Sous statines, des CPK subnormales n'excluent pas des anomalies de la microstructure musculaire

Vincent Bargoin

9 juillet 2009

Berne, Suisse — Sous statines, les rhabdomyolyses sont très rares, mais les atteintes musculaires bénignes le sont moins, avec, dans les études observationnelles, un taux de 10 à 15 % de patients se plaignant de douleurs et de faiblesse musculaire. Les recommandations actuelles prônent la poursuite du traitement, tant que la créatine phosphokinase (CPK) circulante ne dépasse pas le seuil de 1950 U/L, soit 10 fois la normale.

En fait, ce critère ne semble pas permettre d'exclure une atteinte musculaire. Une étude suisse et américaine, publiée dans le Canadian Medical Association Journal, montre que des anomalies structurelles des fibres musculaires peuvent être retrouvées en microscopie optique et électronique chez plus de la moitié des patients se plaignant de myalgies, y compris chez des patients ayant interrompu leur traitement [1].

Certes, l'effectif est faible : 83 sujets au total, dont 44 atteints de myalgie. Mais comme le soulignent les auteurs, il s'agit de la plus importante série étudiée par biopsie musculaire. Et sur les 25/44 patients présentant des anomalies structurelles des fibres musculaires, les CPK ne dépassaient le seuil de 1950 U/L que dans un seul cas.

Cinq groupes de sujets

Cinq groupes de sujets ont été étudiés :

  1. 29 patients sous statines chez lesquels des difficultés musculaires avaient été cliniquement reconnues, malgré des CPK modérés. Typiquement, ces patients se plaignaient de douleurs musculaires au niveau du tronc et des muscles proximaux, et d'une certaine faiblesse (par exemple, incapacité à se lever d'une chaise sans appui sur les bras).

  2. 19 patients sous statines sans problème musculaire.

  3. 15 patients anciennement sous statines, avec problèmes musculaires persistants.

  4. 10 sujets témoins jeunes, non traités et sans problème musculaire.

  5. 10 autres sujets témoins, recevant divers traitements susceptibles de favoriser des myopathies (immunosupresseurs, corticostéroïdes, macrolides, inhibiteurs de protéase du VIH), à l'exception d'une statine, et appariés pour ces traitements et pour l'âge à des sujets présentant des myopathies.

On note que chez les patients prenant ou ayant pris des statines, aucune dose ne dépassait 80 mg/j. On note également que chez les patients ayant pris des statines, l'interruption du traitement remontait à 3 semaines au minimum, avec une médiane à 12 semaines.

Des biopsies du muscle vaste externe

Les biopsies ont été prélevées au niveau du muscle vaste externe. Les auteurs soulignent que « ce muscle est rarement le siège de myalgies, mais sert de muscle de référence, biopsié en routine dans l'analyse des pathologies musculaires systémiques ».

Dans la discussion du papier, ils estiment par ailleurs que la biopsie de ce muscle, indépendamment de la localisation des plaintes des patients, a pu conduire à une sous-estimation de la fréquence des anomalies structurelles. « Si les muscles correspondant aux plaintes avaient été biopsiés, il est possible que la prévalence des anomalies ait été plus importante ».

Les biopsies ont été analysées en microscopie électronique, par un seul examinateur entraîné. Le seuil retenu pour conclure à une anomalie significative, était de 2 % de fibres musculaires endommagées.

« Les images étaient typiques des myopaties associées aux statines », indiquent les auteurs, avec une vacuolisation du système tubulaire transverse et un sarcolemme [membrane plasmique] intact ».

Nombre de sujets porteurs d'anomalies de la microstructure musculaire dans les 5 groupes étudiés


Témoins jeunes
(n = 10)
Témoins appariés
(n = 10)
Patients anciennement traités par statine, avec myopathie
(n = 15)
Patients actuellement traités par statine, avec myopathie
(n = 29)
Patients actuellement traités par statine, sans myopathie
(n = 19)
Âge
26 [23-29]
57 [41-74]
59 [34-73]
54 [34-76]
66 [49-84]
CPK moyen (U/L)
ND
110
114
118
109
Nb de cas d'anomalies structurelles des fibres
0
0
9
16
1

Les écarts entre patients prenant ou ayant pris des statines, et l'ensemble des témoins, sont significatifs (p < 0,001 dans les deux cas). Par ailleurs, la proportion de fibres anormales dans les muscles lésés n'est pas négligeable, puisqu'elle se monte à 9,5 % en moyenne chez les patients sous statines avec myopathie, et à 9 % chez les patients anciennement sous statines.

Des anomalies qui persistent à l'arrêt du traitement

On note également que parmi les 9 patients anciennement sous statines qui présentaient des anomalies de fibres musculaires, 6 avaient interrompu leur traitement depuis 5 à 20 semaines, et 3 depuis 1 à plus de 5 ans. Des anomalies musculaires peuvent donc persister longtemps après l'arrêt du traitement.

« Nous avons été surpris de découvrir des anomalies structurelles du muscle chez des patients ayant interrompu leur traitement depuis une durée considérable » indiquent les auteurs. « Bien que les symptômes musculaires s'améliorent généralement rapidement à l'arrêt du traitement, ces données suggèrent que certains patients présentent une susceptibilité accrue à la myotoxicité des statines et à des lésions structurelles persistantes ».

Le seuil de CPK remis en question

 
Nos résultats suggèrent qu'un taux normal ou modérément élevé de CPK n'exclut pas des lésions musculaires associées aux statines. Des stratégies alternatives doivent par conséquent être évaluées chez les patients présentant des symptômes — Les auteurs.
 

Aucune relation entre durée du traitement ou dose prescrite, et sévérité de l'atteinte n'a été retrouvée. Par ailleurs, aucune différence n'a été relevée entre les différentes statines. Enfin, les taux de CPK ne dépassaient le seuil de 1950 U/L que chez un patient, sous statine, atteint de rhabdomyolyse.

D'une manière générale, ces taux de CPK n'aurait pas permis de classer les patients avec ou sans atteinte musculaire. Le schéma est parfaitement logique, puisque les lésions observées sont intracellulaires et que le sarcolemme intact prévient la libération de CPK dans la circulation. Mais il remet en question le seuil actuel de CPK, voire le principe même de ce seuil.

« Nos résultats suggèrent qu'un taux normal ou modérément élevé de CPK n'exclut pas des lésions musculaires associées aux statines. Des stratégies alternatives doivent par conséquent être évaluées chez les patients présentant des symptômes », concluent les auteurs.

Une surexpression du gène codant le récepteur de la ryanodine 3

Pour tenter de comprendre le mécanisme de la sensibilité musculaire aux statines, les auteurs ont mesuré le niveau d'expression d'un certains nombres de gènes codant pour des protéines présentes au niveau du système tubulaire transverse ou du réticulum sarcoplasmique, et impliquées dans la libération ou la recapture du calcium. Une expression accrue d'un récepteur, le récepteur à la ryanodine de type 3, a été associée à la présence de lésions.

La signification de cette association reste toutefois à établir. On ne sait pas, notamment, si cette surexpression précédait la prise de statines ou si elle en est une conséquence. Les auteurs se bornent à constater que l'implication de ce récepteur, qui n'est pas exprimé dans le coeur, est compatible avec des effets des statines restreints aux muscles striés.


Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....