Exeter, R-U — Connu pour ses effets oestrogènes-like et très utilisé dans les emballages alimentaires, il y a longtemps que l'on soupçonnait le bisphénol A d'effets hépatiques, pancréatiques et diabétogènes. Mais avec quelques 2 millions de tonnes fabriquées chaque année dans le monde, et une demande en croissance de 6 à 10 % par an, le bisphénol A figure parmi les valeurs sûres de la chimie. Du moins jusqu'à présent. Car la première grande étude épidémiologique à examiner les effets de ce produit sur la santé humaine, pourrait se solder par un « crack » salvateur [1].
Des résultats, publiés dans le Journal of the American Medical Association, confirment en effet chez l'homme le risque de diabète associé à l'exposition au produit, déjà mis en évidence chez l'animal. Ils font par ailleurs ressortir une association entre exposition au bisphénol A et maladies cardiovasculaires : angine de poitrine, maladie coronarienne, et IDM.
Seul le Canada a classé le bisphénol A comme un produit toxique
Le bisphénol A est largement utilisé dans divers types d'emballages alimentaires : résine époxy des cannettes de boissons, polycarbonates, dont le bisphénol A constitue le monomère. À cela s'ajoute des utilisations plus marginales en terme d'exposition alimentaire directe, comme les ciments dentaires. Toutefois, vu la contamination des sols et des eaux de boissons, les sources d'exposition sont de moins en moins spécifiques et les voies cutanée et respiratoire doivent aussi être envisagées.
Résultat, on estime que plus de 90 % de la population américaine présente aujourd'hui des taux détectables de bisphénol A, et que son exposition excède probablement fréquemment le seuil de 50 µg/kg/jour, recommandé par l' Environnemental Protection Agency (EPA) américaine.
Des effets hépatiques et diabétogènes chez l'animal...
Les effets oestrogéniques de la molécule ont été largement étudiés. Mais les travaux chez l'animal ont également révélés d'autres effets au niveau des hépatocytes et des cellules bêta-pancréatiques. Que le bisphénol A soit administré par injections ou voie orale, des doses/kg très inférieures au seuil d'exposition retenu par l'EPA, suffisent à provoquer un état d'insulino-résistance — en quatre jours, si le produit est injecté.
Conséquence logique, un effet obésogène a également été relevé. Ces effets inattendus sont attribués à la fixation du bisphénol A sur le récepteur oestrogénique gamma, dont on ne connait pas la fonction.
...doublés d'effets cardiovasculaires chez l'homme
Chez l'homme, on manquait jusqu'à présent de données corroborant les observations chez l'animal. C'est maintenant chose faite grâce aux données de la National Health and Nutrition Examination Survey 2003-2004 . Dans un échantillon de 694 hommes et 761 femmes, représentatif de la population américaine, les corrélations suivantes ont été constatées.
Risques relatifs de maladie CV et de diabète associés à une augmentation de 1 DS de la concentration urinaire de bisphénol A (modèle entièrement ajustée) RR |
p |
|
Toutes maladies CV |
1,39 |
0,001 |
Angine |
1,28 |
0,006 |
Coronaropathie |
1,63 |
0,006 |
IDM |
1,40 |
0,008 |
Diabète |
1,39 |
< 0,001 |
Pour l'arthrose, le cancer, les maladies hépatiques, les maladies respiratoires (asthme, bronchite, emphysème), les AVC et les maladies thyroïdiennes, les corrélations ne sont pas significatives.
Sur le plan métabolique, des corrélations restant significatives après ajustements complets, ont été constatées entre concentration urinaire de bisphénol A et taux de phosphatase alcaline (p = 0,01), de lactate déshydrogénase (p = 0,04) et de gamma-GT (p = 0,001). Comme le souligne l'éditorial du JAMA, dans le suivi longitudinal de la population de Framingham, les taux de gamma-GT se sont révélés prédictifs des maladies métaboliques, des maladies cardiovasculaires et d'une mortalité accrue.
Comme il y en a partout, il va être difficile de réduire l'exposition
Au total donc, les effets hépatiques et diabétogène du bisphénol A, constatés chez l'animal, ont été retrouvés chez l'homme, doublés d'une association avec les maladies cardiovasculaires, dont « le mécanisme sous-jacent n'est pas évident », notent les auteurs.
En pratique, la limitation de l'exposition au bisphénol A s'annonce difficile. Une étude japonaise, menée de 1992 à 1999, et comparant le régime alimentaire à la concentration urinaire de bisphénol A, avait conclut que les cannettes de boissons constituaient la principale source d'exposition alimentaire [2]. Le problème est que la voie alimentaire est loin d'être la seule.
« Eliminer l'exposition directe au bisphénol A, liée à son utilisation dans les emballages alimentaires, sera incomparablement plus facile que de trouver des solutions à la contamination massive, et mondiale, des sols et des écosystèmes aquatiques », soulignent les éditorialistes Frederick S vom Saal (Université du Missouri) et John Peterson Myers (Charlottesville, Virginie) [3].
Alors autant commencer le plus rapidement possible, comme l'ont déjà fait les Canadiens.
Dans leur éditorial du JAMA, ils notent que « la FDA et les autorités européennes de sécurité alimentaire ont jusqu'à présent choisi d'ignorer les avertissements de différents panels d'experts et d'agences gouvernementales » — en particulier canadiennes, puisque ce pays vient de classer le bisphénol A comme un produit toxique, justifiant des mesures drastiques pour limiter l'exposition humaine et environnementale [3]. Mais il est probable que l'attitude européenne et américaine va devenir de plus en plus difficile à tenir.
Ils estiment nécessaire « une réplication indépendante » de leurs résultats, si possible avec un suivi longitudinal permettant de prouver formellement le rôle causal du bisphénol A. Mais cette prudence relève peut-être davantage de la figure imposée, que de la persistance d'un véritable doute.
« En attendant la confirmation des résultats, réduire l'exposition au bisphénol A et développer des alternatives à son utilisation constituent logiquement les prochaines étapes pour limiter les risques de santé publique » concluent-ils. Le problème, évidemment, étant « les campagnes agressives de désinformation de l'industrie, basées sur les techniques déjà éprouvées pour le plomb, le vinyle et le tabac. »
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Citer cet article: L'exposition au bisphénol A est associée au diabète et aux maladies CV - Medscape - 30 sept 2008.
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