Prévention pour tous, bon marché et efficace avec une polypill cinq en un : rêve ou cauchemar du Pr Yusuf ?

Dr Catherine Desmoulins

10 avril 2009

Orlando, FL, É.-U. — La présentation en late-breaking de l'American College of Cardiology de l'étude TIPS (Indian Polycap study) par le Pr Yusuf a certainement plus ébranlé les médias — du pain béni pour la couverture médiatique — que les médecins. [1] Les résultats de TIPS sont publiés dans le Lancet [2,3].

Mais au-delà des gros titres sur la « pilule miracle du futur », force est de reconnaître que dans l'essai TIPS, 400 Indiens avec peu de facteurs de risque et sans aucun antécédent cardiovasculaire ont bien pris durant 12 semaines un médicament unique constitué de 3 antihypertenseurs, d'une statine et d'aspirine. Et que, contre toute attente, les interruptions de traitement pour cause d'effets indésirables n'ont pas été supérieures à celles des groupes comparatifs avec un, deux, trois ou quatre principes actifs.

Côté efficacité — il fallait aussi s'en assurer — cette pilule « cinq en un » a montré qu'elle permettait de combiner les effets bénéfiques de chacun des traitements pris séparément sur la PA, la FC, le cholestérol LDL et l'agrégation plaquettaire.

Pr Yusuf

Pour le Pr Salim Yusuf (Mac Master University, Hamilton, Ontario) « L'essai TIPS apporte la preuve du concept qu'une prévention cardiovasculaire large en une prise unique quotidienne est possible. Les modifications obtenues sur les facteurs de risque laissent espérer une réduction de 50 à 60 % des maladies cardiovasculaires ».

Reste à savoir maintenant quelles seront les populations ciblées par ce type de prévention et surtout, si les industriels oseront investir dans le développement de la polypill : « un grand essai de phase II destiné à vérifier la sécurité de la polypill — pour ne pas avoir de mauvaise surprise — s'avère indispensable », insiste le Pr Yusuf.

Un essai mené en Inde et comportant 9 groupes d'intervention

 
Au final, au vu des résultats obtenus sur les facteurs de risque et les données des publications antérieures, cette polypill pourrait réduire le risque cardiovasculaire de 50%.
 

L'objectif primaire de l'étude était de savoir si les 3 antihypertenseurs mis dans un même comprimé gardaient une efficacité comparable à la prise des 3 médicaments de façon séparée, même objectif pour la réduction de fréquence cardiaque avec l'aténolol et pour la baisse du cholestérol LDL avec la simvastatine. L'effet antiagrégant plaquettaire de l'aspirine était évalué de manière indirecte par la mesure du taux de thromboxane B2 urinaire.

L'étude a randomisée en double aveugle 2000 personnes, âgées de 45 à 80 ans, avec au moins un facteur de risque cardiovasculaire : 400 dans le groupe polypill et 8 x 200 dans des groupes comparatifs en mono, bi, tri et quadrithérapie. L'essai a duré 12 semaines après 4 semaines de wash out.

Les 8 groupes comparatifs de l'essai TIPS
  1. Aspirine (100 mg/j), n = 200

  2. Simvastatine (20 mg/j), n = 200

  3. Hydrochlorothiazine (12,5 mg/j), n = 200

  4. Hydrochlorothiazine (12,5 mg/j) + aténolol 50 mg, n = 200

  5. Hydrochlorothiazine (12,5 mg/j) + ramipril (5mg), n = 200

  6. Ramipril (5mg) + aténolol (50 mg), n = 200

  7. Aténolol 50 mg + ramipril (5 mg)+ hydrochlorothiazine (12,5 mg), n = 200

  8. Ramipril (5mg) + hydrochlorothiazine (12,5 mg) + aténolol 50 mg + aspirine (100 mg/j), n = 200


Les résultats montrent, chez des patients à risqué modéré que :

  • l'effet hypotensif de la Polycap correspond à l'addition des effets des 3 antihypertenseurs

  • la PA baisse au fur et à mesure que le nombre de médicaments hypotenseurs augmentent

  • l'aspirine n'interfère pas avec les effets antihypertenseurs

  • la Polycap réduit un peu moins le cholestérol LDL que la simvastatine seule

  • la Polycap abaisse autant le thromboxane urinaire B2 que l'aspirine seule

  • la Polycap est bien tolérée

Au final, au vu des résultats obtenus sur les facteurs de risque et les données des publications antérieures, cette polypill pourrait réduire le risque cardiovasculaire de 50 %.

Le programme en 2 temps, voire 3, du Pr Yusuf

Aux questions répétées des journalistes en conférence de presse qui ont du mal à comprendre à qui s'adresse la polypill (Polycap), le Pr Yusuf répond qu'il envisage une stratégie en trois temps :

1 - En prévention secondaire : « Les premières personnes intéressées sont celles qui prennent déjà ces principes actifs en raison de la présence de facteurs de risque. Il est évident que cela facilite le quotidien du malade, du médecin (une ordonnance au lieu de cinq) et réduit les coûts car les différents constituants de la polypill sont des produits génériques. Je pense que cette première étape se fera dans quelques années. »

2 - En prévention primaire : « La deuxième étape consiste à s'interroger sur une prévention élargie à toutes les personnes de plus de 50 ans et qui n'ont pas encore de maladie vasculaire. Devront-elles prendre la polypill ? J'ai le sentiment que oui car nous ne réussissons pas à réduire les événements cliniques au-delà d'une certaine limite. Moi-même et d'autres sommes déjà en court de préparation d'essais cliniques qui devraient débuter dans 6 à 12 mois. Je pense que cela pourrait se concrétiser dans 10 à 15 ans. »

3 - « Et si la stratégie N°2 fait la preuve de son efficacité, on pourra se demander s'il ne faut pas mettre ce produit dans l'eau de boisson…J'avoue que je n'ai pas encore la réponse à cette question ! »

Qu'advient-il des valeurs seuils et des recommandations avec une telle pilule préventive ?

 
De plus en plus, les épidémiologistes pensent que les concepts d'hypertension et d'hypercholestérolémie sont faux. Dans 10 ans, on arrêtera d'utiliser les mots hypertension et hypercholestérolémie — Dr Yusuf
 

Qu'advient-il des valeurs seuils et des recommandations avec une telle pilule préventive ?

« De plus en plus, les épidémiologistes pensent que les concepts d'hypertension et d'hypercholestérolémie sont faux. Plus le PA est élevée plus le risque s'élève et quand on abaisse les chiffres on abaisse le risque, même chose avec le cholestérol. Je pense que dans 10 ans, on arrêtera d'utiliser les mots hypertension et hypercholestérolémie. Faut-il jeter les recommandations ? Non, mais les faire évoluer. Au fil des ans, les recommandations prendront en compte de nouvelles études, dont les données sur la polypill. »

Une pilule pour les pays en développement ou pour le reste du monde, notamment les É.-U. ?

 
Je ne sais pas ce que décideront les industriels mais je me souviens de la phrase de Churchill : « Les Américains opteront toujours pour la bonne solution, mais seulement après avoir épuisé toutes les autres options » — Dr Yusuf
 

« Bientôt, 80 % des maladies vasculaires seront dans les pays en développement. Du fait de son faible coût, la polypill permettrait à ces populations d'avoir accès à une prévention de qualité. Mais le concept de prévention élargie et bon marché est applicable au monde entier. Reste que dans un pays comme les É.-U., s'il faut utiliser des ingrédients américains, le calcul du coût est complexe. Du fait des royalties, le prix de revient est d'emblée multiplié par 20 à 34… La question de savoir si les produits entrant de la composition de la polypill seront américains a donc son importance. On peut imaginer un coût comparable à celui d'une tasse de café au Starbuck. Cela n'est pas excessif pour un médicament potentiellement capable de diviser la mortalité en deux après 50 ans. Je ne sais pas ce que décideront les industriels mais je me souviens de la phrase de Churchill : « Les Américains opteront toujours pour la bonne solution mais seulement après avoir épuisé toutes les autres options* ».

* American's always do the right thing but only after exhausting all the other options.

Faut-il médicaliser toute la planète pour échapper aux maladies cardiovasculaires ?

Faut-il médicaliser toute la planète pour échapper aux maladies cardiovasculaires ?

« L'idée de médicaliser la planète fait peur. On oublie que des millions de gens prennent chaque jour des multivitamines dont certaines comme la E sont dangereuses, du ginseng et toutes sortes de choses pour rester en forme. Si on demandait aux cardiologues américains présents dans la salle combien prennent une statine à titre préventif, vous seriez surpris du résultat. Nous avons déjà changé de paradigme dans la façon de distinguer le normal du pathologique. On peut prendre l'exemple des chiffres tensionnels et du cholestérol dont les valeurs seuils ont régulièrement baissé. INTERHEART a montré que chaque augmentation des lipides de 10 % augmente le risque de 20 %. Aujourd'hui, en milieu urbain, on peut estimer que 90 % des habitants de la planète ont des lipides anormaux. En Inde, en milieu rural, l'IMC est de 18, le taux de diabète est de 2 %, en milieu urbain, l'IMC s'élève à 25 et le taux de diabète à 27, où est la normalité ? Nous sommes dans un continuum, les valeurs seuils n'existent pas ».

Ne craignez vous pas que la polypill fasse relâcher les efforts portant sur les modifications du style de vie ?

« Vous pensez que certaines personnes pourraient la mettre en sandwich dans leur hamburger ? Je ne l'espère pas, il est évident que l'amélioration du style de vie est la pierre angulaire de la prévention cardiovasculaire. »

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