé — Hélène Eltchaninoff y a beaucoup participé — aux premières implantations chez l'animal à l'Institut Montsouris (Paris) en 2000. De 2000 à 2002, plus de 100 moutons ont été implantés, à différents endroits cardiaques, avec des suivis encourageant allant jusqu'à 6 mois.

« Dans ces histoires, il faut vraiment avoir un peu de chance, j'étais à deux doigts d'abandonner. J'ai même entendu dire, par un chirurgien cardiaque allemand et alors que nous avions déjà implantés des animaux, que c'était le projet le plus stupide jamais présenté. Cette personne est aujourd'hui le plus gros implanteur de valves en Allemagne. »

Première implantation chez l'homme en 2002

La première implantation chez l'homme a eu lieu en avril 2002 à Rouen, chez un homme jeune de 57 ans, mourant, en choc cardiogénique (FEVG : 12 %) et sans accès artériel, ce qui a imposé le passage par voie transseptale (et non pas par voie rétrograde artérielle comme initialement envisagé).

« Nous avons réussi à larguer la valve et le résultat a été sidérant puisque le patient a instantanément ressuscité. Cette première mondiale a eu beaucoup de répercussions médiatique ce qui nous a permis de continuer notre programme de recherche avec notre start up.

À noter que la prothèse avait été modifiée pour en faire une bioprothèse en péricarde de bœuf.

Suite à cette première implantation, l'Afssaps a donné l'autorisation de faire une première série de malades sur le mode compassionnel, par voie transseptale (car nous avions réussi la première implantation par cette voie). Nous avons obtenu 80 % de réussite sur 40 malades, ce qui était très bien. Entre-temps, pour des raisons industrielles, la valve avait été une nouvelle fois modifiée (péricarde de cheval). À ce moment-là, la FDA a commencé à s'intéresser à la question et a débuté une étude avec cette même une technique. De fait, entre 2002 et 2005, nous étions d'abord les seuls au monde à Rouen à procéder à ces implantations puis 3 centres se sont ouverts aux États-Unis pour faire une étude de faisabilité. »

Changement d'échelle : la start up est acquise par le premier fabriquant de bioprothèses chirurgicales

Changement d'échelle : en 2004, la start up du Pr Cribier est acquise par la compagnie Edwards Lifescience, le plus important fabricant de bioprothèses chirurgicales.

« Cette société s'est emparée de cette technique, qui était encore fortement discutée et combattue par les chirurgiens, et a mis à pied d'œuvre d'innombrables ingénieurs pour améliorer la valve. Cela s'est concrétisé par : le retour au péricarde de bœuf avec une structure proche de la valve Carpentier-Edwards implantée par les chirurgiens cardiaques, par la fabrication de deux tailles de valves (23 et 26 mm) qui couvrent pas mal de besoin et la mise au point d'un système de délivrance de la valve très perfectionné permettant l'accès par voie transarteriel fémorale. Cette voie d'accès directe, assez simple pour un cardiologue habitué au cathétérisme interventionnel, a largement ouvert les possibilités d'implantation.

Cela a été le début d'une croissance impressionnante du nombre de centres implanteurs, dans le cadre de plusieurs études de faisabilité sponsorisées par Edwards en Europe et aux États-Unis. Des centaines de malades ont été implantés, avec des résultats très encourageants.

À cette époque, la compagnie a également mis au point la voie d'accès transapicale qui a permis d'implanter tous les patients candidats. Auparavant, du fait de la taille de l'introducteur dans l'artère fémorale, la moitié des patients ne pouvaient pas bénéficier de la technique. Avec la voie transapicale, les chirurgiens ont arrêté de s'opposer à la technique puisqu'ils étaient eux-mêmes concernés. On est entré dans une aire nouvelle de partenariat entre les cardiologues interventionnels et les chirurgiens. »

Mise en concurrence avec la CoreValve

En 2004, une valve concurrente avec un concept d'autoexpansion, donc sans ballonnet, a commencé à être implantée (CoreValve, Medtronic).

« Nous avions pensé, avec les ingénieurs israéliens, à développer ce concept mais nous ne l'avions pas retenu en raison des risques d'implantation trop profonde dans le ventricule gauche. Les problèmes rencontrés avec la CoreValve (nécessité d'implantation d'un pacemaker), liés à la compression du faisceau de His, étaient donc attendus. Cette valve est apparue comme une solution intéressante en raison du plus petit calibre de l'introducteur (du fait de l'absence de ballonnet). »

En 2007, l'obtention du marquage CE est un autre tournant décisif qui marque le début de la véritable commercialisation des valves.

« Aujourd'hui, on dénombre 300 centres implantant la valve Edwards en Europe et au total, avec la CoreValve, plus de 20 000 patients ont été implantés dans le monde. Un résultat phénoménal. »

Vers un élargissement des indications ?

Une autre étape importante a été franchie en 2008, quand la FDA a donné son accord pour débuter l'étude PARTNER « la plus volumineuse (1240 patients) et contraignante étude en cardiologie interventionnelle ».

Dans cet essai, des patients à haut risque sont randomisés contre la chirurgie cardiaque (cohorte A) ou contre un traitement médical s'ils ne sont pas opérables (cohorte B). L'étude a été achevée en aout 2009, après un an de suivi. La présentation des résultats de la cohorte B, à TCT la semaine dernière, apporte la confirmation que la valve percutanée améliore la survie des patients contre traitement médical. « Ces résultats devraient conduire la FDA à donner son feu vert aux implantations pour les patients inopérables. »

La cohorte A de l'étude PARTNER a, quant à elle, un objectif totalement différent puisqu'il s'agit de démontrer que la valve percutanée fait aussi bien que la chirurgie chez les patients à haut risque. « Les enjeux sont tout à fait nouveaux car jusqu'à présent, le but était de fournir une possibilité de traitement à des patients non chirurgicaux et non pas de se substituer au chirurgien. Les résultats de la cohorte A, attendus probablement en mars, à PCR 2011, pourraient conduire à élargir les indications. »

Les TAVI obtiennent leur remboursement en France

« Deux ans après le marquage CE, nous avons obtenu l'accord de la sécurité sociale pour le remboursement de toutes les valves avec seulement une limitation du nombre de centres implanteurs à 33 et le respect des indications aux patients à haut risque ».


 
Je pense qu'on va pouvoir progressivement descendre la barre des indications, pour aller vers des patients à moindre risque.
 

« L'élargissement des indications dépend des progrès techniques. La valve EDWARDS s'est considérablement améliorée, elle est toujours en péricarde de bœuf mais le stent est en cobalt chrome avec un calibre des introducteurs qui est actuellement identique à celui de la CoreValve.

On est entré dans une période de compétition très intéressante car on compare véritablement les deux valves, sans tenir compte des introducteurs. Je pense qu'on va pouvoir progressivement descendre la barre des indications, pour aller vers des patients à moindre risque.

On est dans une période de bouillonnement intense mais beaucoup de choses vont dépendre de l'étude PARTNER, qui est la seule étude randomisée contre chirurgie. »

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....