Paris, France — Les protocoles de réanimation conformes aux recommandations 2000 induisaient des temps de pause du massage cardiaque externe (MCE) de plus de 50 % du temps de prise en charge de victimes d'arrêt cardiaque extra-hospitalier (ACEH). Depuis 2005, les nouvelles recommandations préconisent une réduction de ces pauses potentiellement délétères. Néanmoins, la première étude randomisée comparant un protocole conforme aux recommandations de 2000 versus un protocole actualisé chez des patients en fibrillation ventriculaire réanimés lors d'un arrêt cardiaque extra-hospitalier, menée par les pompiers de Paris, ne met pas en évidence de bénéfice significatif sur le taux de patients arrivés vivants à l'hôpital ou la survie à 1 an. Ces résultats publiés dans Circulation[1]] accompagnés d'un éditorial [2] ne battent pas pour autant en brèche les recommandations 2005, la tendance étant globalement favorable. Ils suggèrent néanmoins que « Masser plus, mieux, et choquer moins : c'est bien mais ce n'est pas suffisant. D'autres axes de recherche doivent donc être envisagés à l'avenir pour réduire les interruptions de massage et améliorer l'efficacité des chocs » résume Daniel Jost (Médecin, Brigade de Sapeurs Pompiers de Paris).
Deux protocoles en face face: version 2000 contre version 2005
Diverses données tant chez l'animal que chez l'homme suggèrent qu'optimiser le massage, et donc le débit sanguin, peut améliorer la survie. Mais aucune étude n'était jusqu'ici venue documenter le bénéfice lié au changement des protocoles de réanimation en 2005. L'étude menée par les Pompiers de Paris constitue une première. « Elle montre qu'il est possible de dépasser les obstacles pratiques pour mener à terme ce type d'étude » saluent les éditorialistes.
Pour mener à bien cette étude randomisée en simple aveugle, les défibrillateurs externes ont été programmés selon deux schémas de réanimation cardiorespiratoire, l'un conforme aux anciennes recommandations 2000, l'autre proche de celles de 2005 aujourd'hui utilisées. Globalement, dans la version 2000 où les chocs sont délivrés en série (au maximum 3 chocs consécutifs), on a :
une analyse du rythme cardiaque par le DSA avant le choc,
une analyse du rythme après chaque série de choc(s),
une minute de massage entre chaque série de choc(s).
Dans la version étudiée, plus proche des recommandations 2005, on délivre un choc unique sans pause ni avant, ni après le choc, avec une reprise immédiate du massage cardiaque externe pendant 90 secondes (2 minutes dans les recommandations 2005) et une analyse du rythme à la 60e seconde.
« On délivre désormais des chocs isolés, immédiatement encadrés avant et après par un temps de massage, dont 30 secondes de massage préparatoire avant le choc). Une stratégie qui majore le temps de massage et réduit les chocs » résume D Jost.
Pronostic : une tendance favorable mais non significative
L'étude randomisée en simple aveugle a été menée sur Paris et banlieue (124 communes) sur des patients adultes en arrêt cardiaque extra-hospitalier sans cause traumatique et en fibrillation ventriculaire lors de la prise en charge par les équipes de premier secours des Pompiers de Paris. « Un cœur qui fibrille, c'est plutôt bon signe en terme de pronostic. 80 % des survivants sont des patients qui étaient initialement en FV » rappelle D Jost.
Au total, 1238 patients ont été randomisés mais seuls 992 répondent aux critères d'inclusion (patients en FV, pas de cause traumatique,...). Restent 992 patients dont 15 %, soit 147 patients, ont été ultérieurement exclus en raison de leur refus de donner leur consentement final à participer à l'étude. L'étude porte donc in fine sur deux groupes de respectivement 421 et 424 patients. « En situation d'urgence le législateur a prévu une procédure particulière pour l'information du patient et le recueil de son consentement. Le patient étant en AC, c'est la famille qui va examiner la demande et accepter ou non sa participation à l'étude. Quand les patients survivent, le recueil différé de leur signature autorise le médecin investigateur à la poursuite de l'étude en particulier l'exploitation statistique des données initialement recueillies. Les refusants étaient ici majoritairement des survivants, ce qui a réduit le taux de survie observé et donc diminué les chances de voir une différence entre les deux groupes. Ce biais de sélection souligné par les éditorialistes est un problème pour l'ensemble des études sur l'AC faites en France et qui prennent comme critère de jugement la survie sans séquelle neurologique » explique D Jost.
Les données confirment que la version 2005 permet de réduire les temps morts (temps consacré à aucun traitement), d'augmenter le temps de massage (61 % du temps sur les 9 premières minutes versus 48 % du temps, p = 0,001) et de réduire les chocs (2,5 vs 2,9 chocs en moyenne, p = 0,001). Malgré ce contraste entre les deux traitements, le pronostic ne diffère pas significativement, ni pour l'admission à l'hôpital (42,7 vs 43 %, p = 0,87), ni pour la sortie de l'hôpital (13,3 vs 10,6 %, p = 0,19), ni pour la survie à 1 an (7,6 vs 10,6 %, p = 0,45) et cela n'est pas modifié après ajustements. Le taux de patients ayant récupéré spontanément une hémodynamique avant l'arrivée du médecin ne diffère pas non plus entre les bras (49 vs 47 %).
Note : L'analyse multivariée a tenu compte de la modification au milieu de l'étude, du ratio compression/ventilations utilisé lors de la réanimation cardiorespiratoire. « Pendant la première moitié de l'étude, nous réalisions des cycles de 15 compressions / 2 insufflations, puis nous sommes passés à des cycles de 30 compressions / 2 insufflations » précise D Jost.
DEFI 2005 : Pronostic des arrêts cardiaques réanimés Protocole 2000 (n = 424) |
Protocole 2005 (n = 421) |
RR ajustés sur ratio compression/ventilation |
RR ajustés sur l'ensemble des variables |
|
Vivants à l'admission à l'hôpital |
181 (42,7 %) |
182 (43,2 %) |
0,98 (0,78-1,34) |
0,97 (0,7-1,3) |
Hémodynamique restaurée avant arrivée du médecin |
206 (48,6 %) |
198 (47 %) |
1,06 (0,72-1,23) |
1,04 (0,7-1,28) |
Sortis vivant de l'hôpital |
45 (10,6 %) |
56 (13,3 %) |
1,35 (0,85-2,15) |
1,27 (0,78-2,07) |
Implications en pratique clinique
Selon les éditorialistes, « il aurait fallu inclure plus de 2300 patients en FV dans chaque bras si l'on considère les taux de survie décrits par les auteurs et un RR = 1,25. La puissance n'était pas suffisante pour montrer un bénéfice significatif pour le critère ''survie à un an'' mais les données vont dans le bon sens et la tendance est favorable. Il est souhaitable que les auteurs fassent connaître à travers une analyse post-hoc un bénéfice éventuel du « masser plus choquer moins » sur la qualité de survie des patients vivants à un an ».
« Une étude avec un nombre aussi important de patients en FV (n = 2300) aurait nécessité une durée d'inclusion de plus de 5 ans, impossible pour des raisons logistiques et méthodologiques » commente D Jost.
« Cette étude ne remet pas en cause l'évolution des recommandations. Leur révision programmée en 2010 devrait réaffirmer le principe « masser plus, choquer moins ». Exit les chocs successifs et surtout les interruptions prolongées très délétères du massage. Pour redémarrer un cœur, nous devons encore découvrir les bonnes proportions entre l'énergie mécanique du massage cardiaque et l'énergie électrique des chocs électriques, » commente D Jost.
« Il faut continuer de stimuler la rechercher sur l'arrêt cardiaque qui a fait des progrès spectaculaires depuis 20 ans. Mais trop de victimes d'AC ont encore, comme disait P Safar, un cœur trop sain pour mourir. D'autres pistes doivent être explorées. La prise en charge pré-hospitalière en France permet actuellement d'amener à l'hôpital près d'un patient sur deux. Il y a un ''savoir faire'' du médecin urgentiste préhospitalier qui fait que la restauration d'une hémodynamique, condition minimale pour transporter une victime d'AC à l'hôpital, est de plus en plus souvent remplie. Pour autant, cette restauration ne préjuge pas de la suite. Le nombre de patients décédant d'une défaillance multiviscérale est encore très important d'autant plus que les délais initiaux et les interruptions de massage cardiaque auront été importants. Même si les progrès de la prise en charge hospitalière, avec notamment l'hypothermie contrôlée modérée, constituent un espoir important, la plus grande part du pronostic se joue dans les premières minutes qui suivent l'effondrement » rappelle D Jost.
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Citer cet article: Arrêt cardiaque : masser plus et choquer moins c'est bien, mais pas suffisant - Medscape - 16 avr 2010.
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