Jusqu'où et comment baisser les glycémies chez le diabétique ? Les leçons des grandes études

Pascale Solère

6 octobre 2008


Pr Bernard Charbonnel (Nantes)

« Il y a aujourd'hui une convergence de données qui tend montrer que dans le diabète 2, faire baisser la glycémie de façon intensive exerce sans doute une effet marginal en terme de prévention CV, du moins chez les patients bien traités pour les autres facteurs de risque. On ne peut pas pour autant en conclure qu'il faut négliger l'hyperglycémie du diabétique, d'autant que les patients d'ACCORD, et dans une moindre mesure d'ADVANCE, bénéficiaient d'une prise en charge optimale des autres facteurs de risque CV — cholestérol, PA — à des années lumières de ceux d'UKPDS débutée en 1977. C'est pourquoi en 2008, pour prévenir le risque CV du diabétique 2, il faut donner des statines à bonne dose, essayer de normaliser la PA, éventuellement réduire le risque thrombotique. En ce qui concerne l'hyperglycémie, les recommandations françaises restent d'actualité, en soulignant l'importance d'une valeur stricte d'HbA1c au stade précoce de la maladie, avant l'installation des complications. Il est vraisemblable que, plus tard, lorsque les complications sont installées, le contrôle de l'hyperglycémie a moins d'impact, du moins à moyen terme. »

Rome, Italie — « Jusqu'où aller dans l'intensification du contrôle glycémique chez les diabétiques ? » C'est LA question actuelle en diabétologie. Et le Pr Cliff Bailey (Aston université, Birmingham, Royaume-Uni), éditeur du Bristish Journal of Diabetes and Vascular Disease, a relevé le gant à Rome lors du congrès de l' European Association for the Study of Diabetes (EASD).[1] Son exposé en séance plénière propose une lecture critique des diverses études d'intensification d'où il ressort, en résumé, que l'intensification, si elle peut être bénéfique, ne doit pas être menée au pas de charge et à tout prix chez n'importe quel patient en particulier en terme de prix à payer quant aux hypoglycémies sévères.

Hyperglycémies et complications

Pr Bailey

Globalement « Hyperglycémie + temps = complications. Or si l'histoire a montré qu'améliorer le contrôle glycémique réduit les complications microvasculaires et dans une moindre mesure les complications macrovasculaires, arriver à atteindre et maintenir un bon contrôle est notoirement difficile. Et viser la normoglycémie est délicat. En effet, quand le contrôle intensif approche la normale, le risque d'hypoglycémies augmente. Enfin, il ne faut pas oublier que le diabète est une maladie complexe et évolutive de l'insulinorésistance à l'insulinopénie. On n'a donc sûrement pas le même impact à intensifier le contrôle glycémique à ces différentes phases » résume C Bailey.

Partant de là, quelles conclusions tirer des récentes études d'intervention intensives ACCORD, ADVANCE et VADT et de l'excès de décès dans le bras intensif qui a motivé l'arrêt précoce d'ACCORD ?

Mise en perspectives d'UKPDS, ACCORD, ADVANCE et VADT

« Parmi les études d'intensification, UKPDS débutée dans les années 1980, est la seule à porter sur des diabétiques nouvellement diagnostiqués. Elle a montré que pour chaque % d'HbA1c, on réduit les complications micro- et macrovasculaires dans un continuum. À la fin des 15 ans d'interventions en moyenne, on est pour le microvasculaire à -25 %; p = 0,0099 et pour les infarctus à -16 %; p = 0,052, à la limite de la significativité, dans les bras intensifs (HBA1c 7 %) versus conventionnel (HbA1c 7,9 %).

Depuis, de nombreuses méta-analyses sont venues confirmer le poids du taux d'HbA1c sur le risque d'infarctus. Dans EPIC-NORFOLK, le risque de décès cardiovasculaire est corrélé au taux d'HbA1c chez les hommes comme chez les femmes. On le retrouve même chez les intolérants au glucose (étude DECODE).

Or, à la différence d'UKPDS, ACCORD, ADVANCE et VADT ont été menées chez des « vieux » diabétiques (durée de la maladie, âge) présentant déjà un haut risque cardiovasculaire. ACCORD et ADVANCE montrent un bénéfice en terme de complications microvasculaires.

Néanmoins, aucune ne met en évidence d'impact significatif de l'intensification sur les complications macrovasculaires. Probablement parce qu'on arrive trop tard dans la maladie, qu'elles n'ont pas été prolongées assez longtemps — à l'arrêt d'ACCORD les courbes d'événements étaient en train de se séparer — mais aussi parce que les autres facteurs de risque cardiovasculaires étaient par ailleurs très bien contrôlés, en particulier dans VADT » explique C Bailey.

UKPDS, ACCORD, ADVANCE, VADT : contrôle glycémique intensif vs traditionnel dans le diabète de type 2


Étude
Nb pts ; Fin étude
Type de patients
Durée moyenne interven-tion
HbA1c
T0
HbA1c
Fin/bras classique
HbA1c
Fin/bras intensif
Décès (%) intensif/ standard
Effets associés à intensification
Hypoglycémies bras intensif (%/an)
UKPDS
n = 5102 ; 1998
Nouveau diabète, 53 ans
10 ans
7,1 %
7,9 %
7,0 %
1,8/1,8
(-) microvasc.
(-) macrovasc.
Su 1,4 %/an
Ins 1,8 %/an
ACCORD
n = 10251 ; 2008
Diabète >10 ans Haut risque CV, 63 ans
3,5 ans
8,1 %
7,5 %
6,4 %
5,0/4,0
(-) microvasc.
(+) décès
(-) évts CV
4,6 %/an
ADVANCE
n = 11140 ; 2008
Diabète > 8 ans Haut risque CV, 66 ans
5 ans
7,2 %
7,3 %
6,5 %
8,9/9,6
(-) microvasc.
(-) évts CV
0,7 %/an
VADT
n = 1791 ; 2008
Diabète 11,5 ans Haut risque CV, 60 ans, 97 % d'hommes
6 ans
9,4 %
8,4 %
6,9 %
10/10
microvasc. légèrement
(+) décès CV
(-) évts CV
~4 %/an

« Quant à l'excès de décès observé d'ACCORD, il est très probablement lié au taux très important d'hypoglycémies graves qui atteint les 4,6 % par an dans le bras intensif. D'autant que dans cette étude l'intensification a été menée au pas de charge, les patients étaient à la cible d'HbA1c de 6,5 % en moyenne en 6 mois dans ACCORD contre 1-2 ans dans le bras intensif d'ADVANCE... Or, être en hypoglycémie majore le risque de décès lors d'infarctus en population générale. Et il est fort probable que les hypoglycémies majorent aussi le risque de décès lors d'infarctus chez les diabétiques. Sur modèle animal, chez le rat, les antécédents d'hypoglycémies augmentent le risque de tachycardie induite par une hypoglycémie. Et lors d'infarctus chez le diabétique, la réponse métabolique étant déficiente, le risque de décès augmente. C'est pourquoi tout porte à croire que l'excès de décès dans ACCORD est en rapport avec ces hypoglycémies. »

Hypoglycémies sévères requérant l'assistance d'un tiers


Étude
Fin
Duré (ans)
Type de patients
HbA1c finale
Bras conventionnel
HbA1c finale
Bras Intensif
Hypoglycémies
Bras Conventionnel
Hypoglycémies
Bras intensif
UKPDS
1998
10 +
Nouveau diagnostic
7,9 %
7,0 %
0,7 %/an
1,4-1,8 %/an
(Ins -SU)
PROactive
2005
3
Haut risque CV
7,5 %
6,9 %
0,14 %/an
< 0,25 %/an
ADOPT
2006
4+
Diagnostic récent
-
6,9-7,4 %
-
< 0,2 %/an
Steno-2
2006
13,3
+ microalbuminurie
8,0 %?
7,7 %
~1 %/an
~1%/an
4T
2007
1+
Pas insuline, diagnostic > 1 an
_
7,2-7,6 %
-
0 %/an
ACCORD

3,5+
Haut risque CV Agé
7,5 %
6,4 %
1,4 %/an
4,6 %/an
ADVANCE
2008
5+
Haut risque CV Âgé
7,3 %
6,5 %
0,4 %/an
0,7 %/an
VADT
2008
6+
Haut risque CV Agé
8,4 %
6,9 %
~1,6 %/an
~4 ? %/an

Coller aux recommandations dans une approche individualisée

 
L'association hypoglycémies/coeur diabétique peut majorer la susceptibilité aux infarctus létaux. C'est pourquoi l'intensification doit être individualisée — Pr Bailey (Birmingham, R-U)
 

« Les études récentes ont confirmé qu'intensifier le contrôle glycémique réduit les complications microvasculaires avec un bénéfice augmenté quand on s'approche de la normoglycémie. Mais le risque d'hypoglycémies reste problématique et aller vers une normalisation glycémique à tout prix peut augmenter le risque de décès chez des sujets "vulnérables". En effet, l'association hypoglycémies /coeur diabétique peut majorer la susceptibilité aux infarctus létaux. C'est pourquoi l'intensification doit être individualisée » résume C Bailey.

En pratique, quelle prise en charge ?

Partant de là, en pratique clinique, que faire ? Selon C Bailey, la prise en charge doit être :

  1. INDIVIDUALISÉE parce que la maladie varie d'un individu à l'autre, évolue dans le temps et est associée à diverses complications,

  2. PRÉCOCE pour contrer l'effet mémoire, un mauvais contrôle précoce pesant sur les complications à long terme,

  3. ASSEZ INTENSIVE pour réduire les complications sans induire d'hypoglycémies (viser la normalisation mais avec une sécurité thérapeutique adéquate),

  4. PRATIQUE pour être obtenue en toute sécurité sans contraindre indûment le patient,

  5. INTÉGRÉE à une prise en charge globale du risque cardiovasculaire incluant un contrôle des lipides, de la pression artérielle, du risque thrombotique et du surpoids.

« Les recommandations actuelles — qui visent une HbA1c à 6,5 % en début de maladie et autour de 7 % ensuite — sont appropriées. Mais elles doivent être appliquées avec souplesse en intégrant la situation de chaque patient. Les études récentes ont mis, en effet, en évidence les limitations et précautions nécessaires à un contrôle particulièrement intensif. Le contrôle intensif est indiqué chez de nombreux patients mais pas pour tous, d'où la nécessité d'individualiser les cibles » conclut C Bailey.

Risque cardiovasculaire et antidiabétiques : qu'attend la FDA ?

Dans un éditorial du NEJM accompagnant la publication du suivi d'UKPDS, Allisson Goldfine, membre du Comité Endocrinologie Métabolisme de la FDA fait le point sur ce que proposent les experts réunis par la FDA après le débat sur les pioglitazones, ACCORD et ADVANCE. [2]

Il en ressort qu'au delà de l'effet potentiellement favorable des antidiabétiques au niveau cardiovasculaire, dont il est bien précisé qu'il reste difficile à démontrer même si la glycémie pèse sur le risque cardiovasculaire, la FDA est aujourd'hui essentiellement soucieuse d'écarter tout surrisque cardiovasculaire.

Conclusions :

1. L'AMM devrait continuer à être délivrée sur la base d'études portant sur leur activité sur l'HbA1c

2. La FDA pourra demander la programmation d'études de sécurité cardiovasculaire, en deux étapes :

  • des études randomisées sur les événements cardiovasculaires avec une limite haute pré-spécifiée pour écarter un excès de risque, peut être avant l'AMM,

  • des études post-marketing plus vastes et longues destinées à établir plus clairement le bénéfice-risque.


Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....