La télémédecine en quête d'un cadre réglementaire

Vincent Bargoin

13 octobre 2009

Paris, France - Signe des temps, le 21ème Congrès du Collège National des Cardiologues Français s'est ouvert sur le thème de la télémédecine. Celle-ci correspond à « une convergence historique entre des besoins, ceux des patients comme des médecins, et des moyens techniques », a souligné le Pr Pascal Guéret (Hôpital Henri Mondor, Créteil). La séance réunissait des représentants de toutes les parties concernées. De l'avis général, les perspectives sont réelles et le besoin d'organisation l'est tout autant.

Un article dans la loi HPST

Pour les pouvoirs publics, en premier lieu, l'enjeu est important. La preuve en est que la télémédecine a les honneurs d'un article dans la nouvelle loi HPST (Art. L-6316-1).

Pour le Dr Pierre Simon (Direction de l'Hospitalisation et de l'Organisation des Soins), ce nouveau domaine de la médecine constitue « un levier pour restructurer l'offre de soins ». Il s'agit bien sûr de désengorger les hôpitaux, pour laisser les patients à domicile ou les orienter vers des structures plus légères et ceci, « en tenant compte des déficiences de l'offre de soins dues à l'insularité et à l'enclavement géographique », selon les termes de la loi.

De la surveillance des défibrillateurs au suivi des patients

Côté médecins, le discours est nettement positif. « La télésurveillance des défibrillateurs, avec transmission - quotidienne dans certains cas - des données enregistrées, permet de gagner environ 30 jours sur la détection des premiers troubles du rythme », souligne le Dr Laurence Guédon-Moreau (Lille). Elle permet également de vérifier la charge de la batterie, la fonctionnalité des sondes et de reprogrammer l'appareil plus rapidement, par exemple en cas de surdétection de l'onde T et de charge, sans délivrance de choc.

« La connexion à distance est simple pour le cardiologue, simple pour le patient et probablement économique, si l'on tient compte des coûts de secrétariat, de transport du patient et de l'infrastructure d'accueil », note encore le Dr Guédon-Moreau.

 
La connexion à distance est simple pour le cardiologue, simple pour le patient et probablement économique, si l'on tient compte des coûts de secrétariat, de transport du patient et de l'infrastructure d'accueil — Dr Laurence Guédon-Moreau (Lille).
 

La surveillance des dispositifs implantables peut être considérée comme un premier pas de la télémédecine en cardiologie. Mais l'objectif, certainement plus complexe, est de mettre en place des réseaux de prise en charge des patients.

« Dans l'insuffisance cardiaque, les programmes de suivi des patients à distance réduisent les risques d'hospitalisation de 15 à 20 % et diminuent la mortalité », indique le Pr Ariel Cohen (Hôpital Saint-Antoine, Paris). « Les données de la littérature à ce sujet sont extrêmement robustes ». Au demeurant, les recommandations européennes mettent déjà en avant le rôle que devrait jouer la télémédecine dans le suivi des patients.

Des patients circonspects

Côté patients, justement, l'enthousiasme est plus mesuré. Jean-Claude Boulmer (Fédération Nationale des Associations de Malades Cardiovasculaires et Opérés Cardiaques), reconnaît certes que les projets sont porteurs « d'amélioration du confort de vie, en particulier dans les régions dépeuplées en hôpitaux et cardiologues ». Mais « qui va payer ? ».

 
Il ne faut pas que les patients puissent avoir le moindre doute sur la confidentialité des données transmises… attention, la télémedicine ne doit pas abolir complètement la relation humaine avec le médecin — Jean-Claude Boulmer (Fédération Nationale des Associations de Malades Cardiovasculaires et Opérés Cardiaques)
 

Jean-Claude Boulmer, toujours, note que « les systèmes devront fonctionner d'emblée », qu'il ne faut pas que « les patients puissent avoir le moindre doute sur la confidentialité des données transmises » et qu'il faut enfin prendre garde à ne pas « abolir complètement la relation humaine avec le médecin ».

L'industrie voudrait une feuille de route

Acteur majeur également, l'industrie. Selon le Dr Pascal Michon (Sanofi-Aventis), « la télésurveillance et le télétraitement figurent parmi les axes de développement les plus prometteurs ». La France, par ailleurs, apparaît « bien placée dans les domaines de la télécardiologie, de l'assistance respiratoire et des capteurs ».

Odile Corbin (Syndicat National de l'Industrie des Technologies Médicales) se demande néanmoins si, « alors que la télémédecine est annoncée comme l'avenir du système de soins, le discours n'est pas purement incantatoire ». De fait, le cadre juridique de la télémédecine n'est toujours pas défini et se posent, notamment, les questions de la responsabilité et de la rémunération. Dans le cas d'une demande d'expertise entre un médecin requiérant et un médecin requis, qui est responsable ? Et qui est rémunéré ?

On sait quoi faire en télémédecine

Le champ d'utilisation de la télémédecine est à peu près défini et inclut l'expertise, la prescription, la surveillance et le suivi, l'assistance et l'information du patient. À quoi pourrait s'ajouter, à plus ou moins long terme, la télérobotique, encore expérimentale aujourd'hui. S'agissant des pathologies, par ailleurs, les troubles du rythme appareillés, l'insuffisance cardiaque et la maladie coronarienne pourraient relever de certains de ces modes de prise en charge.

Reste à définir les règles du jeu

Dr Jean-François Thébaut

Ce qui reste à définir, c'est le cadre réglementaire. « Le ministère semble avoir des difficultés à envisager toutes les facettes de ce qui est un nouveau mode d'organisation », souligne le Dr Jean-François Thébaut
(Sarcelles). Du strict point de vue technique, « la complexité des serveurs va devenir telle qu'il faudra une autorité pour gérer l'interopérabilité ». Le Dossier Médical Personnalisé (DMP), par ailleurs, qui constitue « la pierre angulaire du système et son point de départ », tarde à se mettre en place.

 
Du strict point de vue technique, la complexité des serveurs va devenir telle qu'il faudra une autorité pour gérer l'interopérabilité — Dr Jean-François Thébaut (Sarcelles).
 

Le Dr Jean-Marie Picard, (Groupement d'Intérêt Public-DMP), souligne que l'Agence des Systèmes d'Information Partagés de Santé (ASIP-Santé), chargée à la fois du DMP et des référentiels d'interopérabilité, a mis en place un cadre de concertation avec les industriels. Il est cependant clair que l'on est encore loin de normes d'homologation des systèmes, comme on est loin de pouvoir évaluer l'apport de telle ou telle pratique en termes de coût/bénéfice.

Les acteurs sont nombreux. « Leur collaboration est nécessaire », souligne le Pr Guéret, « et non seulement à l'échelon national, mais aussi à l'échelon international ».

Jusqu'où délocaliser ?

La délocalisation, c'est bien connu, on sait où elle commence et pas toujours où elle s'arrête. C'est ce dont les neuroradiologues américains ont fait l'expérience. Lors du Congrès du CNCF, le Dr Thébaut a ainsi expliqué que les tarifs de ces experts ayant été jugés trop élevés, un certain nombre de centres américains ont tout simplement décidé de faire lire les clichés quasiment en temps réel par des neuroradiologues indiens, basés à Bangalore. Selon le Dr Thébaut, ce risque n'existe pas en France. Il se vérifie néanmoins que la télémédecine est un excellent outil de modération des coûts.


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