Paris, France – En médecine comme en d’autres matières les certitudes doivent être remises en cause. A ce propos une étude canadienne bouscule la sacro-sainte idée du calcul du profil lipidique à jeun depuis 8 heures.
N’en déplaise aux détracteurs, les études épidémiologiques montrent que le risque cardio vasculaire augmente avec le taux de cholestérol et notamment le taux de cholestérol LDL (LDL-C) [1].
Le cholestérol total (C-T) le cholestérol HDL (HDL-C) les triglycérides (TG) sont les constituants du profil lipidique. Ces derniers sont jusqu’à ce jour, dosés après au moins 8 heures de jeûne en raison de leur présence au sein des chylomicrons en période post prandiale [2].
LDL-C : calculé et non pas dosé directement
L’étalon or de la prise en charge de nos patients, le taux de LDL-C, est dans la pratique courante calculé en faisant intervenir les constituants du profil lipidique selon la formule de Friedewald : LDL-C=CT – HDL-C – TG/5 [3].
L’augmentation plasmatique des TG modifie donc le taux de LDL-C, à moins d’en effectuer un dosage direct, ce qui n’est pas la pratique courante (sauf en cas de TG > 4g/L). Le patient doit être à jeun.
La nécessité d’être à distance d’un repas représente une contrainte pour un patient de passage, pusillanime, négligent ou simplement âgé craignant de sortir au petit matin blême pour atteindre un laboratoire surchargé par les demandes d’examens… à jeun.
Et si l’on s’affranchissait de la nécessité d’être à jeun ?
Ce sont ces arguments qui ont sous-tendu l’étude canadienne de Davender Sidhu et coll (Calgary, Canada) destinée à montrer que l’Evaluation d’une Anomalie Lipidique (notre EAL) pouvait être effectuée sans grand chambardement si le patient n’est pas à jeun [4].
200 900 sujets consécutifs ont été prélevés pour un bilan lipidique. Pour chaque recueil, l’heure du précédent repas était mentionnée. Les profils lipidiques ont été répartis en tranches horaires à partir de la première heure post prandiale jusqu’à la 16ème heure. L’âge moyen était de 52 ans et les taux de lipides, plutôt favorables, en moyenne: CT=1,83g/L ; HDL-C=0,55g/l ; LDL-C=1,03g/L ; TG=1,27g/L.
Le taux de TG varie de + 20% en post prandial immédiat, et celui du LDL-C de + 10% à jeun. Les niveaux de CT et HDL varient très peu.
Pour ce qui est des TG et du LDL-C, les plus grandes amplitudes sont les suivantes :
TG = 1,5 en post prandial vs 1,20 g/L à jeun ;
LDL-C = 0,89 en post prandial vs 1,0 g/L à jeun.
Ces faibles différences, permettent, selon les auteurs, de conclure que le profil lipidique n’a plus de raison d’être effectué à jeun. Cela facilitera, la prise en charge d’une anomalie lipidique : dépistage, prévention, surveillance du traitement.
Objections…
On peut cependant objecter plusieurs points :
Qui dit calcul indirect dit ajout d’erreurs potentielles : le CT est variable selon l’état de stress du patient, la présence d’une maladie transitoire. Le taux de HDL- C lui aussi dépend de ces éléments. Est-ce vraiment utile d’ajouter une erreur de calcul supplémentaire concernant le LDL-C ? [3]
N’y a-t-il pas une brèche dans laquelle les défenseurs du « tout est bon dans le…cholestérol » vont s’engouffrer au motif que les dosages sont effectués sans précision ?
Le dosage de la glycémie va souvent de pair avec l’EAL : va-t-on aussi la négliger ? Le dosage de l’hémoglobine glycosylée (HbA1c), la préférée des diabétologues, est coûteux en ces temps de PLFSS 2013. L’éditorialiste souligne d’ailleurs que les diabétiques ne peuvent pas échapper au dosage à jeun [5].
Les sujets étudiés ont un taux de lipides étonnamment satisfaisant. Peut-on extrapoler les résultats obtenus dans ce contexte aux patients ayant un syndrome métabolique, une dyslipidémie ou tout simplement aux dosages que l’on rencontre en pratique courante ?
Qu’en est-il selon le moment de la journée chez le même patient ?
Les taux de triglycérides élevés minorent le niveau de LDL-C : qu’en est-il des patients ayant un taux de TG approchant les 4g/L ? Faut-il avoir recours au rapport CT/HDL non validé, ou au cholestérol non HDL ? L’étude ne l’évoque pas.
Enfin, il n’est pas fait état du traitement, ni de son horaire d’administration, ni des modalités du dernier repas.
Les repères doivent prévaloir sur la logistique
Les multiples études lipidiques conduisant aux recommandations, ô combien précises et coercitives pour le LDL-C, ont été effectuées à jeun. Faudra-t-il dorénavant retenir dans quelles circonstances les prélèvements ont été réalisés ?
Prenons l’exemple de la mesure de la tension artérielle : ne répète-t-on pas aux patients que les chiffres ne sont pris en compte qu’après respect des cinq minutes de repos ? Critères approuvés par la Société Française d’Hypertension ; le principe du recueil selon la « règle des 3 » le précise.
Pourquoi réfuter les acquis concernant le dosage des lipides ?
Pour des données importantes de prévention, un mètre étalon est nécessaire de façon à ne pas se disperser dans les examens à refaire (à jeun) ou des explications qui risquent d’embrouiller le patient et son adhésion au traitement.
Cela ne peut que le conforter dans la pensée douillette que, cette fois-ci, des chiffres élevés sont uniquement dus au bon repas qu’il vient de prendre. Ce genre d’excuses que nous entendons régulièrement, risque de trouver un appui de notre part.
Je veux bien me montrer conciliant avec mon patient âgé ; je me résous à lui épargner le matin blafard et la file d’attente… en hiver seulement ! C’est hors de question pendant l’été : l’EAL se fera pendant cette saison et ses matins ensoleillés, à jeun !
Références
Cooper GR, Myers GL, Smith SJ et coll. Blood lipid measurements. Variations and practical utility JAMA. 1992 Mar 25;267(12):1652-60.
Bachorik PS, Cloey TA, Finney CA, et coll. Lipoprotein-cholesterol analysis during screening: accuracy and reliability. Ann Intern Med. 1991 May 1; 114(9):741-7.
Rosenson RS. Measurement of serum lipids and lipoptoteins. In UpToDate.October 21 2011. [www.uptodate.com]
Sidhu D, Naugler C. Fasting time and lipid levels in a community-based population. A cross-sectional study. Arch. Int. Med. 2012. Nov 12; 1-4.doi.1001/archinternmed.2012.3708.
J. Michael Gaziano. Should We Fast Before We Measure Our Lipids? Arch Intern Med. 2012. Nov 12; 1-2. doi:10.1001/jamainternmed.2013.1771.
Liens
Citer cet article: Pas besoin d'être à jeun pour doser les lipides : une fausse bonne idée - Medscape - 28 nov 2012.
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