Éclairer le débat sur la mort subite

Pascale Solère

20 octobre 2008

Nice, France — La session portant sur « La mort subite » du 20e congrès du CNCF, co-animée par le Collège et la SFC, a réuni de très nombreux participants. [1] Et la communication du Pr Xavier Jouven (HEGP, Paris) sur les données épidémiologiques récentes qui ouvrait le débat apporte un nouvel éclairage.

Pr Jouven

« La mort subite ischémique a une incidence croissante avec l'âge, à la fois chez les hommes et chez les femmes même si celles-ci sont moins touchées. Mais elle tue plus de sujets jeunes que l'infarctus : avant 50 ans on a deux fois plus de décès par morts subites que par infarctus. Et si certains facteurs de risque sont bien connus — FEVG inférieure à 35 %, infarctus myocardique, antécédent d'arrêt cardiaque réanimé — et permettent de mettre en œuvre une prévention par implantation de défibrillateur interne, ils sont loin de rassembler tous les patients. Résultat, même en implantant tous les sujets à risque, il y resterait encore une majorité de vies à sauver en population générale. D'autant que le pronostic de la mort subite n'a pas évolué depuis 40 ans, calé à 98 % de décès, quand dans le même temps les infarctus létaux sont passés de 30 à 7 % » rappelle Xavier Jouven.

Un cœur de cible pas très différent de celui de l'infarctus à Paris : « Le SAMU de Paris a enregistré entre 1997 et 2005 environ 3895 cas de sorties pour morts subites et 3885 pour infarctus. Leur comparaison met en évidence que la mort subite touche un peu plus d'hommes (67 vs 69 %), un peu plus jeunes (64 vs 65 ans), qu'elle intervient souvent à domicile, mais moins que les infarctus (69 vs 83%) et se différencie surtout par le taux de décès sur place — quand on n'espère même pas pouvoir faire quelque chose — proche de 60 % pour la mort subite contre 0,3 % pour les infarctus. »

Des délais d'appel et d'intervention trop longs pour arriver à temps

« Les pompiers de Paris ont pris en charge 3600 cas de mort subite dont 488 hors domicile. La comparaison des morts subites hors du domicile versus à domicile montre que hors du domicile elle touche plus d'hommes (77 % hors domicile vs 55 % à domicile), plus jeunes (60 vs 76 ans), qui ont bénéficié de deux fois plus de chocs (45 vs 22 %) avec, à l'arrivée, une mortalité sur place réduite (61 vs 82 %). Quant au délai entre l'appel des secours et leur arrivée, il est dans tous les cas trop long — 9 vs 16 minutes à domicile — pour permettre de récupérer le patient si rien n'est entrepris avant… »

L'expérience menée en Seine et Marne (77) — l'étude DEFI77 — retrouve les mêmes taux de chocs (30 %), de survie (2 %) et de délais d'arrivée des secours. Mais avec une précision intéressante qui est le délai entre l'événement et l'appel, à 8 minutes en moyenne. Or ces 8 minutes durant lesquelles les témoins n'ont pas identifié ce qui se passait ou n'ont pas su qui appeler montre qu'il y a ici aussi de précieuses minutes à gagner.

Problématique de l'implantation des DAE et de la formation

« Les données épidémiologiques sont riches d'enseignement pour l'implantation en ville des défibrillateurs. Elles montrent que le positionnement géographique est primordial et délicat. Pour exemple, on a identifié un zone à risque à la Gare de Lyon mais une analyse détaillée montre que bon nombre de morts subites sont survenues à l'extérieur de la gare. Pas sûr donc qu'un DAE à l'intérieur de la gare soit le meilleur choix. Sans compter qu'il y aussi un problème de formation au DAE et au massage cardiaque. Les données françaises de l'INESP sur 7000 cas de morts subites/an confirment en effet l'efficacité du DAE et du massage. Leur analyse montre que les morts subites massées « survivent » 4 fois plus et les morts subites défibrillées 10 fois plus. Quant aux données nord-américaines publiées cette année (JAMA 2008), elles illustrent la variabilité des taux de survie qui vont de 1 à 8 % pour l'ensemble des morts subites et de 2 à 20 % pour celles réanimées. Des chiffres qui montrent que l'on peut d'autant plus gagner des vies que l'on forme les populations au DAE et au massage cardiaque. C'est en effet Seattle, ville où un vaste programme a été mis en place pour former 25 % de la population tous les 5 ans, qui a le taux de décès le plus bas » souligne X Jouven.

« Dans ce contexte nous avons proposé un vaste plan de formation sur 10-20 ans, divisé en deux actes » explique X Jouven :

  • Formation primaire des formateurs : STAPS, professeurs de gymnastique (EPS) par les organismes (croix rouge, sécurité civile).

  • Formation secondaire des collégiens : 1 heure avec un mannequin et un défibrillateur automatique externe par leur professeur.

À la recherche des facteurs génétiques

Les facteurs de risque ne sont pas tous identifiés et il existe très probablement des facteurs héréditaires. Dans la cohorte parisienne, le risque est en effet doublé si le père (n = 944) ou la mère (n = 281) a fait une mort subite, et presque multiplié par 10 si les deux parents ont fait une mort subite (n = 19) : RR = 1,9/ACTD chez un des parents ; RR = 9,4/ACTD chez chacun des parents.

Pour identifier ces facteurs génétiques, un programme Inserm de recueil prospectif de matériel génétique sur le terrain vient d'être lancé dans plusieurs villes (Paris, Lille, Lyon, Marseille, Nancy, Strasbourg, Dijon). Cette étude CARTAGENE (CARdiac ArresT And GENEtic) va comparer les profils génétiques de 2000 morts subites à 2000 infarctus. Affaire à suivre donc...

Implications pratiques

Au niveau du cardiologue, que peut-on faire pour réduire les morts subites ? Très simplement, nous pourrions déjà systématiquement :

  • interroger nos patients sur les antécédents familiaux de mort subite

  • chez les sujets à risque (ATCD d'infarctus...), encourager la formation des proches au massage ou au moins à reconnaître un arrêt cardiaque

  • lors de mort subite chez un sujet jeune, avoir le courage de demander une consultation avec ECG systématique de la fratrie et des enfants.


La mort subite du sportif jeune

Dr Guenoun

« Probablement 1500 à 4000 sportifs/an en France font une mort subite dont 90 % d'hommes avec une incidence de 1/200 000 chez les ados contre 1/18 000 chez les 25-35 ans. Les facteurs de risque sont : âge, sexe masculin, cardiopathie sous jacente et activité physique intense (classification de Bethesda 2005). Elle tend en effet à être d'autant plus fréquente que l'on recherche la performance même si d'un autre côté l'entraînement régulier protège, comme en témoigne le fait qu'après 35 ans la mort subite frappe 1/15 000 joggers contre 1/50 000 marathoniens » résume le Dr Maxime Guenoun
(Marseille).

Mais de quoi meurt-on à l'effort ? Principalement de causes cardiovasculaires (90 %), dominées par des troubles du rythme :

  • avant 35 ans, trois fois sur quatre d'origine cardiogénique (cardiomyopathie hypertrophique, anomalies du rythme et de la conduction — QT longs, Brugada… —, valvulopathies)

  • après 35 ans, neuf fois sur dix d'origine coronaire (accident coronaire à l'effort). Avec une participation probable chez les athlètes du dopage, notamment des stimulants, cocaïne, bêta 2 agonistes, voire des diurétiques qui majorent le danger lors de substrat arythmique.

Quant aux clés de la prévention, « elles reposent sur l'examen clinique, l'interrogatoire avec recherche d'antécédents, de signes fonctionnels, d'HTA et d'un souffle cardiaque systématiquement complétés par un ECG plus une échographie » selon M Genoum.

Les canalopathies : des maladies rares mais invisibles

« Si l'infarctus du myocarde et la cardiomyopathie dilatée sont de loin les plus grands pourvoyeurs de mort subite, il ne faut pas oublier les minorités visibles — cardiomyopathie hypertrophique, dysplasie arythmogène du ventricule droit et myopathies — mais aussi invisibles, comme les canalopathies avec atteinte cardiaque purement électriques » rappelle le Dr Olivier Piot (Centre Cardiologique du Nord, Saint-Denis).

Parmi les canalopathies :

  • le syndrome de Brugada qui compterait pour 50 % des morts subites à coeur « normal » et constitue une indication au DAI si symptomatique.

  • le syndrome du QT long (fréquence : 1/5 000), rarement traité par DAI mais plutôt par bêtabloquant, avec une grande attention à éviter les médicaments qui allongent le QT ou réduisent la kaliémie).

  • le syndrome du QT court relevant du DAI si symptomatique.

  • le syndrome de repolarisation précoce, nouvel entrant décrit par le Pr Haïssaguerre cette année [2] avec 30 % de fibrillation ventriculaire dans sa série. 

« Le diagnostic de ces atteintes peut permettre de prévenir les morts subites tant chez le patient qui consulte que chez les membres de la famille identifiés lors du dépistage familial. Il est donc primordial d'y penser chez un patient consultant pour des syncopes, sans hésiter à demander un avis à un rythmologue sur un tracé ECG pas toujours évident à interpréter. Ceci même si nombres de fibrillations ventriculaires restent encore aujourd'hui idiopathiques. »

DAI et insuffisance cardiaque : les recommandations 2008

« Le taux de mort subite est important dans la cardiopathie dilatée symptomatique. La prise en charge, en particulier les bêtabloquants, ont certes amélioré le pronostic. Mais il reste sombre avec 20-25 % de décès à 5 ans, dont la moitié par mort subite. Le risque augmente avec la réduction de la FEVG. Et de nombreuses études ont investigué le bénéfice de l'implantation » rappelle le Dr Jacques Mansourati (Brest).

Résultat, en 2008, les indications des DAI chez les patients présentant une espérance de vie supérieure à 1 an sont [3] :

  • prévention IIaire : après arrêt cardiaque réanimé ou fibrillations ventriculaires associées à FEVG < 40 % sous traitement optimal (grade IA)

  • prévention IIaire : 40 jours après infarctus IC ischémique de grade II-III, FEVG < 35 % sous traitement optimal (grade IA)

  • prévention Iaire : IC non ischémique de grade II-III, FEVG < 35 % sous traitement optimal (grade IB)

« Mais attention, la publication de Goldenberg (JACC 2008) montre qu'au delà de 1-3 facteurs de risque de mort subite, il n'y a plus de bénéfice à implanter. »

De la même manière, qui implanter dans les cardiomyopathies hypertrophiques ?

On manque de données, néanmoins les dernières recommandations américaines (ACC/AHA 2008) concluent à « l'implantation raisonnable dès qu'il existe un facteur majeur de risque de mort subite (grade IIa C). Sachant que dans la cardiomyopathie hypertropique les facteurs de risque sont : TV non soutenue, antécédent familial, syncope inexpliquée, hypertrophie sévère du VG (30 mm), inadaptation tensionnelle à l'effort.

« Les recommandations américaines sont loin des pratiques françaises mais pas nécessairement excessives. Et elles soulignent à quel point on est loin du compte en France » selon J Mansourati.

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