Nouvelle Orléans, Louisiane, É-U — Depuis l'interruption prématurée de l'étude, fin mars 2008, l'information était connue : les résultats de JUPITER (Justification for the Use of statins in Prevention: an Intervention Trial Evaluating Rosuvastatin) sont positifs. Ils viennent d'être présentés par Paul Ridker (Boston) lors du Congrès de l' American Heart Association [1] et publiés simultanément dans le New England Journal of Medicine[2].
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Dr Ridker |
Si ces résultats soulèvent de nombreuses questions, en particulier sur le mécanisme responsable du bénéfice clinique, leur conséquence pratique semble claire : on va vers un élargissement des indications des statines.
À condition, cependant, de pouvoir préciser d'une part la signification d'une CRP élevée, qui n'est pas nécessairement le critère le plus pertinent pour traiter des sujets aujourd'hui considérés comme à bas risque, et d'autre part le bénéfice absolu du traitement, quand JUPITER ne donne que des bénéfices relatifs.
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Dr Tonkin |
« Mais il est très probable que les recommandations actuelles seront réexaminées à la lumière des résultats de JUPITER, en incluant des considérations de coût/efficacité. »
Une hypothèse formulée dès 2001
Le rationnel de l'étude JUPITER provient de l'étude AFCAPS/TexCAPS, conduite en 2001 par Paul Ridker — déjà. Selon cette étude, chez les sujets présentant des taux très bas de LDL et de CRP, les évènements cardiovasculaires seraient extrêmement rares et le traitement par statine n'apporterait rien. Au contraire, chez les sujets présentant un LDL bas mais une CRP élevée, le taux d'évènements serait pratiquement équivalent au taux observé en cas d'hyperlipidémie et l'efficacité d'une statine deviendrait significative. Sachant que les évènements inauguraux surviennent dans près de la moitié des cas chez des sujets considérés comme à bas risque, il était évidemment tentant de voir dans une CRP élevée, sinon la cause, du moins un marqueur de ce risque ignoré, et dans un traitement par statine étendu à cette catégorie de sujets, un moyen de le réduire.
C'est donc sur cette base que l'étude JUPITER a été lancée, dans 26 centres nord- et sud-américains, et européens, le financement étant assuré par Astra-Zeneca. Près de 80 000 personnes ont été sélectionnées pour aboutir au recrutement de 17 802 sujets, de 50 ans ou plus pour les hommes, de 60 ans ou plus pour les femmes (38 %), non diabétiques, sans antécédents cardiovasculaires personnels, présentant un LDL < 130 mg/dL et une CRP > 2 mg/L. Après randomisation, ils ont été traités par rosuvastatine (20 mg/j) ou placebo.
Lors de l'inclusion, les principaux paramètres étaient les suivants. Âge médian : 66 ans. IMC médian : 28,3 (rosuvastatine) ; 28,4 (placebo). PAS/PAD médianes : 134/80 mm Hg. Tabagisme : 87 %. Antécédents CV familiaux : 11,2 % ; 11,8 %. Syndrome métabolique : 41 % ; 41,8 %. Aspirine : 16,6 %. CRP médiane : 4,2 ; 4,3 mg/L. LDL médian : 108 mg/dL. HDL médian : 49 mg/dL. Cholestérol total médian : 186 ; 185 mg/dL. Triglicérides médian : 118 mg/dL. Glucose médian : 94 mg/dL. HbA1c médiane : 5,7 %. Filtration glomérulaire médiane : 73,3 ; 73,6 mL/min/1,73m2.
Prévue pour durer 4 ans, l'étude JUPITER a été interrompue après un suivi médian de 1,9 an (avec un maximum à 5 ans), sur décision du comité de surveillance. En premier lieu, l'activité de la statine tant sur les lipides que sur la CRP a été clairement confirmée — c'est d'ailleurs ce qui rend l'imputation de l'effet clinique si difficile.
JUPITER : évolution de la CRP et des lipides dans les 2 groupes (valeurs médianes dans le groupe rosuvastatine et placebo) 12 mois |
24 mois |
36 mois |
48 mois |
|
CRP (mg/L) |
2,2 - 3,5 |
2,2 - 3,5 |
2 - 3,5 |
1,8 - 3,3 |
LDL (mg/dL) |
55 - 110 |
54 - 108 |
53 - 106 |
55 - 109 |
HDL (mg/dL) |
52 - 50 |
52 - 50 |
50 - 49 |
50 - 50 (p = ns) |
Triglycérides (mg/dL) |
99 - 119 |
99 - 116 |
106 - 123 |
99 - 118 |
Sur le plan clinique, les résultats sur le critère primaire (IDM, AVC, revascularisation, hospitalisation pour angine instable, décès cardiovasculaire) et le critère secondaire (mortalité toutes causes) sont les suivants.
Evènements cliniques (nombre d'évènements / taux pour 100 années.patients) dans JUPITER Rosuvastatine (n = 8901) |
Placebo (n = 8901) |
RR |
p |
|
Critère primaire |
142 / 0,77 |
251 / 1,36 |
0,56 |
< 0,00001 |
IDM non fatal |
22 / 0,12 |
62 / 0,33 |
0,35 |
< 0,00001 |
IDM |
31 / 0,17 |
68 / 0,37 |
0,46 |
0,0002 |
AVC non fatal |
30 / 0,16 |
58 / 0,31 |
0,52 |
0,003 |
AVC |
33 / 0,18 |
64 / 0,34 |
0,52 |
0,002 |
Revascularisation |
71 / 0,38 |
131 / 0,71 |
0,54 |
< 0,0001 |
Hospitalisation pour angine instable |
16 / 0,09 |
27 / 0,14 |
0,59 |
0,09 |
IDM, AVC ou décès CV |
83 / 0,45 |
157 / 0,85 |
0,53 |
< 0,00001 |
Décès toutes causes |
198 / 1,0 |
247 / 1,25 |
0,80 |
0,02 |
En ce qui concerne les effets secondaires, un cas de rhabdomyolyse non fatal a été rapporté chez un patient de 90 ans, présentant une pneumonie et une myopathie d'origine traumatique. Ce patient était inclus dans le groupe rosuvastatine. Le nombre total de patients chez lesquels des effets musculaires ont été rapportés n'est toutefois pas significativement différent dans le groupe rosuvastatine (n = 19) et dans le groupe placebo (n = 9 ; p = 0,82).
En ce qui concerne les cancers, on note que l'incidence était équivalente dans les deux groupes, mais que 58 décès ont été rapportés dans le groupe placebo, contre 35 dans le groupe traité (p = 0,02). « Une différence très certainement due au hasard », a commenté Andrew Tonkin.
Reste une intrigante différence sur les chiffres du diabète. Malgré des glycémies à jeun équivalentes dans les deux groupes (98 mg/dL) et une même incidence de la glycosurie (36 cas dans le groupe rosuvastatine contre 32 dans le groupe placebo ; p = 0,64), un écart faible mais significatif est apparu pour l'HbA1c (5,9 % contre 5,8 % ; p = 0,001), tandis que 270 cas de diabète ont été rapportés dans le groupe traité contre 216 dans le groupe placebo (p = 0,01). Les auteurs soulignent cependant que ces cas n'ont pas été établis par le comité d'adjudication. Andrew Tonkin, de son côté, affirme que JUPITER ne fait apparaître « absolument aucun signal concernant la sécurité. »
Le bénéfice est évident, les conséquences à en tirer le sont moins
Au plan clinique, donc, les résultats de JUPITER apparaissent très positifs, et il faut s'attendre à ce qu'ils pèsent lourd dans les prochaines recommandations. « Les recommandations pour la prévention primaire seront certainement réexaminées sur la base de ces résultats », souligne Mark Hlatky (Standford), dans l'éditorial accompagnant la publication de JUPITER dans le NEJM. « Mais le périmètre adéquat de l'utilisation des statines dépend de la balance entre bénéfice et risque à long terme, et du coût. »
En fait, au vu des résultats de JUPITER, le principe d'une extension de la prévention primaire à des sujets qui n'en relèvent pas pour le moment, semble difficilement contestable. Le problème est qu'une telle extension concernera du monde, et pour longtemps. Il faudrait donc savoir précisément sur quoi elle repose — c'est le problème du mécanisme — et des critères pertinents pour situer la limite — c'est le problème de la signification, encore discutée, de la CRP.
S'agissant du mécanisme du bénéfice clinique, il est clair qu'il peut s'agir aussi bien d'un effet sur les lipides, que d'un effet anti-inflammatoire de la rosuvastatine — mais s'agit-il d'un effet sur la CRP elle-même, qu'il faudrait alors considérer comme facteur de risque en soi, ou d'un effet dont la CRP serait seulement marqueur ? — ou encore, d'un effet mixte. En faveur du double effet, sur les lipides et sur l'inflammation, les auteurs de JUPITER avancent l'argument suivant.
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Dr Gardner |
Dans un communiqué de l'AHA sur JUPITER, Thimothy Gardner (président de l'AHA) note ainsi que « l'étude n'était pas conçue pour distinguer un impact sur le risque dû à une réduction de l'inflammation ou à une réduction du LDL. »
Sur quel critère baser l'élargissement de l'indication des statines ?
Seconde question, avant d'envisager une forme ou une autre de dépistage de la CRP et sa conséquence en terme de traitement, il faudrait être certain de la pertinence du critère. « Une CRP élevée est associée aux principaux facteurs de risque cardiovasculaires », rappelle Andrew Tonkin. Sur cet aspect aussi, les auteurs de JUPITER avancent un argument : l'analyse par sous-groupe montre que chez les sujets dont le seul facteur de risque est une CRP élevée (IMC < 25, non fumeurs, score de Framingham < 10 % / 10 ans), le risque apparaît en fait comparable à ce qu'il est dans l'ensemble de la population recrutée. Ici encore, toutefois, la démonstration reste à faire.
Pour Mark Hlatky, « l'étude est conçue pour évaluer un traitement par statine et non le dépistage par dosage de la CRP. Une véritable évaluation du traitement guidé par la CRP devrait comporter une vérification directe de la valeur clinique de ce dosage. »
En d'autres termes, ce qui complique singulièrement la lecture des résultats de JUPITER, est que l'étude mêle deux questions — quand on sait qu'une bonne démarche scientifique consiste à ne faire varier qu'une inconnue à la fois. Pour cette raison, la notion d'un dépistage systématique de la CRP n'est pas à l'ordre du jour.
Quant au traitement des sujets actuellement considérés comme à faible risque, qui découlerait d'un tel dépistage, il reste, comme toujours en santé publique, à évaluer le bénéfice absolu qu'il procurerait. S'il est inévitable que JUPITER conduise les experts à se repencher sur les recommandations, les résultats de l'étude ne permettront pas, à eux seuls, d'en formuler de nouvelles.
Actualités Heartwire © 2008
Citer cet article: JUPITER montre un bénéfice de la rosuvastatine chez des sujets considérés à faible risque - Medscape - 10 nov 2008.
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