L'étude SCOUT confirme la dangerosité de la sibutramine chez les obèses avec affection cardiovasculaire

Vincent Bargoin

10 septembre 2010

Londres, Grande-Bretagne — Déjà suspendue en janvier dernier par l'Agence Européenne du Médicament au vu des données préliminaires de l'étude SCOUT (Sibutramine Cardiovascular Outcomes), la sibutramine va devoir affronter, le 15 septembre prochain, un comité d'experts de la FDA qui statuera sur son cas. Or, les résultats définitifs de SCOUT viennent d'être publiés dans le New England Journal of Medicine[1]. Et ils confirment bien que, chez des patients en surpoids ou obèses et à haut risque cardiovasculaire, le traitement est associé à un excès significatif d'IDM et d'AVC non fatals.

 
Sur la base des résultats [de SCOUT], l'usage de la sibutramine devrait continuer d'être exclu chez les patients présentant une maladie CV — Les auteurs
 

En fait, l'anorexigène, qui peut augmenter à la fois la PA et le rythme cardiaque, est depuis longtemps contre-indiqué chez les sujets présentant une affection cardiovasculaire. Mais la confirmation dans SCOUT, avec un critère primaire significatif dans une population comportant aussi des diabétiques, montre que cette contre-indication pourrait être élargie à une absence d'indication tout court.

Les auteurs concluent un peu à minima, « sur la base des résultats [de SCOUT], l'usage de la sibutramine devrait continuer d'être exclu chez les patients présentant une maladie cardiovasculaire ».

 
Il est difficile de discerner un rationnel crédible au nom duquel maintenir ce médicament sur le marché — Les éditorialistes
 

Les Drs Gregory Curfman, Stephen Morissey et Jeffrey Drazen (Boston), qui signent un éditorial du NEJM, proposent quant à eux une conclusion nettement plus radicale. Après avoir noté qu'aux États-Unis, l'avertissement porté par les boîtes de sibutramine ne qualifie pas clairement les maladies cardiaques de contre-indication, les trois éditorialistes concluent « qu'étant donné que la sibutramine n'a que peu d'effet sur la perte de poids, aucun bénéfice apparent sur l'évolution clinique, un profil de risque cardiovasculaire inquiétant, et qu'il existe un mécanisme plausible pour expliquer ce risque, il est difficile de discerner un rationnel crédible au nom duquel maintenir ce médicament sur le marché ».

Des patients à haut risque, diabétiques et/ou présentant une maladie cardiovasculaire

L'étude SCOUT a été menée de janvier 2003 à mars 2009, dans 298 centres répartis en Europe, en Amérique Centrale et en Amérique du Sud, et enfin, en Australie (aucun centre nord-américain n'a participé).

Initialement, 10 744 patients des deux sexes ont été recrutés, âgés de plus de 55 ans (âge moyen : 63,2 ans), présentant un IMC compris entre 27 et 45, ou entre 25 et 27 si ces patients présentaient par ailleurs un tour de taille d'au moins 102 cm pour les hommes, ou 88 cm pour les femmes. Tous ces sujets présentaient par ailleurs une maladie cardiovasculaire (maladie coronarienne, antécédent d'AVC, artériopathie périphérique), et/ou un diabète de type 2 associé à au moins un autre facteur de risque cardiovasculaire. En pratique, 60 % des sujets présentaient à la fois une maladie cardiovasculaire et un diabète. Il s'agissait donc d'une population à haut risque.

Des élévations de la PA et du rythme cardiaque ayant été rapportées sous sibutramine, les sujets présentant une PA > 160/100 mm Hg, ou un rythme > 100 bpm, ont été exclus. Ces effets secondaires expliquent par ailleurs une particularité du protocole : la phase de double aveugle a été précédée d'une phase de 6 semaines, consacrée à un programme de gestion du poids, et durant laquelle tous les participants ont reçu de la sibutramine.

Par sécurité, tous les patients présentant une élévation persistante de PA ou de rythme cardiaque ont été exclus de la randomisation. Celle-ci a porté sur 9804 sujets au total. Le suivi moyen a été de 3,4 ans. Durant cette période, 40,2 % des sujets du groupe sibutramine, et 42,3 % des sujets du groupe placebo sont définitivement sortis d'étude, proportions certes élevées, mais habituelles, s'agissant de l'obésité.

Une perte de poids modeste et des évènements en excès

En ce qui concerne la perte de poids, à la fin des 6 premières semaines, elle était en moyenne de 2,6 kg sur l'ensemble de l'effectif. Après randomisation, une perte de poids supplémentaire de 1,7 kg a été enregistrée durant la première année dans le groupe sibutramine — contre une prise de poids de 0,7 kg à 12 mois dans le groupe placebo.

Après la première année, les courbes ont évolué de manière parfaitement parallèle, de manière légèrement ascendante.

Les auteurs notent que « le maintien à long terme (3,4 ans) d'une perte poids chez des sujets obèses sous placebo est inhabituelle, mais pourrait s'expliquer par l'âge des sujets recrutés, supérieur à l'âge moyen dans la plupart des autres études menées dans l'obésité. Il est en effet connu que le poids tend à se stabiliser à partir de 60 ans, alors que les sujets plus jeunes gagnent environ 1 kg par an ».

En ce qui concerne la PA, une réduction de 4,7/1,7 mm Hg a été observée sur l'ensemble de l'effectif durant les 6 premières semaines. Les PAS et PAD se sont ensuite stabilisées dans les deux groupes, tout en restant légèrement supérieure dans le groupe sibutramine (1,2/1,4 mm Hg). Sitôt la randomisation effectuée, le rythme cardiaque s'est également montré plus élevé dans le groupe sibutramine (+3,7 bpm).

Le critère primaire associait les IDM non fatals, les AVC non fatals, les ressuscitations après arrêt cardiaque et les décès cardiovasculaires.

SCOUT : évènements dans le groupe sibutramine et le groupe placebo


Sibutramine
(n = 4906)
Placebo
(n = 4898)
RR
p
Critère primaire
11,4 %
10 %
1,16
0,02
IDM non fatals
4,1 %
3,2 %
1,28
0,02
AVC non fatals
2,6 %
1,9 %
1,36
0,03
Ressuscitations
0,2 %
0,1 %
1,58
0,34
Décès CV
4,5 %
4,7 %
0,99
0,90
Décès toutes causes
8,5 %
8,2 %
1,04
0,54

Pas d'excès d'évènements en l'absence de maladie cardiovasculaire

Une analyse par sous-groupes a été réalisée (sujets initialement diabétiques, sujets présentant une affection cardiovasculaire et sujets présentant les deux facteurs de risque). Elle montre que la significativité du critère primaire et de ses composantes disparaît chez les diabétiques sans affection cardiovasculaire diagnostiquée à l'inclusion. Dans le sous-groupe « maladie cardiovasculaire seulement », les significativités disparaissent également, mais il reste une tendance suggestive à l'excès d'IDM non fatals chez les sujets prenant de la sibutramine (RR = 1,61 ; p = 0,08). Dans le sous-groupe « maladie cardiovasculaire + diabète », le critère primaire ressort significativement (RR = 1,18 ; p = 0,02), de même que les AVC non fatals (RR = 1,45 ; p = 0,02).

C'est de cette analyse que les auteurs de SCOUT tirent leur argumentation. Ils soulignent ainsi que le risque du traitement concerne les évènements non fatals, puisque les décès d'origine cardiovasculaire ou non, n'augmentent pas, et qu'il semble limité aux sujets présentant déjà une maladie cardiovasculaire.

« Dans leur grande majorité, les patients inclus n'auraient pas pu être traités dans le cadre de l'indication actuelle de la sibutramine », soulignent-ils. En d'autres termes, les résultats de SCOUT ne devraient pas remettre en question cette indication.

Une interprétation déjà rejetée par l'Agence Européenne du Médicament

Les trois éditorialistes sont beaucoup plus critiques.

 
En échange d'une perte de poids inférieure à 4 kg, un sujet traité aura une chance sur 70 (ou une sur 52), d'être victime d'un IDM ou d'un AVC non fatal — un rapport bénéfice/risque défavorable — Les éditorialistes
 

Ils indiquent ainsi que le nombre de sujets à traiter pour provoquer un évènement cardiovasculaire non fatal est de 70 sur l'ensemble de la population à haut risque de SCOUT et de 52 si l'on ne considère que les sujets présentent une affection cardiovasculaire. Face à quoi, « la perte nette de poids avec la sibutramine durant l'étude est inférieure à 4 kg, pour un poids moyen initial de 96 kg — soit moins que les 5 % stipulés par la FDA comme l'un des critères d'efficacité pour approuver un traitement anti-obésité », soulignent-ils. « En échange d'une perte de poids inférieure à 4 kg, un sujet traité aura une chance sur 70 (ou une sur 52), d'être victime d'un IDM ou d'un AVC non fatal — un rapport bénéfice/risque défavorable ».

Et d'ajouter que « la conclusion des investigateurs de SCOUT [en faveur du maintien de la sibutramine en l'absence de maladie cardiovasculaire] est basée sur une interprétation étroite des données », interprétation que « l'Agence Européenne du Médicament a rejetée ».

 
Les affections CV, parfois asymptomatiques, sont fréquentes parmi les personnes obèses ou en surpoids, la sibutramine peut donc leur être nuisible — L'Agence Européenne du Médicament
 

« Même si beaucoup de patients de SCOUT présentaient une maladie cardiovasculaire préexistante et étaient donc traités hors indication, l'Agence Européenne a estimé que les affections cardiovasculaires, parfois asymptomatiques, sont fréquentes parmi les personnes obèses ou en surpoids, et que la sibutramine peut donc leur être nuisible. Dans le monde réel de la pratique clinique, il peut être difficile d'identifier de manière fiable les patients porteurs d'une maladie cardiovasculaire silencieuse, qui ferait courir un risque en cas de traitement par la sibutramine ».

On saura bientôt si la FDA aboutit aux mêmes conclusions que l'Agence Européenne du Médicament.

L'étude SCOUT a été financée par Abbott

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