Barcelone, Espagne — Révolution culturelle dans la prévention thrombo-embolique sur fibrillation atriale. Après des décennies de domination des AVK, un nouvel inhibiteur direct de la thrombine, le dabigatran etexilate (Pradaxa), surclasse incontestablement la warfarine avec une réduction significative des AVC emboliques et hémorragiques et une baisse significative des saignements dans l'étude RE-LY (Randomized Evaluation of Long term Anticoagulant Therapy) publiée simultanément en ligne sur le site du New England Journal of Medicine[1].
Côté tolérance, aucune inquiétude en particulier sur le plan hépatique qui a bénéficié d'une surveillance rapprochée compte tenu des déboires du ximélagatran. Le dosage de dabigatran à 150 mg est supérieur en efficacité à la warfarine sur les AVC avec une tolérance identique à l'AVK tandis que le dosage à 110 mg est plus sûr sur le plan des saignements majeurs mais fait aussi bien que la warfarine. « Un potentiel pour adapter individuellement le traitement aux caractéristiques des patients » a indiqué le Dr Stuart J Connolly (McMaster University, Hamilton, Ontario, Canada).
« Un accident vasculaire cérébral sur six est lié à une FA » a expliqué en préambule le Dr Connolly. La warfarine est censée prévenir 65 % des AVC chez les patients en FA. Elle est devenue théoriquement un traitement incontournable chez les patients à haut risque embolique. Pourtant, 50 % des patients justiciables des AVK en reçoivent compte tenu des limites d'acceptabilité, des interactions, de la surveillance contraignante sans oublier une efficacité discutable au long cours puisqu'elle s'établirait finalement plutôt autour de 35 % en pratique courante. D'où l'intérêt d'évaluer l'alternative qu'offre le dabigatran, un inhibiteur de thrombine par voie orale.
RE-LY est un essai de non-infériorité qui a inclus 18 113 patients, recrutés dans 44 pays dans le monde. Il a étudié deux dosages de dabigatran 110 et 150 mg, deux fois par jour. Le dabigatran était comparé avec la warfarine ajusté à l'INR. Les caractéristiques de patients étaient équilibrées dans les trois groupes avec un score CHADS2 voisin de 2.
Le critère primaire était l'embolie systémique et l'accident vasculaire ischémique et hémorragique. Le taux de survenue du critère primaire exprimé en pourcentage annuel était de 1,11 % avec le dabigatran 150 mg deux fois par jour, 1,53 avec le dabigatran 110 mg, deux fois par jour contre 1,69 % avec la warfarine. Le dabigatran etexilate 150 mg deux fois par jour, réduit de plus d'un tiers (34 % , p < 0,001) le risque d'AVC et d'embolie systémique chez les patients présentant une fibrillation auriculaire comparée à des patients bien contrôlés sous warfarine.
« Les résultats montrent clairement une non-infériorité des deux doses car l'intervalle de confiance est loin de la limite de non-infériorité. La dose de 150 mg atteint la supériorité significative avec un p inférieur à 0,001» a souligné le Dr Connolly.
Il existe un bénéfice du dabigatran sur les AVC hémorragiques avec un taux significativement inférieur d'évènements comparativement à la warfarine. Le dabigatran réduit respectivement de 26 % et de 31 % le risque relatif d'AVC hémorragiques avec les dosages de 150 et 110 mg deux fois par jour comparativement avec la warfarine. On note aussi une diminution de la mortalité vasculaire avec le dabigatran 150 mg deux fois par jour (réduction du risque relatif de 15 %, p = 0,04). Côté tolérance, le dabigatran 110 mg réduit de 22 % le risque hémorragique par rapport à la warfarine sur l'ensemble des saignements. Pour les saignements majeurs menaçant le pronostic vital, la différence est de 32 % en faveur du dabigatran 110 mg, elle est de 29 % pour le dabigatran 150 mg. Les saignements gastro-intestinaux étaient plus fréquents avec le dabigatran mais sans atteindre la limite de significativité.
RE-LY : principaux résultats D 110 vs warfarine |
p |
D 150 vs warfarine |
p |
|
AVC ou embolie systémique |
0,91 (0,74-1,11) |
0,34 |
0,66 (0,53-0,82) |
< 0,001 |
AVC |
0,92 (0,74-1,13) |
0,41 |
0,64 (0,51-0,81) |
< 0,001 |
Saignements totaux |
0,78 (0 ,74-0,83) |
< 0,001 |
0,91 (0,86-0,97) |
0,002 |
Saignements majeurs |
0,80 (0,69-0,93) |
0,003 |
0,93 (0,1-1,07) |
0,31 |
Saignements menaçant le pronostic |
0,68 (0,55-0,83) |
< 0,0 01 |
0,81 (0,66-0,99) |
0,04 |
Saignements gastro-intestinaux majeurs |
1,10 (0,86-1,41) |
0,43 |
1,50 (1,19-1,89) |
< 0,001 |
IDM |
1,35 (0,98-1,87) |
0,07 |
1,38 (1,00- 1,91) |
0,048 |
Décès |
0,91 (0,80-1,03) |
0,13 |
0,88 (0,77-1,00) |
0,05 |
Bénéfice clinique net |
0,92 (0,84-1,02) |
0,10 |
0,91 (0,82-1,00) |
0,04 |
Tolérance hépatique rassurante
Les infarctus étaient un peu plus fréquents sous dabigatran (0,7 contre 0,5 %). Cette observation d'une augmentation des infarctus avait déjà été constatée avec le ximélagatran, un autre inhibiteur de thrombine sans qu'une explication définitive puisse être avancée. Sur le plan des effets indésirables, les dyspepsies ont concerné 11,3 % des patients sous dabigatran 150 mg et 11,8 % des patients sous dabigatran 110 mg comparativement à 5,8 % des patients sous warfarine. Il semble que la formulation acide du médicament puisse expliquer cet effet indésirable digestif ainsi qu'une incidence plus forte d'hémorragies intestinales avec le dosage le plus élevé. La surveillance hépatique de l'évolution des transaminases est rassurante. « La médiane de suivi est de 2 ans, ainsi les risques hépatiques à long terme sont peu clairs mais une étude va quantifier les risques» indique l'éditorialiste [2].
150 mg plus efficace, 110 mg plus sûr
En comparant l'efficacité et la tolérance des deux dosages de dabigatran, le Dr Connolly constate un gain de 27 % sur les AVC et les embolies avec la forte dose mais avec un prix à payer d'un surcroît de saignements majeurs de 16 %. Le bénéfice clinique net apparaît identique entre les deux dosages avec un avantage significatif des 150 mg sur le risque embolique et un gain substantiel du 110 mg sur le risque de saignements.
Comparaison des résultats selon le dosage Risque relatif 150 vs 110 mg / IC 95 % |
p |
|
AVC et embolies systémiques |
0,73 (0,58-0,91) |
0,005 |
AVC hémorragiques |
0,85 (0,39-1,83) |
0,67 |
Hémorragies majeures |
1,16 (1,00-1,34) |
0,05 |
Bénéfice clinique net |
0,98 (0,89- 1,08) |
0,67 |
Changement de paradigme
Le commentateur de l'étude, le Dr John Camm (Saint George University of London, Royaume-Uni), a salué la qualité de l'étude. Comme il est précisé dans l'article, l'administration de la warfarine en ouvert pour des raisons pratiques de surveillance a pu introduire un biais dans les résultats mais il a indiqué que l'adjudication des évènements en aveugle a limité cet inconvénient. Néanmoins, subsistent plusieurs questions pratiques.
Quelles sont les doses à utiliser ? Devra-t-on switcher les patients sous warfarine en les passant tous sous dabigatran ? Est-ce que le dabigatran est aussi efficace chez les plus âgés ? L'absence d'antidote est-elle un problème ? Comment gérer une cardioversion ? Quelle est la possibilité de moduler le traitement sans indicateur biologique de surveillance ? Il a conclu son propos en voyant dans cette étude les prémices « d'un changement de paradigme » dans le traitement préventif des AVC sur FA. Il a évoqué aussi le prix du nouveau médicament qui devra être mis en balance avec la réduction du coût de prise en charge des AVC évités et l'économie d'une surveillance à long terme que permet le dabigatran.
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Pr JY Le heuzey |
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Citer cet article: Le dabigatran bat la warfarine à plates coutures en prévention des AVC sur FA dans RE-LY - Medscape - 30 août 2009.
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