Valvulopathies iatrogènes : retrait du marché du benfluorex (Médiator)

Pascale Solère

18 décembre 2009

Brest, France — Le 25 novembre dernier, l'AFSSAPS suspendait l'AMM des spécialités contenant du benfluorex : le Médiator, mis sur le marché en 1976 par les laboratoires Servier et les deux génériques (Benfluorex Mylan et Qualimed) commercialisés en octobre 2009, tous trois indiqués comme « adjuvant au régime chez les diabétiques avec surcharge pondérale ». Une décision liée à « leur efficacité modeste dans le diabète 2 et à la confirmation du risque d'atteinte des valves cardiaques » précise l'AFSSAPS dans la note d'information accompagnant ce retrait [1].

Retour sur le travail démonstratif réalisé à Brest par une équipe de pneumologues et cardiologues dont les signalements puis l'étude cas témoin sur les valvulopathies ont lancé le pavé dans la mare, avec le Dr Irène Frachon (Pneumologue, CHU de Brest).

La saga des fenfluraminiques

Dr Frachon

« 

Dans les années 90, la dexfenfluramine (Isoméride), dérivé amphétaminique utilisé comme coupe-faim, fait l'objet d'un premier signalement d'HTAP (CHU Antoine Béclère, centre de référence des HTAP, Pr Gérald Simonneau) chez des femmes exposées à l'Isoméride. Quatre ans plus tard, temps nécessaire car la complication est rare, l'étude cas témoin menée par le Pr Lucien Abenhaim (NEJM 1996) confirme le lien exposition/HTAP. Quelques mois après, les Américains rapportent pour la première fois des insuffisances valvulaires multiples inhabituelles chez des femmes exposées à l'Isoméride (NEJM 1997). En 1997, le médicament est retiré du marché mondial ainsi que tous les dérivés fenfluraminiques comme la fenfluramine (Pondéral). Seul le benfluorex (Médiator) échappe à la charrette » résume I Frachon.

« Par la suite, des travaux menés aux États-Unis viendront élucider la cardiotoxicité de la dexfenfluramine (Isoméride). Ils mettent en évidence que c'est un métabolite, la norfenfluramine, qui est en cause. La norfenfluramine vient activer les récepteurs sérotoninergiques 5HT2B, très nombreux sur les valves cardiaques. Cette activation induit une multiplication des myofibroblastes associée à un dépôt en surface de mucopolysaccharides. Ces mucopolysaccharides forment sur les cordages une gangue fibreuse blanchâtre, très caractéristique, visible même à l'oeil nu », souligne I Frachon « avec à la clé un épaississement et une rétraction des valves ».

Fait troublant, on sait que le benfluorex (Médiator) est lui-même métabolisé en norfenfluramine. «Or les taux circulants de norfenfluramine après administration de benfluorex (Médiator) sont proches de ceux observés après administration de dexfenfluramine (Isoméride) » précise I Frachon. L'évidence n'était-elle pas assez évidente ? Manifestement non.

Le benfluorex (Médiator) fait tout de même l'objet « d'une surveillance étroite par le système national de pharmacovigilance depuis 1990 » selon l'AFSSAPS. En 2003, un cas de valvulopathie rapportée par des Espagnols met fin à sa carrière en Espagne et en Italie. Mais le produit reste commercialisé en France et au Portugal. En 2005, lors de la réévaluation AFSSAPS, le risque d'HTAP n'est pas considéré comme significatif.

70 % des cas de valvulopathies non expliquées avaient été exposés au benfluorex à Brest

« En 2006, à Toulouse, Montastruc a rapporté un cas de valvulopathie lourde sous benfluorex. Au CHU de Brest, qui participe au réseau national HTAP, nous observons à notre tour en 2008 une double insuffisance aortique et mitrale importante chez une diabétique depuis plusieurs années sous benfluorex. Or nous avions une écho cardiaque normale datant de 2000. C'est de là qu'est partie notre réflexion, menée en étroite collaboration entre pneumologues et cardiologues» explique I Frachon.

« En mars 2009, avec le Centre National de référence des HTAP, 6 cas sont publiés à titre d'alerte : 1 valvulopathie et 5 HTAP (3 à Brest, 2 à Béclère) (Boutet K et al. Eur Respir J 2009) ».

Le comité technique de pharmacovigilance se réunit. L'ASSAPS demande aux laboratoires Servier de regarder au plus vite les échocardiographies des patients de l'étude clinique REGULATE qui vient de se terminer (étude comparant sur 850 patients à 52 semaines benfluorex + sulphonylurée versus pioglitazone + sulphonylurée, incluant des écho cardiaques systématiques à J0 et 1 an après la fin de l'essai). L'équipe de Brest propose de lancer une étude cas témoin rétrospective.

« L'étude cas témoin rétrospective est menée durant l'été. Les dossiers de plus de 600 patients hospitalisés pour insuffisance mitrale au CHU de Brest entre 2003 et 2009 sont examinés. Parmi eux, une trentaine est inexpliquée. Chacun de ces cas est apparié à deux témoins porteurs d'insuffisances mitrales expliquées et l'exposition au Médiator recherchée (interrogatoire téléphonique des patients et de leur médecin) et comparée dans les deux groupes. Résultat, dans notre série, 70 % des valvulopathies inexpliquées ont été exposées au Médiator; le risque relatif d'insuffisance mitrale sous médiator est multiplié par 40 ! (étude en cours de publication) » résume I Frachon.

Fin septembre les données de l'étude REGULATE mettent elles-mêmes en évidence un surrisque significatif multiplié par 3 d'anomalies valvulaires, ici triviales (peu importantes), dans le bras benfluorex (26 vs 11 %, p < 0,0001). Deux fois plus d'anomalies morphologiques des valves sont aussi observées (2,6 vs 1,3 % ).[1]

Fin octobre une étude de cohorte menée par la CNAMTS sur plus d'un million de diabétiques dont plus de 40 000 exposés au Médiator enfonce le clou. Elle met en évidence un surrisque significatif d'hospitalisation pour valvulopathies à type d'insuffisance valvulaire. Celui pour insuffisance mitrale est multiplié par 2,6. Le risque de chirurgie avec remplacement valvulaire sous CEC toutes causes est multiplié par 3,4. [1]

Fin novembre, le Médiator est retiré des pharmacies.

Implications cliniques et gestion des patients exposés

Quelle est l'étendue du problème ? Difficile à dire.

« On peut juste dire qu'à Brest, entre 2003 et 2009, sur 27 insuffisances mitrales inexpliquées, 70 % ont été exposées au benfluorex. Ce qui fait 20 vavulopathies lourdes en 6 ans pour un bassin de population de 800 000 habitants. Mais aussi que le Médiator était le 44e médicament vendu en pharmacie, juste derrière la ventoline avec autour de 250 000 patients/an et qu'au total l'AFSSAPS estime que 1,5 à 2 millions de Français ont été exposés dont 20 % hors AMM (pour maigrir...) » commente I Frachon. « En tout cas, il faut désormais penser à rechercher l'exposition lors de valvulopathie non expliquée. Il y a encore quelques semaines, une femme de 42 ans s'est présentée pour essoufflement, souffle au coeur… Elle présentait une double insuffisance aortique et mitrale. Et à l'interrogatoire, nous avons retrouvé 10 ans d'exposition au Médiator, à double dose, pour maigrir. Les détournements d'indication étaient en effet nombreux. Il suffit pour s'en convaincre de surfer sur les blogs de femmes en surpoids.... »

Quel est le délai d'apparition de la valvulopathie ?

« Dans notre série, les fuites graves, c'est-à-dire imposant un remplacement valvulaire, sont apparues surtout après 3-4 ans d'exposition. Une patiente avait néanmoins été exposée juste 12 mois. Tandis que les données de REGULATE suggèrent, elles, que les petites fuites, triviales, apparaissent très tôt, dès les premiers mois » explique I Frachon.

Quand est-on sauf ?

« Nous n'avons pas de recul sur le Médiator. Mais pour l'Isoméride, les données américaines tendent à montrer qu'après l'arrêt les lésions sont généralement stables voire régressent et que la progression tardive est rare » commente I Frachon.

Que recommande l'AFSSAPS en pratique clinique pour les patients exposés ?

Dans sa lettre aux prescripteurs, l'AFSSAPS recommande de rechercher des signes évocateurs d'une pathologie valvulaire à l'arrêt avec si nécessaire examens complémentaires voire consultation spécialisée. Et chez les patients exposés dans le passé, faire de même à la prochaine consultation sans pour autant mettre en œuvre une consultation médicale systématique de dépistage. [1]

Le Dr Irène Frachon n'a pas de conflit d'intérêt à déclarer.

 

 

Suspension de l'autorisation de mise sur le marché des spécialités contenant du benfluorex (MEDIATOR et génériques)

 

Point d'information sur la suspension des autorisations de mise sur le marché et le retrait des médicaments contenant du benfluorex

 

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