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Pr Moulin |
« Il est bien rare qu'une action thérapeutique n'entraîne aucun effet secondaire, il ne faut pas être naïf » commente pour heartwire le Pr Philippe Moulin (endocrino-diabétologue, Lyon).
« Mais globalement, et c'est un point fondamental, cela ne remet pas en cause l'usage des statines en prévention cardiovasculaire. En revanche, cela remet en cause l'usage aveugle, tous azimuts des statines chez les personnes à faible risque. Dans cette seconde situation, il faut se reposer des questions sur le rapport risque/bénéfice. »
Une méta-analyse avec des données nouvelles pour sept essais cliniques
Les investigateurs ont passé en revue les essais randomisés contrôlés avec des statines, publiés dans Medline, Embase et le registre Cochrane, entre 1994 et 2009. Seules les études portant sur plus de 1000 patients, avec un suivi identique dans les deux groupes et une durée d'au moins un an ont été retenues. Les essais avec des sujets dialysés ou transplantés étaient exclus, de même que ceux comparant deux statines entre elles.
Sur les 13 essais cliniques retenus, 6 seulement avaient déjà évalué l'incidence du diabète. Pour les 7 autres, les auteurs de la méta-analyse ont demandé aux différentes équipes d'investigateurs de procéder à l'évaluation de l'incidence du diabète dans leurs essais respectifs.
« C'est une méta-analyse intéressante car elle apporte un éclairage complémentaire, ce n'est pas une simple compilation de ce que l'on savait déjà » commente le Pr Moulin. « Il y avait déjà eu de petites alertes ponctuelles mais comme l'effet est faible, il fallait un méta-analyse pour atteindre une puissance suffisante et voir l'effet global. »
Sur les 91 140 participants aux 13 essais retenus, 4278 ont développé un diabète au cours d'un suivi médian de 4 ans : 2226 sous statine et 2052 sous traitement comparatif. Soit une augmentation de l'incidence du diabète sous statine de 9 % (OR :1,09 IC 95 % : 1,02-1,17), avec une faible hétérogénéité entre les essais. L'analyse en métarégression fait ressortir un risque plus élevé dans les essais ayant les populations les plus âgées. En revanche, l'IMC à l'inclusion et les variations du LDL cholestérol ne modifient pas significativement le surrisque de diabète.
Association entre l'incidence du diabète et le traitement par statine dans 13 essais cliniques majeurs Essai/incidence du diabète |
Statine Taux d'événement * % |
Placebo ou contrôle Taux d'événement* % |
OR |
Poids |
ASCOT-LLA N=7773 |
11,9 |
10,5 |
1,14 (0,89-1,46) |
7,07 % |
HPS N=14573 |
9,2 |
8 |
1,15 (0,98-1,35) |
13,91 % |
JUPITER N=17802 |
16 |
12,8 |
1,26 (1,04-1,51) |
11,32 % |
WOSCOPS N=5974 |
5,2 |
6,5 |
0,79 (0,58-1,10) |
4,24 % |
LIPID N=6997 |
6 |
6,6 |
0,91(0,71-1,71) |
6,53 % |
CORONA N=3534 |
20,9 |
18,5 |
1,14 (0,84-1,55) |
4,65 % |
PROSPER N=5023 |
20,5 |
15,8 |
1,32 (1,03-1,69) |
6,94 % |
MEGA N=6086 |
10,8 |
10,1 |
1,07 (0,86-1,35) |
8,03 % |
AFCAPS/TEXCAPS N=6211 |
4,5 |
4,6 |
0,98 (0,7-1,38) |
3,76 % |
4S N=4242 |
17,5 |
16,8 |
1,03 (0,84-1,28) |
8,88 % |
ALLHAT N=6087 |
16,4 |
14,4 |
1,15 (0,95-1,41) |
10,23 % |
GISSI HF N=3378 |
34,8 |
32,1 |
1,10 (0,89-1,35) |
9,5 % |
GISSI PREV N=3460 |
27,5 |
30,6 |
0,89 (0,67-1,2) |
4,94 % |
Total |
1,09 (1,02-1,17) |
100 % |
« Cette méta-analyse est un travail sérieux méthodologiquement. La quantité d'effet est faible, 9 % mais, en santé publique, les petits effets ont de grandes conséquences en terme de coût de santé publique (antidiabétiques oraux). Ce n'est pas anodin, avec le taux de pénétration des statines il y a certainement des diabètes induits. »
Le bénéfice cardiovasculaire en balance avec les lésions microvasculaires
« Le point fondamental est que, d'un point de vue cardiovasculaire, le maléfice d'un excès de glycémie représente très peu de choses par rapport au bénéfice induit par la forte baisse du LDL » note le Pr Moulin. Cela ne remet donc pas en question la prescription à visée préventive cardiovasculaire chez les patients à risque modéré à élevé.
Mais « le maléfice d'une petite hyperglycémie peut se traduire par un risque microvasculaire accru. En pratique, des gens qui se trouveraient dans l'absolu à 6 % d'HbA1c peuvent basculer à 6,5 % et se retrouver traités, à juste titre, pour éviter les complications microvasculaires. Cela a donc une incidence populationnelle. »
« L'enseignement le plus important de cette étude est que c'est une pierre dans le paradigme et dans le courant de pensée disant que les statines sont totalement inoffensives et doivent être mises dans l'eau de boisson. Vu les effets latéraux qui favorisent très légèrement le diabète 2, cette stratégie comporte des inconvénients. Il faut arrêter d'élargir à l'infini les indications des statines et reposer la question du bénéfice/risque, d'autant plus quand la prescription s'adresse, comme souvent, à des personnes âgées. »
Le point de vue du Pr Nicolas Danchin (HEGP, Paris)
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Pr Danchin |
Globalement, elle montre un petit excès de risque d'apparition de diabète de l'ordre de 9 % chez les patients sous statine par rapport au comparateur. En soi, ce n'est évidemment pas une très bonne nouvelle. Néanmoins, cet excès reste modeste et concerne une incidence du diabète très faible au départ : c'est 9 % d'augmentation relative, pas absolue. Il ne faut donc pas jeter le bébé avec l'eau du bain, cela ne remet pas en cause les bénéfices des statines. Il faut rappeler, qu'en particulier en prévention secondaire, on a un bénéfice franc des statines en terme de mortalité globale, c'est tout de même quelque chose de plus important qu'une très discrète augmentation de l'incidence du diabète dans la même population, même si elle est significative. Mais cela soulève un certain nombre de questions.
Ce que l'on constate aussi dans cette méta-analyse, c'est que plus la baisse du LDL est importante, plus l'augmentation du risque d'apparition de diabète est importante. Il y a donc apparemment un lien entre la réduction du LDL et l'apparition d'un diabète. C'est intrigant, à ma connaissance on n'a pas d'explication extrêmement claire là-dessus à l'heure actuelle. Cela mérite d'être gardé dans un coin de sa mémoire mais, encore une fois, tout cela ne remet pas en cause l'utilisation même des statines en prévention secondaire et probablement aussi en prévention primaire dans les populations à risque. »
Le Pr Moulin a reçu des honoraires (conseil scientifique) de GSK et Astra Zeneca ; des versements sur compte (recherche pour bourse ou intervention lors d' EPU, ou symposia, ou participation à des essai cliniques, et financements pour déplacement à des congrè s) de Sanofi, Servier, MSD, Astra Zeneca, lilly, NovoNordisk. |
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Citer cet article: Un peu plus de diabètes sous statine - Medscape - 23 févr 2010.
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