Café et risque coronarien : beaucoup de bruit pour rien

Vincent Bargoin

3 mai 2006

Boston, Massachusetts - Les résultats obtenus jusqu'à présent sur les conséquences coronariennes d'une consommation plus ou moins régulière de café, sont l'illustration même de ce que peuvent être des données contradictoires. Alors qu'une métaanalyse de cohortes remontant à 1994 concluait à l'absence de lien entre café et risque coronarien [1], des études de cohortes plus récentes avancent, elles, l'hypothèse d'un effet protecteur des consommations élevées [2,3]. A l'inverse, des études cas-contrôle font, elles, état d'un risque [4,5]. Enfin, deux études ont rapporté une courbe en J, avec un risque associé aux consommations modérées et très élevées [6,7]. On note au passage que dans beaucoup de ces études, les résultats sont différents selon le sexe. Enfin, pour être complet, signalons que le mode de préparation du café a été mis en cause, puisque le café bouilli, et non filtré, aurait des effets spécifiques [5]. Avec les derniers résultats publiés dans Circulation, on revient à la case départ, puisque la consommation de café, de café décaféiné, ou de boissons caféinées, thé et sodas, semble n'avoir simplement aucun impact sur le risque coronarien [8].

Ces résultats ont été obtenus chez 44 005 hommes, participants depuis 1986 à la Health Professionals Follow-up Study, et chez 84 488 femmes, recrutées en 1976 dans la Nurses Health Study. Tous et toutes étaient initialement indemnes de maladie coronarienne et de cancer. La consommation de café, et son mode de préparation, ainsi que la consommation de boissons caféinées ont été relevées en 1986, 1990, 1994 et 1998 chez les hommes, et en 1984, 1986, 1990, 1994 et 1998 chez les femmes. Les événements coronariens ont été enregistrés jusqu'en 2000. Ces événements ont été corrélés d'une part aux valeurs moyennes de consommation ressortant des relevés précédents, d'autre part aux valeurs des derniers relevés, de manière à faire ressortir un éventuel risque à long ou à court terme. Enfin, l'effet du café normal et décaféiné sur les taux de LDL et de HDL a été examiné.

Des données sur 20 ans de suivi chez les femmes

En 14 ans de suivi, 2173 cas de maladies coronariennes, dont 724 infarctus fatals ont été enregistrés parmi les hommes. Chez les femmes, suivies durant 20 ans, ces chiffres sont respectivement de 2254 et 693. Quel que soit le sexe, et après ajustement pour les autres variables, en particulier le tabac, le risque est indépendant de la consommation de café et d'autres boissons caféinées. Cette indépendance du risque est retrouvée aussi bien vis-à-vis de la moyenne des consommations antérieures, que vis-à-vis de la consommation la plus récemment signalée. Par ailleurs, aucune association significative n'apparaît entre café normal et décaféiné, et lipides sanguins. Enfin, le mode de préparation du café n'a pas été mis en cause dans cette étude. Le bilan est donc négatif. A deux nuances près, toutefois.

Risques relatifs d'événements coronariens en fonction de la consommation de café,


Tasses de café
<1/mois
1/mois-4/semaine
5-7/semaine
2-3/jour
4-5/jour
=6/jour
Signif. de la tendance
HOMMES
N=555
464
564
435
128
27

1,0
1,02
1,01
0,94
1,06
0,81
0,49

1,0
1,04
1,04
1,04
1,08
0,60
0,82

1,0
1,04
1,02
0,97
1,07
0,72
0,41
FEMMES
N=354
282
724
575
234
85
Non-fatal
1,0
0,93
1,04
0,86
0,99
0,99
0,47
Fatal
1,0
1,09
1,01
0,81
0,97
0,61
0,03
Total
1,0
0,97
1,02
0,84
0,99
0,87
0,08

Après ajustement multivariable : âge, tabac, IMC, activité physique, consommation d'alcool, antécédents parentaux d'IDM avant 60 ans, traitement par aspirine, supplémentation multivitaminique, supplémentation en vit. E, HTA, hypercholestérolémie, diabète, et chez les femmes, statut ménopausique et traitement hormonal.

Premièrement, en ce qui concerne le mode de préparation du café, les auteurs soulignent que le faible effectif concerné (moins de 600 hommes et femmes au total), la consommation toujours relativement modeste (2 à 3 tasses/jour au maximum, et ceci pour 55 participants seulement), enfin, l'inclusion à la fois des « expressos » et du café préparé au percolateur sous la même étiquette de café non filtré, ne permet pas d'exclure le sur-risque rapporté par ailleurs pour le café bouilli. Deuxièmement, quoique la relation dose-effet entre consommation de café filtré et risque coronarien soit systématiquement non-significative, après ajustement, une consommation = 6 tasses/jour apparaît associé à une légère réduction du risque d'événement fatal, aussi bien chez les hommes (RR=0,60) que chez les femmes (RR=0,61). "Les effectifs concernés étant relativement faibles (189 hommes, 120 femmes), ces résultats doivent être interprétés avec prudence", soulignent toutefois les auteurs. Selon eux, considérés dans leur ensemble, "les résultats constituent une preuve solide contre l'hypothèse d'un accroissement du risque coronarien par le café".

Des effets métaboliques théoriquement contradictoires

Les effets métaboliques des différentes substances contenues dans le café sont nombreux et contradictoires. La caféine, d'abord, est un antagoniste des récepteurs à l'adénosine, exprimés dans de nombreux tissus. Elle stimule la libération d'acides gras par les tissus périphériques, et l'oxydation des graisses dans le muscle. Dans les muscles squelettiques, toujours, la caféine pourrait diminuer la sensibilité à l'insuline, effet renforcé par la stimulation de la libération d'épinéphrine, puissant inhibiteur de l'insuline. Une augmentation de la pression artérielle et du taux d'homocystéine ont également été attribués à la caféine.

Ces effets n'ont toutefois été observés qu'à court terme. Comme le notent les auteurs de l'étude publiée dans Circulation, il est possible qu'une tolérance plus ou moins importante se développe après une brève accoutumance à la caféine. Par ailleurs, l'effet de la caféine pourrait être contrebalancé par d'autres substances contenues dans le café. C'est notamment le cas du potassium, du magnésium et de la niacine, ainsi que d'un éventail d'antioxydants et de composés phénoliques, dont l'effet favorable sur la métabolisme glucidique et la sensibilité à l'insuline a été rapporté, et dont la présence pourrait expliquer la corrélation inverse observée entre consommation de café et développement du diabète de type 2 [9].


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