Le stress au travail, désormais reconnu par les Pouvoirs publics, participe au risque cardiométabolique

Dr Corinne Tutin

18 juillet 2008

Paris-France — Longtemps occultés, les problèmes liés à la survenue du stress au travail sont aujourd'hui admis, même s'ils sont encore insuffisamment pris en compte. Il était temps. Selon l'INRS (Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles), 20 % des salariés européens estiment en effet que leur santé est affectée par des problèmes de stress au travail, ce qui en fait l'un des principaux risques sanitaires liés à l'activité professionnelle derrière les problèmes lombaires, les troubles musculo-squelettiques et la fatigue (données de la dernière enquête de la Fondation européenne pour l'amélioration des conditions de travail) [1].

Des risques cardiovasculaires reconnus par l'INRS

Plusieurs pathologies, qui peuvent être favorisées par le stress au travail, intéressent les cardiologues. Ainsi, l'INRS estime « qu'un état de stress chronique peut se traduire au fil du temps par un syndrome métabolique associant différents symptômes tels que l'obésité abdominale, la résistance à l'insuline, l'hypertension artérielle et des perturbations du métabolisme des lipides (cholestérol, triglycérides...) ».

Cet organisme rappelle également « qu'on a pu démontrer un risque accru de maladies coronariennes et même de décès par maladie cardiovasculaire chez des personnes exerçant une activité professionnelle sans grande marge de manœuvre » et souligne que « les accidents vasculaires cérébraux sont également plus fréquents en cas de situation stressante du travail ».

Le stress professionnel joue-t-il un rôle dans la survenue de l'HTA ?

« Le rôle des facteurs professionnels dans l'hypertension artérielle n'est pas toujours retrouvé et est plus faible que pour d'autres paramètres comme la consommation d'alcool et les facteurs ethniques », rappellent N Barbini et coll. [2]. Après avoir analysé les caractéristiques de 1104 travailleurs de 32 à 52 ans de six régions italiennes, ces auteurs concluent cependant que certaines caractéristiques du travail d'ordre physique ou cognitif peuvent majorer la probabilité de survenue d'une hypertension artérielle.

 
L'HTA apparaît davantage comme une maladie de cols bleus que de cols blancs. 
 

En réalité, l'HTA apparaît davantage pour ces spécialistes « comme une maladie de cols bleus que de cols blancs ». Elle serait favorisée par le travail posté (odds ratio de 1,33), des postures inconfortables (odds ratio de 1,71), l'exposition à la chaleur (OR de 1,43). Cependant, entreprendre plusieurs tâches à la fois, être interrompu ou ne pouvoir quitter son travail des yeux pourraient aussi être des facteurs associés à l'apparition d'une hypertension (odds ratio de respectivement 1,41, 1,35 et 1,61).

Des spécialistes japonais de l'université de Yokohama vont plus loin et considèrent qu'il faudrait mesurer plus fréquemment la pression artérielle sur le lieu de travail [3]. Après avoir comparé 38 salariés de 50 à 69 ans ayant des fonctions de management et 22 retraités de 60 à 65 ans, ces auteurs ont en effet observé que les chiffres tensionnels étaient plus élevés dans la journée chez les premiers alors qu'on n'observait pas de différence entre les deux groupes la nuit durant le sommeil. Certains de ces salariés, ayant des fonctions managériales, présentaient aussi des HTA masquées dans la journée, uniquement repérables en MAPA.

Un impact particulièrement important en cas de stress subis, contradictoires et durables

« Le phénomène n'épargne plus aucun secteur d'activité » déplore l'INRS, qui évalue entre 830 et 1656 millions d'euros le coût social du stress au travail en France, ce qui équivaut à 10 à 20 % du budget de la branche d'accidents du travail/maladies professionnelles de la Sécurité sociale. Le stress, qui pourrait être à l'origine de 50 à 60 % des journées de travail perdues sur le Vieux continent, aurait un coût de 20 milliards d'euros dans l'ensemble de l'Europe des quinze selon une enquête effectuée en 1999 par l'Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail dans les 15 États membres.

Les principaux facteurs, qui exposent à ce stress professionnel, sont liés aux contenu du travail lui-même (charge importante, exigences de qualité et de vigilance...) mais aussi à l'organisation des tâches (flux tendu, absence de contrôle, horaires peu adaptés aux rythmes biologiques et sociaux...), à l'environnement socioéconomique de l'entreprise, à la présence de nuisances (bruit, chaleur...), aux caractéristiques des relations de travail (absence d'aide de la part des collègues, management peu participatif, faible reconnaissance du travail accompli...).

 
48 % des salariés admettent travailler dans l'urgence. 
 

Leur impact est d'autant plus important que les facteurs de stress sont nombreux, durables, subis ou, pis, contradictoires (forte exigence de productivité avec faible marge de manoeuvre ou faibles bénéfices, financiers ou autres). De fait, les conditions de travail sont aujourd'hui perçues comme très contraignantes par les salariés français. Selon les données des enquêtes SUMER 2003 et « conditions de travail » 2005, effectuées par le ministère du travail, pas moins de 60 % d'entre eux déclarent ainsi devoir fréquemment interrompre une tâche pour en commencer une autre, tandis que 48 % admettent « travailler dans l'urgence ». En outre, 42 % des salariés en contact avec le public se plaignent de vivre des situations de tension avec celui-ci.

Mieux apprécier le risque en regardant l'absentéisme, le turn-over et les offres d'emploi non pourvues dans les entreprises

Le « rapport sur la détermination, la mesure et le suivi des risques psychosociaux au travail », qu'ont remis le 12 mars 2008 le Dr Patrick Légeron, psychiatre, et Mr Philippe Nasse, magistrat, propose quelques pistes d'intervention [4].

De prime abord, afin d'établir un bilan des problèmes rencontrés, les auteurs préconisent d'entreprendre chaque année sous la responsabilité de l'Insee une enquête psychosociale, qui évaluerait sur un échantillon représentatif de salariés français les relations entre les conditions sociales et l'état psychologique des travailleurs. Ils conseillent aussi d'utiliser de nouveaux indicateurs, qui pourraient par exemple se fonder sur le pourcentage des arrêts de maladie de courte durée, le taux de rotation du personnel ou les offres d'emploi non satisfaites.

Autre mesure phare proposée dans ce document et qui n'est guère étonnante après la vague de suicides récemment constatée dans des entreprises de l'Hexagone : la réalisation systématique « d'autopsies psychologiques » de tous les suicides recensés sur le lieu de travail. Une campagne d'information sur le stress au travail devrait aussi être mise en place et des investigations et des expériences pilotes être lancées dans la fonction publique, car après tout, l'État doit montrer l'exemple.

Enfin, il est prévu de mieux informer les entreprises sur le stress professionnel, ce qui pourrait passer en partie par la création d'un portail Internet spécifique et la remise aux chefs d'entreprises de référentiels de prévention.

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