Ximelagatran : les études THRIVE et SPORTIF V confirment l'efficacité du produit mais soulèvent la question de la sécurité

Vincent Bargoin / Catherine Desmoulins

7 mars 2005

Paris, France -Les résultats des études THRIVE (Thrombin Inhibitor in Venous Thromboembolism)[1] et SPORTIF V (Stroke Prevention using an Oral Thrombin Inhibitor in Atrial Fibrillation)[2] menées avec le ximelagatran (Exanta) viennent d'être publiés simultanément dans le JAMA . Ces deux essais visaient à montrer la non infériorité de ce nouvel anticoagulant oral, à la dose fixe de 36 mg deux fois par jour comparativement aux traitements de référence, à savoir la combinaison enoxaparine/AVK pour la thrombose veineuse profonde (étude THRIVE) et la warfarine pour la prévention de l'AVC chez des sujets en FA..

Dans THRIVE, Exanta (36 mg x 2 /j) était administré durant six mois à des patients présentant une TVP dont un tiers avaient une embolie pulmonaire (EP) concomitante. L'autre bras de cette étude randomisée en double aveugle prenait un traitement standard par enoxaparine durant 5 à 20 jours relayée par AVK (warfarine) à doses ajustées pour obtenir un INR entre 2 et 3. Au total, 2489 patients ont été inclus, c'est la plus grand essai clinique mené sur des TVP. L'étude mesurait la récurrence des événements thrombotiques (TVP et EP), la fréquence des saignements et la mortalité.

Résultats comparables en terme d'efficacité, de risque hémorragique et de mortalité : 26 personnes sous Exanta (2,1 %) et 24 sous traitement standard (2%) ont fait une récurrence thromboembolique (voir tableau 1)

Tableau 1 : Récurrence des événements thrombotiques et hémorragies à six mois


Évènement
Ximelagatran
n =1240
Enoxaparine/AVK
n =1249
Différence
(IC 95 %)
Événements thrombotiques totaux (TVP +EP) (analyse en intention de traiter)
26 (2,1 %)
24 (2 %)
0,2 %
TVP*
15
17
EP*
11
7
Hémorragie majeure (analyse per-protocole)
14 (1,3 %)
26 (2,2 %)
-1,0 %
Mortalité toute cause (analyse en intention de traiter)
28 (2,3 %)
42 (3,4 %)
-1,1 %

* TVP =thrombose veineuse profonde ; EP : embolie pulmonaire

Au plan de la tolérance, 119 patients sous Exanta (9,6 %) versus 25 (2 %) dans l'autre bras ont dépassé le seuil du triplement de la valeur d'alanine aminotransférase (ALAT). Parmi ces sujets, 76 ont interrompu le traitement et 43 ont pu le maintenir. Dans les deux cas, la plupart ont à nouveau normalisé leurs enzymes hépatiques : respectivement 68 et 36. Sur les 15 patients restant 10 se sont progressivement amélioré, trois sont perdus de vue et deux sont décédés. L'un du fait d'une hépatite B non connue à l'inclusion, l'autre d'une hépatite semble t-il induite par le ximelagatran.

De plus, une différence est apparue en matière de survenue d'événements coronaires : 10 événements sévères ont été rapportés parmi les patients sous ximelagatran contre un seul sous traitement standard.

« Le traitement initial et au long cours de la TVP par le ximelagatran à la dose de 36 mg x 2/j est aussi efficace que la combinaison enoxaparine/warfarine. L'intérêt de cet inhibiteur de thrombine direct est que l'on administre une dose fixe quotidienne et sans surveillance de la coagulation. Mais le mécanisme et l'importance de la toxicité hépatique restent à déterminer. Des études prospectives destinées à évaluer le risque coronaire sont également demandées » concluent les investigateurs. La compréhension du mécanisme de l'hépatotoxicité pourait permettre de sélectionner les patients, voire, d'instaurer une prévention.

Seuil de 2% annuel d'AVC par an non dépassé

Dans SPORTIF V, le ximelagatran, à la même dose fixe orale (36 mg x 2/j), était comparé à l'AVK chez des patients en fibrillation auriculaire (FA) en prévention des AVC sur le long cours. Pour valider le critère de non infériorité par rapport à la warfarine, le taux annuel d'AVC ne devait pas dépasser le seuil de 2 % annuel ce qui correspond à une réduction de 62 % du risque d'AVC sous AVK. La contrepartie est que le traitement par warfarine impose d'ajuster constamment la dose, de surveiller la coagulation et d'arrêter le traitement en cas de risque hémorragique.

L'étude a randomisé en double aveugle 6405 patients en FA d'origine non valvulaire. Le bras sous warfarine devait obtenir un INR entre 2 et 3. Les résultats sont donnés après 20 mois de suivi en moyenne..

Le taux d'AVC ischémique et hémorragique et d'événements emboliques systémiques s'élève à 1,6% (n=51) sous ximelagatran soit 1,61 % par an et 1,2% (n=37) sous warfarine soit 1,16 % par an. La différence n'est pas significative ce qui place le ximelagatran a égalité avec l'AVK.

Le risque d'hémorragie sévère sous ximelagatran est équivalent à celui du traitement standard à doses ajustées. Le risque global de saignements majeurs et mineurs est même inférieur sous ximelagatran (37% par an contre 47% par an). Une hépatoxicité, manifestée par l'augmentation des ALAT au delà de trois fois la normale est retrouvée chez 6% (n=117) des patients sous ximelagatran contre 0,8 % (n=15) sous warfarine . Typiquement, l'élévation des enzymes survient entre un et six mois après l'instauration du produit. Elle ne se manifeste pas cliniquement et régresse spontanément dans la majorité des cas. Dans cette étude, au moins une hépatite sévère compliquée d'une hémorragie digestive létale est à déplorer.

Au plan du risque coronaire, le bras sous ximelagatran ne fait pas plus d'infarctus du myocarde, on observe même la tendance inverse (37 contre 26, soit un taux annuel de 1,4% contre 1%).

Pour les investigateurs « le ximelagatran satisfait le critère de non-infériorité par rapport à l'AVK pour prévenir les accidents cérébraux. D'autant que les patients inclus dans SPORTIF sont à plus haut risque que ceux rencontrés en pratique courante. Beaucoup avaient une importante comorbidité cardiovasculaire. Il reste cependant à évaluer clairement le risque hépatique".

Une supériorité coût/ efficacité sous conditions

Une étude supplémentaire, publiée dans le même JAMA, analyse l'aspect économique de la prévention des AVC chez les patients en FA [3]. L'étude compare le rapport coût/bénéfice, en terme de survie et de qualité de vie, de l'aspirine, de la warfarine et du ximelagatran. En supposant l'efficacité du ximelagatran équivalente à celle de la warfarine vis à vis des AVC, et un risque hémorragique global inférieur, conformément aux résultats de SPORTIF V, l'analyse indique que le rapport coût/bénéfice du ximelagatran n'est favorable que chez les patients à risque élevé d'hémorragie intracrânienne, ou pour lesquels la surveillance et l'ajustement des doses de warfarine constitue une perte réelle de qualité de vie.


Progrès médical et principe de précaution

Le ximelagatran, inhibiteur direct, compétitif et réversible de la thrombine constitue un progrès de première importance dans la prise en charge des patients à risque de thrombose, dont le traitement par AVK n'est ni toujours possible, ni toujours parfaitement ajusté. A ce jour, la molécule a été approuvée dans une douzaine de pays européens en prévention de la maladie thromboembolique veineuse (MTEV) après chirurgie orthopédique de la hanche ou du genou. La FDA, en revanche, a suivi à l'automne dernier l'avis de son comité d'expert, et a rejeté le ximelagatran dans les trois indications demandées : la prévention de la MTEV durant la chirurgie orthopédique, le traitement de la TVP et la prévention des AVC chez les patients en FA. Ce rejet a été motivé par un risque hépatique, sévère dans de très rares cas, à quoi s'ajoutent des interrogations sur un excès possible d'infarctus du myocarde chez les patients traités à court ou à long terme. Dans son communiqué, la FDA reconnaît pourtant que le ximelagatran fait preuve d'efficacité, et constituerait une alternative importante à la warfarine (voir le lien).


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