Orlando, FL, É.-U. — Les données de l'étude ACCORD à 5 ans, présentées lors du congrès de l'American Diabetes Association 2010, confirment l'absence de prévention des complications macrovasculaires par traitement hypoglycémiant intensifié dans le diabète de type 2. Elles suggèrent, de plus, que le traitement antidiabétique intensifié ne fait globalement pas mieux pour prévenir les complications microvasculaires. [1]
Cependant, une stratégie hypoglycémiante intensifiée pourrait avoir des effets favorables vis-à-vis des neuropathies, de certains paramètres de la fonction rénale comme l'albuminurie et des rétinopathies, révèlent certains résultats de l'essai, ainsi qu'une analyse spécifique de l'apparition des rétinopathies, ACCORD-Eye, conduite sur un sous-groupe de 2856 malades [2].
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Dans ACCORD, l'intensification est globalement en échec
L'étude ACCORD a été entreprise auprès d'une population de sujets à haut risque cardiovasculaire ou porteurs de maladie cardiovasculaire, âgés en moyenne de 62,2 ans, avec un taux d'HbA1c initialement > 7,5 % (en médiane 8,1 %), dont le diabète évoluait depuis en moyenne 10 ans.
ACCORD Lipid, dont les résultats ont été, présentés en mars 2010 lors du congrès de l'American College of Cardiology, a comparé traitement hypolipémiant intensifié (simvastatine et 160 mg/j de fénofibrate contre simvastatine et placebo) chez 5518 patients traités par simvastatine [4]. Après 4,7 ans de suivi, la stratégie hypolipémiante intensifiée n'a pas diminué globalement l'incidence des événements cardiovasculaires et des décès, même si certains sous-groupes de patients dyslipidémiques (triglycérides > 2 g/L et HDL élevé) ou les malades de sexe masculin (mais non les femmes) pouvaient tirer parti d'un traitement renforcé.
ACCORD HTA a comparé chez 4733 malades une stratégie antihypertensive ciblant une PAS < 140 mm Hg contre une autre ciblant 120 mm Hg [5]. Là aussi, après 4,7 ans, les événements cardiovasculaires n'ont, dans leur ensemble, pas été diminués chez les diabétiques et les effets secondaires sévères ont été plus que doublés dans le bras ayant eu un traitement intensifié. Cependant, le taux des AVC (critère secondaire) semble avoir été abaissé sous traitement intensifié.
Rien de notablement changé pour les complications macrovasculaires à 5 ans
L'analyse des données à 5 ans ne remet pas en question les conclusions initiales de l'étude : le traitement hypoglycémiant intensifié n'est globalement pas efficace contre l'ensemble des complications macrovasculaires et la communication du Dr Hertzel C Herstein (Mac Master University, Hamilton, Canada), lors du congrès de l'American Diabetes Association, n'a pas contredit ce qui avait été décrit en 2008 : baisse des infarctus mais augmentation de la mortalité cardiovasculaire, dont on a montré qu'elle n'est probablement pas liée aux hypoglycémies sévères.
ACCORD : hazard ratio traitement hypoglycémiant intensifié/traitement standard Transition |
Fin de l'étude (5 ans) |
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Critère de jugement primaire : AVC fatals + infarctus non fatals + décès CV |
0,90 |
0,91 |
AVC non fatals |
0,99 |
0,87 |
IDM non fatals |
0,79 |
0,82 |
Décès CV |
1,27 |
1,29 |
Mortalité globale |
1,21 |
1,19 |
Pas de réduction de l'ensemble des complications microvasculaires à 5 ans non plus
En revanche, pour les complications microvasculaires, les auteurs estiment au vu des critères secondaires qu'un effet préventif est possible.
Certes, ni lors de la première phase de l'essai publié en 2008, ni à 5 ans (chez les survivants !), aucun effet significatif n'a été relevé pour le critère de jugement primaire prédéfini de cette nouvelle analyse, associant néphropathies (dialyse, transplantations, clairance de la créatinine > 291,7 micromoles/L) et complications ophtalmologiques (vitrectomie, photocoagulation rétinienne). Pourtant, il persistait une différence de taux d'HbA1C significative entre les 2 groupes à la fin des 5 ans : 7,2 % dans l'ancien groupe intensifié versus 7,6 % dans le groupe de traitement standard (p < 0,0001). Contre respectivement, rappelons-le, 6,3 % et 7,6 % de taux HbA1c lors de la phase de transition.
ACCORD : effets du traitement hypoglycémiant intensifié sur les néphropathies et rétinopathies Critère de jugement primaire : néphropathies + rétinopathies |
Traitement antidiabétique intensifié |
Traitement antidiabétique standard |
p |
Transition (févr. 2008) |
443 |
444 |
1,0 |
Après 5 ans (août 2009) (patients du groupe intensif passés sous traitement standard) |
556 |
586 |
0,42 |
La conclusion n'a pas été modifiée, lorsqu'on a ajouté à ces critères l'apparition des neuropathies (critère de jugement secondaire également prédéfini) et les courbes d'événements microvasculaires des 2 bras en témoignent car elles sont désespérément similaires.
ACCORD : effets du traitement intensifié sur les néphropathies, rétinopathies et neuropathies Critère de jugement secondaire : néphropathies + rétinopathies + neuropathies |
Traitement antidiabétique intensifié |
Traitement antidiabétique standard |
p |
Transition (3,5 ans) |
1591 |
1659 |
0,19 |
Après 5 ans |
1956 |
2046 |
0,12 |
Le pourcentage de patients avec une insuffisance rénale terminale était également du même ordre dans les 2 bras (106 contre 112 à 3,5 ans, p = 0,71 ; 138 contre 151 à 5 ans, p = 0,49).
Quelques effets vis-à-vis de l'albuminurie, du score de neuropathies et de l'acuité visuelle chez les survivants
Cependant, les auteurs estiment que renforcer le traitement hypoglycémiant pourrait malgré tout avoir un impact sur certaines complications microvasculaires, car par exemple, l'incidence de la microalbuminurie a été réduite significativement sous traitement intensifié (- 21 % à 3,5 ans, p = 0,0005, - 15 % à 5 ans, p = 0,012) et il en a été de même pour la macroalbuminurie (- 32 % à 3,5 ans, p = 0,0013, - 29 % à 5 ans, p = 0,0003).
Les paramètres neurologiques (score de neuropathie, sensation au toucher…) témoignaient aussi d'une moindre progression des neuropathies sous traitement intensifié, considèrent-ils.
Enfin, sur le plan visuel, les malades de ce groupe ont subi moins de complications de la cataracte (- 10 % à 3,5 ans, NS ; - 21 % à 5 ans, p = 0,0265) et leur acuité visuelle a été améliorée (p = 0,016 à 3, 5 ans et p = 0,0467 à 5 ans).
Les rétinopathies diminuées d'un tiers dans ACCORD-Eye
Une analyse de l'étude ACCORD-Eye, entreprise sur 2856 patients, publiée en ligne dans le New England Journal of Medicine le 29 juin [2] suggère aussi, à partir d'examens photographiques de la rétine, ou de la prise en compte du nombre de patients ayant subi une vitrectomie ou une photocoagulation laser, que l'intensification du traitement hypoglycémiant permettrait de diminuer d'un tiers environ à 4 ans le taux de progression de la rétinopathie diabétique (7,3 % contre 10,4 %, p = 0,003).
Idem pour la stratégie hypolipémiante intensifiée par addition de fibrate qui permettrait également de réduire notablement ce risque (6,5 % versus 10,2 %, p = 0,006).
En revanche, le moins que l'on puisse dire à l'examen des chiffres, est que le traitement antihypertenseur intensifié (PAS < 120 mm Hg) n'est pas forcément bénéfique pour prévenir la rétinopathie des diabétiques de type 2, tout au moins chez ceux qui, comme les patients de l'étude ACCORD, ont un diabète ancien et des facteurs notables de risque cardiovasculaire (10,4 % de rétinopathies contre 8,8 % sous traitement standard visant une PAS de 140 mm Hg, p = 0,29).
Dans un commentaire paru dans le Lancet, Le Pr Ronald Klein (professeur d'ophtalmologie, Université du Wisconsin) juge « qu'il n'est pas étonnant que la stratégie hypoglycémiante n'ait pu démontrer une action vis-à-vis des complications microvasculaires « car l'essai était trop court et son pouvoir statistique trop faible pour mettre en évidence des événements qui apparaissent habituellement sur une plus longue période de temps ».
Par exemple, rappelle-t-il « UKPDS a nécessité environ 10 ans pour cela ». Pour cet ophtalmologiste, « la permanence d'une différence entre les 2 bras de l'étude pour des critères comme l'acuité visuelle, la chirurgie de la cataracte, les neuropathies périphériques plaide pour l'existence d'un effet préventif vis-à-vis des événements microvasculaires, car les malades du groupe intensifié avaient malgré tout été passés depuis près d'un an et demi sous traitement conventionnel ».
Il ajoute à l'appui de ses dires qu'ADVANCE et VADT ont aussi rapporté une réduction de la microprotéinurie sous traitement intensifié et qu'un effet de prévention de la cataracte a été décrit dans UKPDS (ce qui plaide entre parenthèses pour un rôle de l'hyperglycémie dans cette affection).
Pas de message simple pour le pauvre praticien
Que faire alors en pratique de ces résultats pour le moins compliqués ?
Les auteurs du Lancet admettent qu'au vu de ces nouveaux résultats, cibler un taux de HbA1c < 6 % est imprudent et qu'il est important de suivre plus longtemps les participants de l'étude ACCORD pour mieux apprécier le rapport bénéfices/risques d'un traitement hypoglycémiant intensifié.
Le Pr Denise Simons-Horton (directrice de l'application des travaux de recherche au NHLBI) a toutefois considéré « que ces données soulignent l'importance d'instaurer un traitement individualisé à chaque patient. C'est à celui-ci et à son médecin de définir les priorités. Seul un patient bien informé peut répondre à la question de savoir s'il est légitime d'améliorer la santé ophtalmologique en acceptant, en contrepartie, une augmentation du risque de décès et d'hypoglycémies ».
Praticiens et patients seront-ils d'ACCORD avec cette proposition ? C'est à voir !
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Citer cet article: ACCORD à 5 ans confirme l'inutilité d'un traitement intensif du diabète sauf pour les rétinopathies - Medscape - 6 juil 2010.
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