Athènes, Grèce — L'effet bénéfique du petit roupillon postprandial est une hypothèse assez spontanée. Sa vérification, pourtant, semble n'avoir pas été de tout repos. C'est, bien entendu, dans les terroirs de tradition, pourtour méditerranéen et Amérique Latine, que l'hypothèse pouvait surgir, avec, conformément à la manie de rationaliser l'évidence, le vague argument d'une moindre mortalité cardiovasculaire dans ces populations.
De précédentes études décevantes
D'audacieuses tentatives de vérifications ont malheureusement tourné court. Après les résultats apparemment positifs de deux études grecques, des études israéliennes, et surtout, une grande étude cas-témoin menée au Costa-Rica [1], ont ruiné tous les espoirs. En apparence seulement, car ces études incluaient largement, sinon exclusivement des personnes âgées et n'évaluaient qu'approximativement l'activité physique — variable confondante évidemment, à laquelle le sommeil diurne peut être associé positivement ou négativement selon qu'il est récupérateur ou traduit une fatigue généralisée. Bref, ces études avaient semble-t-il largement raté leur cible, confondant l'avachissement de l'organisme délabré et la démarche consciente, volontaire, enthousiaste, et pour tout dire, dynamique, de la sieste.
La rigueur de la cohorte EPIC
Des hellènes, encore, philosophes par nature, ont donc repris le problème [2] à partir de la cohorte EPIC (European Prospective Investigation into Cancer and Nutrition). Cette dernière présente le double intérêt de l'effectif (près de 30 000 personnes en Grèce, de 20 à 86 ans) et de la rigueur des relevés, notamment en ce qui concerne le régime alimentaire (échelle d'adhésion au régime méditerranéen en 10 points) et la dépense énergétique, calculée en fonction de l'activité physique et du métabolisme basal.
Outre les autres variables habituelles, la fréquence et la durée de sommeil diurne quotidien ont été relevées. Les participants étaient classés en trois catégories : pas de sieste, sieste systématique, de 30 minutes en moyenne au moins trois fois par semaine, et sieste occasionnelle, une ou deux fois par semaine, ou pour des durées inférieures à 30 minutes.
L'analyse initiale, menée chez 25 702 participants, a confirmé la signification ambiguë du sommeil diurne : un excès non significatif de mortalité était en effet associé à des temps d'endormissement dépassant deux heures par jour, ces longues siestes étant par ailleurs associées à des diagnostics de maladies cardiovasculaires ou de cancers. Pour éliminer ce biais, l'analyse finale a été restreinte aux sujets indemnes de pathologie sévère lors de l'inclusion, soit 23 681 participants, suivis durant 6,32 ans en moyenne.
Les adeptes de la sieste ont un risque relatif de coronaropathie de 0,66
Chez ces sujets, initialement en bonne santé, les résultats sont sans appel. Siestes systématiques et occasionnelles confondues, le risque de mortalité coronarienne tombe à 0,66 par rapport aux hyperactifs. Et les pratiquants sincères sont aussi les mieux protégés, avec une réduction de 37 contre 12 % chez les occasionnels. L'assiduité paye.
Effets des différentes variables sur la mortalité coronarienne après ajustement Hommes |
Femmes |
|
Age |
1,40 |
2,10 |
Tabac |
1,24 |
1,91 |
Education |
0,87 |
0,69 |
Activité professionnelle |
1 (Référence) |
1 / |
Sans activité professionnelle |
2,10 |
0,65 |
IMC |
0,98 |
1,06 |
Taille/hanche |
1,23 |
1,40 |
Activité physique |
0,96 |
0,77 |
Régime méditerranéen |
0,90 |
0,89 |
Pas de sieste |
1 (Référence) |
1 / |
Sieste occasionnelle |
0,58 |
1,54 |
Sieste systématique |
0,50 |
0,86 |
Total sieste |
0,51 |
0,96 |
Ce n'est pas la sieste pour la sieste qui apparaît bénéfique, mais bien la sieste contre le travail — étymologiquement dérivé du latin tripalium, instrument de supplice constitué de trois pieux, auxquels était attaché le mauvais sujet. L'analyse par sexe montre en effet un bénéfice beaucoup plus marqué chez les hommes. Or, en pays de sieste, les femmes, majoritairement, restent au foyer — ce qui ne signifie pas qu'elles ne travaillent pas — mais que les contraintes sont autres.
Les auteurs ont donc procédé à une analyse secondaire comparant cette fois les hommes ayant un emploi, à ceux n'en ayant pas — les femmes engagées dans une vie professionnelle étaient trop peu nombreuses pour être incluses dans l'analyse.
Les travailleurs s'autorisant la sieste
Ici encore, le résultat est sans appel, le risque de décès coronariens parmi les travailleurs s'autorisant la sieste, étant de 0,36, contre 0,64 en cas de sieste sans travail à contenir. On note que la différence d'âge entre le groupe travaillant (47,5 ans) et le groupe ne travaillant pas (66,8 ans) ne suffit vraisemblablement pas à expliquer l'écart du bénéfice : dans le groupe des travailleurs, le bénéfice ne varie en effet pratiquement pas, selon que l'on considère les sujets de moins ou de plus de 60 ans.
En ce qui concerne le mécanisme, les auteurs soulignent pourtant que la sieste, et plus exactement le réveil, reproduit à moindre échelle la situation matinale, favorable aux infarctus. L'étude évaluant le surrisque transitoire au sortir du hamac et avant l'apéro, reste à mener. En attendant, il apparaît que si surrisque il y a, il est très inférieur au bénéfice d'une saine gestion du stress. L'affaire est donc entendue. Reste à savoir comment la faire entendre aussi à qui de droit, pour obtenir un très légitime remboursement des heures de sieste.
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Citer cet article: Réduisant la mortalité coronarienne, la sieste aurait une place à gagner dans les guidelines - Medscape - 16 févr 2007.
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