ENHANCE déclenche un vif débat sur l'ézétimibe et le cholestérol LDL

Pascale Solère

11 février 2008

Paris, France — « Le protocole d'ENHANCE a été publié en février 2005 », rappelle le Pr Pierre Jean Touboul (Centre d'Attaque Cérébrale, hôpital Bichat, Paris) interrogé par heartwire [1]. Le critère primaire retenu est la variation moyenne d'épaisseur intima-média (EIM) à deux ans sur une mesure composite associant l'EIM des artères carotides gauche et droite mesurées sur trois segments successifs : carotide commune, bulbe carotidien et origine de la carotide interne. Les critères secondaires étaient :

  • le taux de patients dont l'EIM régresse,

  • la variation maximale d'EIM,

  • la proportion de patients développant de nouvelles plaques

  • et la variation d'EIM des artères carotide et fémorale communes.

Des résultats d'EIM tronqués et troublants

Pr PJ Touboul

« Le critère primaire composite retenu est nouveau. Et nous n'avons aujourd'hui que des résultats très parcellaires réduits aux variations moyennes composites d'EIM sans précision même sur leur écart type, ou sur les mesures correspondant à chaque segment analysé » regrette PJ Touboul [2]. « Même si l'on ne peut conclure, la tendance observée est surprenante. L'EIM a deux fois plus progressé chez les patients sous ézétimibe/simvastatine que sous simvastatine seule au même dosage. Alors que dans le même temps le LDL était significativement plus réduit par l'association (58 vs 41 %). Or dans la méta-analyse des essais menés avec les statines versus placebo des réductions des LDL de 25, 35 et 55 % étaient respectivement associées à une réduction de 1 à 4 % de l'EIM comparativement à la valeur basale. Cela n'est pas observé dans ENHANCE qui pourtant concernait une population particulièrement candidate à ces variations puisque réduite aux hypercholestérolémies familiales hétérozygotes » souligne PJ Touboul.

ENHANCE : efficacité et tolérance à 2 ans

Ézétimibe/simvastatine
(n = 357 pts)
Simvastatine
(n = 363 pts)
p
Différentiel d'EIM
+0,0111
+0,0058
0,29
Variation des LDLc en % (taux initial 3,20 g/L)
- 58 %
-41%
< 0,001
Enzymes hépatiques > 3 Nales
2,8 %
2,2 %
Augmentation des CPK > 10 Nales
1,1 %
2,2%
CPK > 10 Nales et symptômes musculaires
0,6 %
0,3%

Faut-il pour autant jeter le bébé avec l'eau du bain ?

« L'ézétimibe ne semble pas poser de problème de tolérance. Et s'il est clairement démontré que l'EIM est un marqueur prédictif du risque cardiovasculaire, significativement corrélé à la morbi-mortalité dans les études épidémiologiques prospectives, aucune étude interventionnelle n'a à ce jour montré que l'EIM était significativement corrélée aux évènements cardiovasculaires. En l'état il faut donc attendre les études de morbi-mortalité pour conclure. Seul problème, leurs résultats ne sont pas prévus avant 2011. Et il faut garder en mémoire le triste précédent du torcétrapib. Cet inhibiteur de CETP était associé à un excès de décès (AHA 2006) mais aussi à une progression de l'EIM rapportée à l'ACC en 2007, à la session même où les résultats d'ENHANCE étaient très attendus. RADIANCE 1, mettait en effet en évidence une augmentation significative de l'EIM moyen de la carotide commune dans le groupe sous torcetrapib+atorvastatine. Faut-il y voir un signe ? L'avenir le dira. Pour rappel, l'ézétimibe agit localement au niveau intestinal où il réduit l'absorption de cholestérol, un mécanisme bien loin de celui des inhibiteurs de la CETP comme le torcétrapib.

Une saga qui pose plusieurs questions

« Au delà du débat sur l'ézétimibe, ENHANCE pose de nouvelles questions importantes », selon PJ Touboul. En particulier :

  • « Le retard et l'insuffisance d'information sur les résultats d'une étude aussi importante, source d'incertitudes et de doutes pour les médecins et les patients, sont-ils acceptables ? »

  • « Quelle est la part de la baisse des LDL dans le bénéfice cardiovasculaire associé aux statines et celle relative à leurs effets pléiotropes, probablement très importants ? »

  • « Enfin, ne faut-il pas prendre à l'avenir le temps de repenser la méthodologie de ce type d'étude ? »

Résumé de la « saga « de l'ézétimibe Outre-Atlantique

Débutée en 2002, l'étude ENHANCE est close en avril 2006. Elle compare sur près de 700 patients recrutés dans 19 centres et souffrant d'hypercholestérolémie familiale hétérozygote un traitement par simvastatine (80 mg/j) à l'association simvastatine/ézétimibe (80 mg/10 mg/j) sur un critère intermédiaire : l'EIM. Il s'agit d'un vaste essai d'imagerie avec de multiples sites de mesures et à chaque fois deux types images, numérisées, l'une avec des ultrasons en mode B pour la taille de la plaque et l'autre en mode M pour l'élasticité artérielle.

Plus d'un an après, toujours pas de nouvelles... alors que des résultats étaient programmés pour l'ACC 2007.

A la mi-novembre 2007, plusieurs médias dont le Forbes, le New York Times et l'édition anglophone de theheart.org s'interrogent. John Kastelein (Academic medical Center, Amsterdam), coordinateur de l'étude, argue que :

  • « C'est le nombre impressionnant de données (40 000 images) à traiter qui explique ce retard,

  • l'aveugle n'a toujours pas été levé,

  • le laboratoire, suite à l'avis d'experts externes, vient de modifier le critère primaire passant de la différence d'EMI multisite pour revenir au critère classique d'EIM sur 1 seul site (carotide commune), contre son avis personnel. »

Début décembre, l'US House Committee demande des explications aux laboratoires Merck et Schering-Plough qui entre-temps sont revenus au critère primaire initial composite d'EIM.

Mi-décembre, la bataille médiatique continue. Dans un édito du week-end, le New York Times rappelle qu'une toxicité hépatique a été décrite (2 cas d'hépatites rapportées en 2006) et pose la question d'effets indésirables, de données cachées ?

Mi-janvier, sous pression, le laboratoire communique finalement en conférence de presse les résultats d'ENHANCE attendus en mars à l'ACC. Ils sont très décevants : l'association réduit le taux de LDLc mais à l'imagerie, la différence d'EMI est non significative et la tendance va dans le « mauvais » sens. En revanche, il ne semble pas y avoir de souci de tolérance, ni hépatique ni musculaire (cf tableau).

Dès le lendemain, 15 janvier, l'AHA, devant l'ampleur du débat dans les média, publie un communiqué appelant en particulier les patients à ne pas interrompre leur traitement hypocholestérolémiant sans avis médical et rappelant au passage l'efficacité bien démontrée des statines.

Début février, la saga entre dans sa version financière, un des dirigeants de Schering-Plough, Carrie Smith Cox, ayant vendu pour 28 millions de dollars de titres en avril 2007...


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