Le dabigatran bat la warfarine à plates coutures en prévention des AVC sur FA dans RE-LY

Muriel Gevrey

30 août 2009

Barcelone, Espagne — Révolution culturelle dans la prévention thrombo-embolique sur fibrillation atriale. Après des décennies de domination des AVK, un nouvel inhibiteur direct de la thrombine, le dabigatran etexilate (Pradaxa), surclasse incontestablement la warfarine avec une réduction significative des AVC emboliques et hémorragiques et une baisse significative des saignements dans l'étude RE-LY (Randomized Evaluation of Long term Anticoagulant Therapy) publiée simultanément en ligne sur le site du New England Journal of Medicine[1].

Côté tolérance, aucune inquiétude en particulier sur le plan hépatique qui a bénéficié d'une surveillance rapprochée compte tenu des déboires du ximélagatran. Le dosage de dabigatran à 150 mg est supérieur en efficacité à la warfarine sur les AVC avec une tolérance identique à l'AVK tandis que le dosage à 110 mg est plus sûr sur le plan des saignements majeurs mais fait aussi bien que la warfarine. « Un potentiel pour adapter individuellement le traitement aux caractéristiques des patients » a indiqué le Dr Stuart J Connolly (McMaster University, Hamilton, Ontario, Canada).

« Un accident vasculaire cérébral sur six est lié à une FA » a expliqué en préambule le Dr Connolly. La warfarine est censée prévenir 65 % des AVC chez les patients en FA. Elle est devenue théoriquement un traitement incontournable chez les patients à haut risque embolique. Pourtant, 50 % des patients justiciables des AVK en reçoivent compte tenu des limites d'acceptabilité, des interactions, de la surveillance contraignante sans oublier une efficacité discutable au long cours puisqu'elle s'établirait finalement plutôt autour de 35 % en pratique courante. D'où l'intérêt d'évaluer l'alternative qu'offre le dabigatran, un inhibiteur de thrombine par voie orale.

RE-LY est un essai de non-infériorité qui a inclus 18 113 patients, recrutés dans 44 pays dans le monde. Il a étudié deux dosages de dabigatran 110 et 150 mg, deux fois par jour. Le dabigatran était comparé avec la warfarine ajusté à l'INR. Les caractéristiques de patients étaient équilibrées dans les trois groupes avec un score CHADS2 voisin de 2.

Le critère primaire était l'embolie systémique et l'accident vasculaire ischémique et hémorragique. Le taux de survenue du critère primaire exprimé en pourcentage annuel était de 1,11 % avec le dabigatran 150 mg deux fois par jour, 1,53 avec le dabigatran 110 mg, deux fois par jour contre 1,69 % avec la warfarine. Le dabigatran etexilate 150 mg deux fois par jour, réduit de plus d'un tiers (34 % , p < 0,001) le risque d'AVC et d'embolie systémique chez les patients présentant une fibrillation auriculaire comparée à des patients bien contrôlés sous warfarine.

« Les résultats montrent clairement une non-infériorité des deux doses car l'intervalle de confiance est loin de la limite de non-infériorité. La dose de 150 mg atteint la supériorité significative avec un p inférieur à 0,001» a souligné le Dr Connolly.

 
Les résultats montrent clairement une non-infériorité des 2 doses car l'intervalle de confiance est loin de la limite de non-infériorité. La dose de 150 mg atteint la supériorité significative avec un p < 0,001 — Dr Connolly (Hamilton, ON, Canada)
 

Il existe un bénéfice du dabigatran sur les AVC hémorragiques avec un taux significativement inférieur d'évènements comparativement à la warfarine. Le dabigatran réduit respectivement de 26 % et de 31 % le risque relatif d'AVC hémorragiques avec les dosages de 150 et 110 mg deux fois par jour comparativement avec la warfarine. On note aussi une diminution de la mortalité vasculaire avec le dabigatran 150 mg deux fois par jour (réduction du risque relatif de 15 %, p = 0,04). Côté tolérance, le dabigatran 110 mg réduit de 22 % le risque hémorragique par rapport à la warfarine sur l'ensemble des saignements. Pour les saignements majeurs menaçant le pronostic vital, la différence est de 32 % en faveur du dabigatran 110 mg, elle est de 29 % pour le dabigatran 150 mg. Les saignements gastro-intestinaux étaient plus fréquents avec le dabigatran mais sans atteindre la limite de significativité.

RE-LY : principaux résultats


D 110 vs warfarine
p
D 150 vs warfarine
p
AVC ou embolie systémique
0,91 (0,74-1,11)
0,34
0,66 (0,53-0,82)
< 0,001
AVC
0,92 (0,74-1,13)
0,41
0,64 (0,51-0,81)
< 0,001
Saignements totaux
0,78 (0 ,74-0,83)
< 0,001
0,91 (0,86-0,97)
0,002
Saignements majeurs
0,80 (0,69-0,93)
0,003
0,93 (0,1-1,07)
0,31
Saignements menaçant le pronostic
0,68 (0,55-0,83)
< 0,0 01
0,81 (0,66-0,99)
0,04
Saignements gastro-intestinaux majeurs
1,10 (0,86-1,41)
0,43
1,50 (1,19-1,89)
< 0,001
IDM
1,35 (0,98-1,87)
0,07
1,38 (1,00- 1,91)
0,048
Décès
0,91 (0,80-1,03)
0,13
0,88 (0,77-1,00)
0,05
Bénéfice clinique net
0,92 (0,84-1,02)
0,10
0,91 (0,82-1,00)
0,04

Tolérance hépatique rassurante

Les infarctus étaient un peu plus fréquents sous dabigatran (0,7 contre 0,5 %). Cette observation d'une augmentation des infarctus avait déjà été constatée avec le ximélagatran, un autre inhibiteur de thrombine sans qu'une explication définitive puisse être avancée. Sur le plan des effets indésirables, les dyspepsies ont concerné 11,3 % des patients sous dabigatran 150 mg et 11,8 % des patients sous dabigatran 110 mg comparativement à 5,8 % des patients sous warfarine. Il semble que la formulation acide du médicament puisse expliquer cet effet indésirable digestif ainsi qu'une incidence plus forte d'hémorragies intestinales avec le dosage le plus élevé. La surveillance hépatique de l'évolution des transaminases est rassurante. « La médiane de suivi est de 2 ans, ainsi les risques hépatiques à long terme sont peu clairs mais une étude va quantifier les risques» indique l'éditorialiste [2].

150 mg plus efficace, 110 mg plus sûr

En comparant l'efficacité et la tolérance des deux dosages de dabigatran, le Dr Connolly constate un gain de 27 % sur les AVC et les embolies avec la forte dose mais avec un prix à payer d'un surcroît de saignements majeurs de 16 %. Le bénéfice clinique net apparaît identique entre les deux dosages avec un avantage significatif des 150 mg sur le risque embolique et un gain substantiel du 110 mg sur le risque de saignements.

Comparaison des résultats selon le dosage


Risque relatif 150 vs 110 mg / IC 95 %
p
AVC et embolies systémiques
0,73 (0,58-0,91)
0,005
AVC hémorragiques
0,85 (0,39-1,83)
0,67
Hémorragies majeures
1,16 (1,00-1,34)
0,05
Bénéfice clinique net
0,98 (0,89- 1,08)
0,67

Changement de paradigme

Le commentateur de l'étude, le Dr John Camm (Saint George University of London, Royaume-Uni), a salué la qualité de l'étude. Comme il est précisé dans l'article, l'administration de la warfarine en ouvert pour des raisons pratiques de surveillance a pu introduire un biais dans les résultats mais il a indiqué que l'adjudication des évènements en aveugle a limité cet inconvénient. Néanmoins, subsistent plusieurs questions pratiques.

Quelles sont les doses à utiliser ? Devra-t-on switcher les patients sous warfarine en les passant tous sous dabigatran ? Est-ce que le dabigatran est aussi efficace chez les plus âgés ? L'absence d'antidote est-elle un problème ? Comment gérer une cardioversion ? Quelle est la possibilité de moduler le traitement sans indicateur biologique de surveillance ? Il a conclu son propos en voyant dans cette étude les prémices « d'un changement de paradigme » dans le traitement préventif des AVC sur FA. Il a évoqué aussi le prix du nouveau médicament qui devra être mis en balance avec la réduction du coût de prise en charge des AVC évités et l'économie d'une surveillance à long terme que permet le dabigatran.

Pr JY Le heuzey

Interrogé par heartwire
le Pr Jean-Yves LeHeuzey
(Hôpital Georges Pompidou, Paris) a indiqué que dabigatran pourrait bien détrôner les AVK du moins dans cette indication. « Le design de l'étude ne permet pas encore de savoir quelles sont les caractéristiques des patients qui orientent vers 110 ou 150 mg ». Il a précisé qu'il réserverait la dose de 110 mg aux patients les plus fragiles surtout sur le plan rénal car le produit a une excrétion majeure. Pour les autres patients, moins à risque hémorragique : « J'aurais plutôt tendance à favoriser la plus forte dose pour gagner en efficacité ». À la question de l'absence d'antidote, il a expliqué : « C'est un problème en cas de saignements majeurs, il faut attendre que le principe soit éliminé et envisager une transfusion mais le dabigatran a l'avantage d'une demi-vie assez courte. À l'inverse, les AVK ont une demi-vie longue. En cas d'hémorragie digestive, il faudra faire une endoscopie et une prise en charge adaptée en urgence ». L'absence de test biologique validé ne lui semble pas un souci majeur compte-tenu des données de tolérance recueillies dans cet essai

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