Stress et maladies CV, l'association serait-elle aussi forte que pour le cholestérol ?

Dr Corinne Tutin

28 avril 2008

San Diego, CA, E.-U. — Pas de jour où on ne parle dans les médias des effets du stress sur la santé. Convaincu de ses dangers, un psychiatre, Joel E Dimsdale (Université de Californie, San Diego) en résume les principaux effets sous sa forme aiguë et chronique vis-à-vis des affections cardiovasculaires [1]. Pour cet auteur, la relation entre stress et maladies cardiovasculaires est comparable à celle qui existe pour le cholestérol.

Un modèle naturel de stress aigu, les tremblements de terre

Pas facile d'étudier les effets du stress dans l'espèce humaine, mot qui désigne d'ailleurs dans le langage familier tant le stimulus, le stresseur, que ses conséquences. Heureusement, Dame Nature, peut être mise à contribution. Les tremblements de terre fournissent en effet un modèle d'étude du stress aigu (défini arbitrairement par une durée de moins d'une semaine, rappelle J Dimsdale), qui a été abondamment utilisé. Les tremblements de terre ne préviennent pas (enfin, pas encore). Mais, entre autres répercussions, cette catastrophe induit dès les premières minutes un dérèglement et une accélération du rythme cardiaque pouvant aller jusqu'à 160 battements par minutes, ainsi que l'a montré le cas de 12 patients qui subissaient un enregistrement Holter de routine lors du tremblement de terre qui a secoué Taiwan en 1999. D'autres tremblements de terre comme celui de Hanshin-Awaji en 1995 au Japon, de Nigata en 2004 dans ce même pays, de Northridge en Californie en 1994, ont montré que l'on observait chez les victimes, outre une activation du système nerveux sympathique, un accroissement de la viscosité sanguine. Une augmentation des d'embolies pulmonaires et des décès par maladie cardiovasculaire a également été constatée.

« Mais, il est difficile de déterminer ce qui revient au choc physique et psychique provoqué par le tremblement de terre à ce qui lui est associé, privation de sommeil, mauvaise alimentation, maladies … », admet J Dimsdale.

« Curieusement, ce sont les tremblements de terre survenant la nuit, qui sont le plus dangereux pour le cœur, alors que le risque cardiovasculaire est habituellement réputé le plus élevé aux heures de réveil », fait remarquer J Dimsdale.

Le calcul mental, facteur d'ischémie myocardique silencieuse

D'autres faits de la vie, heureusement moins graves mais tout de même stressants, fournissent un matériel d'analyse utile au chercheur. Par exemple, le fait de parler en public qui, on le sait, en panique plus d'un d'entre nous. Après avoir posé des perfusions à des volontaires faisant des présentations orales, l'équipe de J Dimsdale a ainsi observé une multiplication par 3 du taux d'adrénaline, l'ascension des valeurs ayant été même spectaculaire chez un orateur qui avait fondé toute son intervention sur des diapositives lorsque le projecteur a déclaré forfait.

Enfin, le calcul mental peut, on le sait, faire des ravages, notamment sur des cœurs ischémiés. Soustraire des chiffres de 7 en 7 a ainsi pour effet d'entraîner des anomalies de perfusion myocardique chez 3 coronariens sur 4, ont révélé des observations déjà anciennes de J Deanfield et coll. [2]. Et, chez les porteurs de défibrillateur, il tend (de même que le souvenir d'événements ayant déclenché la colère) à accélérer et à rendre plus difficile à stopper les épisodes de tachycardie ventriculaire. Grâce aux « heureux » malades mis sous défibrillateur, il a pu aussi être prouvé que le nombre de tachycardies ventriculaires a doublé lors de l'attaque du World Trade Center.

Des anomalies à type d'infiltrats interstitiels sont également relevées lorsqu'une biopsie myocardique est réalisée chez des insuffisants cardiaques venant d'être soumis à une émotion intense, par exemple un deuil ou un procès. Ce qui n'est guère rassurant car les mêmes altérations sont trouvées à l'autopsie chez les sujets ayant présenté une mort subite cardiaque d'origine apparemment émotionnelle.

Le stress chronique reconnu comme facteur de risque d'infarctus dans l'étude INTERHEART

Modèle de stress chronique, la guerre a fait la preuve de ses méfaits sur le cœur et « les survivants du siège de Leningrad présentaient ainsi 50 ans après une pression artérielle plus élevée et un risque de mortalité cardiovasculaire plus important que leurs congénères n'ayant pas vécu cet événement ». Pour autant, point n'est besoin de circonstances dramatiques pour observer des effets cardiovasculaires. Les causes de stress chronique ne manquent pas, en effet, qu'il s'agisse des frustrations de la vie conjugale, de la vie professionnelle ou finalement de la vie tout court car les spécialistes s'intéressent de plus en plus aux petits tracas qui nous atteignent tous peu ou prou à des niveaux variés. Quoi qu'il en soit, l'étude INTERHEART, qui a pris en compte plus de 25 000 sujets de 52 pays, a rapporté un risque doublé d'infarctus du myocarde chez les sujets qui déclaraient un stress permanent au travail ou à la maison [3].

De nombreuses enquêtes épidémiologiques ont attesté qu'un travail exigeant, autorisant peu d'autonomie dans sa réalisation et débouchant sur peu de reconnaissance majore le risque cardiovasculaire. Ce type d'activité professionnelle est plus souvent décrite chez les patients venant de présenter un premier infarctus du myocarde et ce danger est d'autant plus grand que ces malades aiment la compétition et sont hostiles (c'est le fameux type A que J Dismdale n'aborde d'ailleurs pas dans son article). Certaines études laissent penser, explique J Dimsdale, « que les sujets avec peu de contrôle sur leur activité professionnelle pourraient avoir un baroréflexe altéré ne leur permettant plus de répondre de façon appropriée à une élévation de la pression artérielle ». Mais, ces sujets semblent aussi en dehors même du lieu de travail répondre à un stresseur par une réponse fibrinogène augmentée.

Les femmes ayant souffert d'un angor instable ou d'un infarctus paraissent, quant à elles, être particulièrement sensibles au stress conjugal, qui multiplie par 2,9 la probabilité de présenter dans les 5 ans un événement cardiaque [4]. Enfin, s'occuper d'un conjoint atteint d'une maladie chronique, notamment une démence, n'est pas forcément très bon pour le cœur, en plus de nuire au moral et d'engendrer des troubles psychiques. Par exemple, la Caregiver Health Effects study a mis en évidence une mortalité accrue de 63 % chez des sujets de 66 à 96 ans ayant une fonction de soutien familial [5]. Ce risque semble particulièrement net en cas de maladie cardiovasculaire préexistante et des travaux ont décrit une élévation de la survenue d'une hypertension artérielle et un accroissement dans le sang des taux des D-dimères, de facteurs procoagulants et de cytokines pro-inflammatoires chez les personnes aidant un proche.
L'étude est américaine et J Dimsdale cite, enfin, un dernier paramètre de stress, le sentiment d'être discriminé sur le plan racial, un facteur qui majore la réponse tensionnelle à une injection de phényléphrine, et ce quelle que soit la race d'origine.

A méditer

Au total, pour J Dimsdale, même si toutes les données ne sont pas convergentes, le niveau de risque cardiovasculaire observé avec le stress est dans la majorité des études équivalent ou même supérieur à celui trouvé pour le cholestérol. Cet auteur rappelle à ce propos que la plupart des grandes études épidémiologiques ayant décrit cette relation avaient tenu compte des liens possibles avec le tabagisme et l'obésité.

« Certes, le stress est partout », admet-il, « mais on peut tout de même lutter contre ses effets, même s'il reste encore à prouver formellement que des interventions puissent modifier la probabilité d'infarctus ou de décès cardiaque car cela améliorera déjà le bien-être des patients ». Certains essais randomisés ont d'ailleurs suggéré malgré tout que des programmes anti-stress contribuaient chez les coronariens à diminuer les facteurs de risque cardiovasculaire [5].

Une expérience citée par J Dimsdale est en tout cas à méditer. Il indique avoir pratiqué, il y a quelques années, des injections d'isoprénaline pour analyser l'augmentation de fréquence cardiaque accompagnant la réponse bêta-adrénergique. Un sujet qui s'ennuyait s'est mis à méditer. Or, la fréquence cardiaque a chuté à toute vitesse, comme le montre de façon frappante le diagramme reproduit dans l'article par l'auteur, une preuve selon lui indiscutable du pouvoir d'une intervention comportementale sur un stress pharmacologique.

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....