Les biomarqueurs n'améliorent pratiquement pas la prédictibilité d'un premier événement par rapport à l'index de Framingham

Vincent Bargoin

2 janvier 2007

Boston, Etats-Unis - On connaît de nombreux marqueurs biologiques du risque cardiovasculaire (CV), associés à différentes voies métaboliques. Leur intérêt en prévention primaire semble toutefois n'avoir rien d'évident. Une étude américaine conclut à un apport marginal par rapport aux critères cliniques en vigueur. [1]

Pr A Tedgui

« Pour les cinq marqueurs les plus fortement prédictifs du décès, des taux élevés sont associés à un risque multiplié par un facteur 4, » souligne le Pr Alain Tedgui
(Hôpital Lariboisière, Paris). « Leur valeur prédictive est donc réelle. Simplement, l'index de Framingham, peut indiquer un risque trois fois plus important. Pour le moment les recommandations américaines et européennes ne conseillent d'ailleurs pas l'inclusion des biomarqueurs dans la stratégie de dépistage primaire. »

A l'occasion du sixième cycle de l'étude de Framingham (1995-1998), quelques 3000 personnes (âge moyen 59 ans ; 53 % de femmes ; affection CV majeure dans 6 % des cas), ont subi des prélèvements permettant le dosage de dix biomarqueurs.

Les 10 biomarqueurs à l'étude
  • protéine C-réactive (marqueur de l'inflammation) ;

  • peptide natriurétique de type B,

  • peptide natriurétique pro-atrial (N-ter),

  • aldostérone sérique (marqueurs de l'activité neurohormonale)

  • rénine plasmatique (marqueurs de l'activité neurohormonale) ;

  • fibrinogène (marqueur de la thrombose et de l'inflammation) ;

  • inhibiteur du plasminogène-activateur de type 1 (marqueur du potentiel fibrinolytique et de la fonction endothéliale) ;

  • D-dimère (marqueur de la thrombose) ;

  • homocystéine (marqueur de la fonction endothéliale et du stress oxydatif) ;

  • ratio albumine/créatinine urinaire (marqueur de la fonction glomérulaire).


Les critères habituels ont par ailleurs été relevés : tabac, diabète, PA, IMC, cholestérol total, HDL-cholestérol, créatinine sérique. Après exclusion des sujets présentant une créatinine sérique > 2 mg/dL, ou des données incomplètes, hors ratio albumine/créatinine, 3209 personnes ont finalement été inclues. Le ratio albumine sur créatinine urinaire n'était par ailleurs disponible que chez 2750 participants (86 %).

Un suivi médian de 7 ans

Durant un suivi allant jusqu'à dix ans (médiane : 7,4 ans), 207 décès (6 %) ont été enregistrés sur l'effectif de 3209 participants. Par ailleurs, sur les 3028 sujets ne présentant pas de pathologie CV initiale, 169 ont été victimes d'événements inauguraux majeurs en cours de suivi. S'agissant des décès, l'analyse fait ressortir cinq marqueurs sanguins significatifs : protéine C-réactive, peptide natriurétique pro-atrial, homocystéine, rénine plasmatique et D-dimère. Lorsqu'on inclut le ratio albumine/créatinine urinaire, il se substitue au D-dimère, tandis que le peptide natriurétique de type B remplace le peptide natriurétique pro-atrial.

Marqueurs les plus prédictifs du risque de décès*












*RR pour une augmentation d'une déviation standard

Concernant le risque d'événement CV majeur chez des sujets initialement indemnes de pathologie majeure, deux marqueurs sanguins ressortent : le peptide natriurétique de type B et l'inhibiteur du plasminogène-activateur de type 1. L'inclusion du ratio albumine/créatinine dans l'analyse, abouti à faire rentrer ce marqueur dans le modèle, l'inhibiteur du plasminogène-activateur de type 1 prenant alors une significativité limite (p = 005).

Marqueurs les plus prédictifs du risque d'événement CV majeur*


Peptide
natriurétique-B
Album./créat. urinaire
1,25
1,20

*RR pour une augmentation d'une ds

Pour décrire le risque associé à l'un ou l'autre panel de biomarqueurs, un score spécifique a été construit pour le risque de décès et le risque d'événement majeur. Les sujets étant répartis par quintiles, les résultats ajustés confirment effectivement le risque associé, et une relation effet-dose dans le risque.

RR de décès et d'événements CV majeur en fonction du score multimarqueurs*


Décès
Evénement CV
Deux quintiles les plus faibles
1 (groupe de référence)
1 (groupe de référence)
Deux quintiles intermédiaires
1,34 (0,83-2,18)
1,54 (0,98-2,40)
Quintile le plus élevé
4,08 (2,51-6,62)
1,84 (1,11-3,05)
p
< 0,001
0,02

* ajusté pour l'âge, le sexe, l'IMC, la PA, le cholestérol total, le HDL-cholestérol, le tabac, le diabète, la créatinine sérique - et, pour le risque de décès, la présence d'une maladie CV.

Pour comparer les modèles multimarqueurs au dépistage clinique habituel, les auteurs ont utilisé la statistique C, qui permet d'évaluer la puissance résolutive d'un modèle par rapport à un autre. « La méthode est supérieure à celle des risques relatifs », indiquent-ils [2] [3]. La comparaison ne révèle pratiquement aucun bénéfice de l'adjonction des biomarqueurs aux critères cliniques.

Statistique C de décès et de premier événement CV majeur en fonction de différents critères


Décès
Evénement CV
Age, sexe
0,75
0,68
Age, sexe et score multimarqueurs
0,79
0,70
Age, sexe et critères cliniques
0,80
0,76
Ensemble des critères
0,82
0,77

Pour les auteurs, « ces résultats mettent en évidence les capacités et les limitations des biomarqueurs pour l'évaluation du risque CV en ambulatoire ». Au chapitre des capacités, la conclusion souligne que « la relation observée entre associations de biomarqueurs et risque de décès et/ou d'événement CV majeur, est cohérente avec les études concernant séparément le peptide natriurétique de type B, le ratio albumine/créatinine, la protéine C-réactive, l'homocystéine ou la rénine ». Il n'en reste pas moins que « l'utilisation de multiples biomarqueurs n'améliore que modérément la prédiction du risque basée sur les facteurs conventionnels, comme le prouvent les faibles variations de la statistique C ».

Les auteurs soulignent que « le dosage des biomarqueurs reste potentiellement utile, à la fois dans le cadre d'études, et pour des sous-groupes de patients, notamment les patients à risque intermédiaire, lorsqu'une évaluation plus fine du risque peut conduire à décider d'un traitement plus ou moins agressif du cholestérol ou de l'hypertension ». Ils ajoutent toutefois que « des données sur le rapport coût/efficacité des biomarqueurs dans le cadre d'une stratégie préventive, sont nécessaires. Ces résultats soulignent l'importance d'évaluer les nouveaux marqueurs de manière prospective, et d'obtenir des données spécifiques sur leur capacité à stratifier le risque », concluent-ils.

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