Paris, France — La question de l'impact du psychisme sur la santé coronaire et vasculaire fait l'objet de multiples publications.
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Dr Lahlou-Laforet |
Mais si cet impact commence à être connu et reconnu, quid de la prise en compte de ce facteur dans la pratique quotidienne du cardiologue ? Heartwire a interrogé le Dr Khadija Lahlou-Laforet du service du Pr Silla Consoli à l'Hôpital Européen Georges Pompidou (Paris) qui prend régulièrement en charge des patients cardiaques.
Heartwire : Que pensez-vous des effets du stress en cardiologie que résume dans son article Joel Dimsdale ?
Dr K Lahlou-Laforet : J Dimsdale est un spécialiste de cette question et cet article offre une revue très complète de ce sujet. En fait, le stress désigne à la fois les facteurs de stress, ou stresseurs, et la réaction physiologique de l'organisme face à ces facteurs. Le stress professionnel a des effets reconnus sur la survenue et l'évolution des maladies cardiovasculaires, en particulier lorsque les patients ont l'impression d'une absence de reconnaissance quel que soit l'effort fourni. D'autres facteurs de stress, tels que les événements de vie, les deuils ou les séparations, sont interprétés par les patients comme des déclencheurs d'événements cardiaques. Néanmoins, on ne doit pas oublier que dans les affections cardiovasculaires, les facteurs psychiques interviennent en amont certes mais aussi en aval. Il est donc essentiel, lorsqu'un patient se plaint de stress, qui est en réalité un mot très vague, de penser à la possibilité d'une dépression. Or, bien souvent, les aspects de la dépression sont atypiques chez les malades coronariens qui sont fréquemment des sujets très actifs. Ces patients ne sont pas forcément tristes au premier abord, mais présentent des troubles du sommeil, sont irritables et ont perdu la capacité à éprouver du plaisir. Pour ce motif, il ne faut pas hésiter, à mon avis, à demander aux patients cardiaques « si leur moral est bon ». Il est aussi important d'aborder la question d'éventuels troubles sexuels, qui peuvent impliquer à la fois des paramètres liés au psychisme, aux atteintes vasculaires et à la prise de bêtabloquants.
Comment le cardiologue peut-il intervenir à ce niveau ?
Dr K Lahlou-Laforet : Beaucoup de cardiologues s'intéressent aujourd'hui à ces questions et notre équipe, qui est spécialisée dans la prise en charge des problèmes psychiques associés aux maladies somatiques, travaille en étroite collaboration avec beaucoup d'entre eux, ce qui se passe très bien. Il est vrai que certains cardiologues se sentent encore mal à l'aise face à ces problèmes, souvent, je crois par modestie et parce qu'ils ont peur de s'écarter de leur domaine de compétence. Certains praticiens ont aussi l'impression qu'en abordant la question du psychisme, ils vont ouvrir une boîte de Pandore, qu'ils ne pourront plus refermer et qu'ils vont induire des troubles en en suggérant l'existence. Ce qui est faux évidemment. En fait, dans mon expérience, le mot « stress » est un très bon terme pour introduire le dialogue en consultation, car il fait moins peur que celui de « dépression ». Les malades cardiaques acceptent très bien que l'on évalue avec eux ce paramètre comme on doit le faire pour les facteurs de risque cardiovasculaires classiques, cholestérol, tabac... En effet, dans notre civilisation, se déclarer « stressé » est souvent considéré comme valorisant voire héroïque, car cela signifie que l'on est très occupé et que l'on a beaucoup de responsabilités. En vérité, beaucoup de patients se sentent très soulagés lorsque le cardiologue aborde de lui-même les relations entre facteurs psychologiques et maladie cardiovasculaire ou leur propose éventuellement de les adresser à un psychiatre ou un psychologue avec lesquels ils pourront s'entretenir s'ils le souhaitent. Cela ne pose aucune difficulté particulière, dès lors que le cardiologue se sent en confiance pour mener cette discussion avec ses patients en utilisant ses propres mots et qu'il a l'habitude de collaborer avec des correspondants psychiatres ou psychologues.
Quelles sont les relations entre infarctus du myocarde et psychisme ?
Dr K Lahlou-Laforet : La survenue d'un infarctus du myocarde constitue toujours un événement majeur dans la vie d'un individu, même s'il est traité rapidement et efficacement. L'angoisse de mort brutale, qui lui est associée, diffère de même que pour les troubles du rythme de l'angoisse de mort des patients cancéreux. Face à la peur de décéder subitement, les patients réagissent cependant de façon très variable. Certains le font par une certaine forme de déni et de sous-estimation de la gravité de la maladie, ce qui constitue une forme de défense psychique qu'il faut respecter à condition que les patients prennent correctement leurs médicaments et continuent à bien se faire suivre. D'autres adoptent un comportement hyperactif ou au contraire se replient.
Une réaction de tristesse avec pleurs, un découragement sont normaux après un infarctus. Mais, il faut se méfier et suspecter alors la présence d'une dépression, si après plusieurs mois, le patient n'a pas repris son travail, n'a pas de projets, décrit une absence d'allant dans les diverses activités de sa vie quotidienne, continue de mal dormir, se sent fatigué, ou si l'entourage, et notamment le conjoint, rapporte des énervements fréquents pour des causes minimes. Beaucoup d'études, comme celles québécoises de Nancy Frasure-Smith et de François Lespérance ont en effet démontré que la présence d'une telle dépression aggrave le pronostic en termes de mortalité après un infarctus et majore même le risque de récidive [2][3]. Pour cette raison, il me semble que l'on devrait effectuer un dépistage systématique de la dépression, dans les semaines qui suivent un événement coronaire aigu, à l'aide d'instruments simples de dépistage de la dépression.
Où en est-on du fameux type A et de ses relations avec l'infarctus du myocarde ?
Dr K Lahlou-Laforet : La relation entre infarctus du myocarde et personnalité de type A (sujets hyperactifs à l'esprit de compétition luttant contre le temps et les autres, désireux de gagner à tout prix) est actuellement très controversée, des études négatives ayant été décrites après les premières études positives.
En réalité, le risque d'infarctus du myocarde semble concerner un « noyau dur » de patients parmi ceux de type A. Ce n'est pas la perception d'urgence, qui semble tellement nocive pour le cœur, mais le sentiment permanent d'hostilité et de « méfiance cynique », que présentent certains individus vis-à-vis des autres et des événements.
Ce sont des sujets qui, sans être paranoïaques et imaginer des complots, sont souvent enclins à la colère et à la méfiance, s'énervent pour de petites choses, ont tendance à considérer la vie comme un combat permanent et ont du mal à imaginer la bienveillance des autres.
Plus récemment, un autre type de personnalité a été identifié par l'équipe de J Denollet en Belgique, qui paraît lui aussi majorer la probabilité d'affection coronarienne et favoriser le risque de dépression après un infarctus du myocarde, les personnalités de type D [4]. Il s'agit là de sujets qui sont inhibés dans leurs relations sociales et qui éprouvent des émotions négatives, avec sentiments de découragement, ruminations, anxiété, tristesse sans être cependant véritablement déprimés.
Qu'en est-il des relations entre anxiété et maladies cardiovasculaires ?
Dr K Lahlou-Laforet : Les troubles anxieux sont souvent associés aux maladies cardiovasculaires. Beaucoup de sujets souffrant de trouble panique sont d'ailleurs vus initialement aux urgences cardiovasculaires pour malaises comportant une dyspnée, des palpitations ou une douleur thoracique. Il existe une comorbidité entre maladies coronaires et trouble panique. Les patients coronariens présentent plus fréquemment ces troubles que les autres sujets et, symétriquement, quelques études ont suggéré que le trouble panique est un facteur de risque de cardiopathie ischémique. À noter aussi que l'anxiété des malades phobiques expose à un risque accru de mort subite par troubles du rythme.
Par ailleurs, certaines maladies cardiaques entraînent une forte anxiété pour les patients. C'est le cas pour les cardiomyopathies et autres cardiopathies des sujets jeunes qui admettent mal « d'avoir un cœur de vieux », ou de cardiopathies héréditaires pour lesquelles une enquête génétique est entreprise, un motif qui nous a conduits à proposer systématiquement une consultation psychologique à ces patients. Nous faisons de même pour les porteurs de défibrillateur implantable, car après avoir suivi plusieurs de ces patients, nous nous sommes aperçus que le fait de recevoir un choc électrique pouvait être à l'origine d'un véritable état de stress post-traumatique avec une crainte anticipatoire des chocs qui peut être extrêmement envahissante.
Comment peut-on aider les malades coronariens déprimés ?
Dr K Lahlou-Laforet : Lorsqu'il s'agit d'un trouble de l'adaptation passager, quelques entretiens accompagnés de « consultations de réassurance » avec le cardiologue peuvent suffire.
En revanche, une véritable dépression nécessite un traitement médicamenteux. En raison de leurs risques cardiovasculaires, on évitera chez ces patients coronariens les tricycliques pour leur préférer des antidépresseurs dits de deuxième génération. Pour autant, il n'est pas encore démontré que le traitement de la dépression a un effet favorable sur l'évolution de la maladie coronarienne.
Quelles méthodes de lutte contre le stress peuvent-elles être proposées aux patients cardiaques ?
Dr K Lahlou-Laforet : Les thérapies, qui peuvent être pratiquées individuellement ou en groupe, sont variées et seront adaptées aux besoins et au profil psychologique des patients. On peut utiliser des techniques de relaxation d'inspiration analytique, qui apprennent aux patients à mieux reconnaître leurs sensations corporelles et leurs émotions. Ou recourir à des méthodes cognitivo-comportementales pour les aider à identifier les facteurs qui sont à l'origine de leur stress dans la vie quotidienne et à mieux identifier leurs réactions, à moduler leurs activités et parfois à les réviser à la baisse (car certains patients cardiaques sont hyperactifs), sans pour autant renier la dimension plaisir qui est essentielle. Il peut aussi être bénéfique pour des patients de type A, qui ont souvent gravi seuls tous les niveaux de l'échelle sociale mais ont du mal à renoncer à leurs activités anciennes, à apprendre à déléguer les tâches, ainsi qu'à savoir dire non pour se protéger, à développer l'affirmation de soi de façon, par exemple, à ne plus être contrarié pour des motifs mineurs. Parfois, on peut proposer des techniques analytiques ou compléter la thérapie pour une période courte par une prescription d'anxiolytiques ou d'hypnotiques.
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Citer cet article: Maladies cardiaques et psychisme : que peut-on faire ? - Medscape - 25 juin 2008.
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