POINT DE VUE

Tenir compte du risque de chute dans la prescription d'une anticoagulation

Dr Jean-Pierre Usdin

Auteurs et déclarations

23 novembre 2012

Paris, France – L’indication d’un traitement anticoagulant est retenue : les « pours » et « contres » ont été discutés. Et si le patient venait à faire une chute ?

Le dilemme de la mise en route d’un traitement anticoagulant ou antiagrégant plaquettaire, nous hante dans nos consultations tous les jours.

Les scores portant des acronymes faciles à décliner, récemment mis à notre disposition sont notre credo et notre confiteor quotidien : CHA²DS²-VASc, pro anti coagulation – HAS-BLED & HEMORR2AGES, les garde-fous.

Si le score HEMORR2AGES plus spécifique aux patients de plus de 75 ans, accorde 1 point, sur les 12 possibles, aux risques de chutes (E : excessive fall risk), les 9 points de HAS-BLED n’y font pas référence.

Equilibrer l’INR et…rendre le patient plus stable sur ses jambes

Il n’est pas une journée sans que des patients traités par des anticoagulants ou antiagrégants se présentent aux urgences après une chute : plaie ou hématome quand il ne s’agit pas d’un traumatisme crânien.

Pourquoi et comment le patient chute-t-il ?

Comment évaluer le risque de chutes et comment l’’intégrer dans nos recommandations pour guider au mieux nos prescriptions sans mettre en jeu la vie du patient, soit par excès de zèle soit par une attitude trop timorée ?

Une étude canadienne originale publiée dans The Lancet , apporte un éclairage concernant les situations les plus fréquemment retrouvées à l’origine des chutes [1].

Au sein de deux maisons de retraite, des caméras ont été placées dans les endroits conviviaux et dans les couloirs afin de déterminer quels sont les éléments précurseurs de la chute.

Pendant 3 ans, les chutes ont été répertoriées, les bandes vidéo analysées selon un questionnaire précis qui évaluait la cause de la chute.

130 patients (chaque maison de retraite comprenait 180 hôtes d’âge moyen 81 ans) sont tombés pour certains plusieurs fois ce qui représente un peu plus de 220 chutes (pour un âge moyen de 78 ans) décortiquées.

La cause la plus fréquemment retrouvée (41%des chutes) correspond au mauvais transfert, au déplacement inadapté du poids du corps, tel se pencher de façon inconsidérée en marchant, perdre le balancement des bras, piétiner, s’asseoir.

Trébucher, s’affaisser (21%) viennent ensuite, suivies par le heurt d’un objet (11%), le dérobement d’un support (11%) ou une hypotension artérielle (11% également).

Très curieusement les glissades correspondent seulement à 3% du total des chutes.

Ces chutes surviennent pour la moitié des cas quand le patient est debout, marche ou non, ou bien s’assoit.

C’est la mauvaise répartition du poids plus que la perte de l’équilibre à proprement parler qui est responsable du déséquilibre et de la chute : une mauvaise gestion du centre de gravité, en fait.

Comment prévenir ces chutes ?

Une Revue Cochrane réactualise les moyens à mettre en œuvre pour diminuer le nombre et réduire le risque de chute [2].

159 études regroupant pratiquement 80 000 patients (60 ans et plus) ont été reprises, la plupart étant des essais comparant des actions préventives à l’absence de celles-ci.

Les mesures préventives les plus efficaces pour diminuer la fréquence et/ou le nombre de chutes sont essentiellement :

  • Les programmes d’exercices dirigés que ce soit en groupe ou de façon individuelle. 

  • L’évaluation personnalisée du risque de chute en prenant en compte les facteurs associés (hypotension, affection neurologique, polymédications…).

  • L’implantation d’un pacemaker en cas de dysfonction sinusale.

  • La pratique du Tai Chi.

  • La chirurgie de la cataracte (notamment chez la femme !)

  • La concertation avec le médecin traitant pour la réduction de médications  (psychotropes, hypotenseurs)

  • Sols et chaussures anti-glisse.

En revanche, aucun bénéfice n’a été n’est signalé pour  :

  • Le supplément de vitamine D si les taux sont normaux.

  • Les conseils comportementaux : l’auto-initiation est sans effet sur la fréquence et le risque de chutes.

  • L’accoutumance à de nouvelles lunettes s’avère délétère.

Quand le patient est à haut risque de chute

Alors que faire concernant les anticoagulants chez ces patients à haut risque de chute?

  1. Citons tout d’abord l’étude de J. Donzé et coll, allant à l’encontre de nos idées reçues [3].

Dans le but louable de récuser le moins possible de patients éligibles (au traitement anticoagulant), les auteurs ont répertoriés 515 patients sortis de l’hôpital traités par anticoagulants pendant 12 mois.

Trente-cinq ont souffert d’un saignement majeur (7,5 pour 100 patients/an).

Considérant les 308 patients à haut risque de chute, 8% ont eu un saignement majeur. Ce pourcentage est comparable aux 6,8% d’accidents hémorragiques majeurs chez les patients à faible risque de chute.

« Seulement 3 saignements majeurs ont été consécutifs à une chute » soulignent les investigateurs. Et de conclure que le risque de chute ne doit pas à lui seul contre-indiquer un traitement anti coagulant ; la majeure partie des saignements sont survenus dans le tractus digestif.

Pourtant, qui dit équilibre instable dit chutes possibles tôt ou tard, et qui dit chutes dit risques d’hématomes de plaies de saignements…

Cet argument est d’ailleurs soutenu par le travail de D. Poli et coll., à partir de plus de 4 000 patients âgés de 80 ans ou plus, montrant que le risque de saignements sous AVK est significativement associé à des antécédents d’hémorragies, de cancer et …de chutes [4].

Cette possibilité de chutes ne doit pas être minimisée, ni les polymédications. Comme le rappelle le D (Drugs) de HAS-BLED qui souligne le danger que font courir les ajouts médicamenteux fréquents chez nos patients âgés.

Savoir choisir un stent adapté

Bien évidemment le médecin n’est pour rien dans la survenue d’une fibrillation auriculaire. Mais son rôle est aussi de savoir que la survenue d’une chute est possible. Cela doit obligatoirement peser dans l’indication du type de stent. S’engager chez un patient à la statique précaire dans un traitement d’un an avec une triple association anticoagulante, relève du défi.

De la même façon, l’aspirine tout comme les antiagrégants ou encore les nouveaux anticoagulants ne doivent pas générer une attitude benoitement sereine. Celle-ci serait bien mal inspirée ! Contrairement aux AVK, il n’existe à ce jour ni contrôle de l’anticoagulation, ni antidote en dehors de moyens coûteux et ô combien sophistiqués pour ces nouveaux produits.

 

Références

  1. Robinovitch SN, Feldman F, Yang Y et coll. Video capture of the circumstances of falls in elderly people residing in long-term care: an observational study. Lancet.  2012 Oct 16. pii: S0140-6736(12)61263-X. doi: 10.1016/S0140-6736(12)61263-X. [Epub ahead of print]

  2. Gillepsie LD, Robertson MC, Gillepsie WJ et coll. Interventions for preventing falls in older people living in the community. Cochrane Library. Published : 1st March 2012. (on line 12 Sept 2012) DOI: 10.1002/14651858.CD007146.pub3 http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/14651858.CD007146.pub3

  3. Donzé J, Clair C, Hug B et coll. Risk of Falls and Major Bleeds in Patients on Oral Anticoagulation Therapy. Amer. J. Med. 2012;125: 773-8.

  4. Poli D, Antonucci E, Testa S et coll. Bleeding Risk in Very Old Patients on Vitamin K Antagonist Treatment. Circulation. 2011;1 24: 824-9.

 

Liens

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....