POINT DE VUE

SCA et FA : menaces sur l'association AVK + bithérapie antiplaquettaire

Dr Jean-Pierre Usdin

Auteurs et déclarations

22 octobre 2012

Paris, France – Fibrillation auriculaire (FA) et syndrome coronarien aigu (SCA), pathologies avec haut potentiel thrombotique, sont souvent associées dans notre pratique. Elles nécessitent chacune une modalité anticoagulante différente : anticoagulants (AVK), antiagrégants plaquettaires (AAP). Cette coprescription fréquente est génératrice d’un risque hémorragique important.

Nous savons tous parfaitement ce que contiennent les sigles fameux, CHA²DS²VASc, HAS-BLED, étalons de nos prescriptions d’anticoagulants. Véritables Yin et Yang de nos ordonnances, témoins de ce dilemme fréquent en pratique de ville : trouver le juste milieu entre le risque de thrombose aiguë de stent, d’infarctus aigu, d’accident embolique cérébral, et de l’autre côté, le risque d’hémorragie sévère au pronostic non moins sombre.

L’importance de ce dernier risque vient d’être quantifiée par l’étude de Lamberts et coll. à partir d’un registre danois [1].

Ce registre national concerne 11 500 patients (âge moyen: 76 ans) ayant une FA, qui ont été hospitalisés pendant la période 2000 à 2009 pour un infarctus du myocarde ou une intervention coronarienne percutanée.

Considérant 30 jours de traitement les taux de saignements fatals ou ayant conduit à une hospitalisation étaient :

  • warfarine + aspirine + clopidogrel : 22,6 pour 100 patients/années

  • warfarine + un seul AAP : 20,3 pour 100 patients/années

  • aspirine+ clopidogrel : 14,3 pour 100 patients/années.


Le risque de saignement avec triple thérapie perdure tout au long de la première année, avec une importance majeure durant les 90 jours qui suivent la procédure coronarienne.

L’absence de réponse n’empêche pas de poser les questions

L’importance des complications hémorragiques, chiffrée pour la première fois, pourrait remettre en cause cette triple association anticoagulante.

Si la nécessité de l’anticoagulation (AVK/nouveaux anticoagulants) est bien établie pour la FA grâce au score sus décrit, une zone floue existe encore pour les modalités et la durée d’utilisation des AAP au cours des SCA et en post pose de stent.

En effet : quid de la durée de l’association aspirine et inhibiteur P2Y12 ?

L’association d’AAP est dictée par un consensus d’experts des sociétés savantes. Les recommandations actuelles proposent d’associer deux AAP pendant une période qui va de un à douze mois. Interviennent dans le choix de la durée : le type du stent, la sévérité de l’accident coronarien et l’évaluation du risque hémorragique.

En dehors de la durée de 1 mois après stent nu (I A), les autres recommandations concernant l’association de deux AAP sont en classe I avec un niveau C.

Et pourtant le risque thrombotique se prolongerait jusqu’à 5 ans ! (J-Cypher Registry) [2].

Les résultats de l’étude Dual Antiplatelet Therapy Study sont attendus pour décembre 2013 [3]. Celle-ci réunira 20 000 patients traités par deux AAP soit 12, soit 30 mois et devrait nous informer sur la durée appropriée de l’association en termes d’efficacité et de sureté.

En pratique actuelle nous considérerons malgré tout que la durée de 12 mois prévaut pour le moment en cas de SCA ou de stent actif. En quelque sorte une recommandation « par défaut »

La présence ou la survenue d’une FA impose l’ajout épineux d’un anti thrombotique (AVK, pour le moment).

La triple thérapie doit en principe protéger nos patients de l’accident embolique, de la thrombose aigüe de stent, de la récidive de l’infarctus.

Ce principe « rassurant » de protection contre la thrombose semble être remis en question par des études récentes.

L’étude WOEST , présentée au dernier congrès de la Société Européenne de Cardiologie montre que l’association warfarine + clopidogrel est aussi efficace pour la prévention des accidents thrombotiques, et moins risquée au plan hémorragique que la triple association de warfarine + aspirine + clopidogrel, chez les patients ayant eu un stent coronaire et souffrant d’une fibrillation auriculaire justiciable des anticoagulants [4].

De même, dans le registre danois sus cité, les événements thrombotiques combinés, décès cardiovasculaires, infarctus du myocarde, accident thrombotique vasculaire cérébral, surviennent dans les mêmes proportions que les patients soient traités par triple ou double thérapie (AVK+ AAP), alors que le risque de saignement est, on l’a vu, significativement plus important pour la triple thérapie [1].

Mêmes conclusions toujours pour Ferreira-Gonzales et coll : chez 1 600 patients ayant un stent actif, l’arrêt au cours de la première année (passé le premier mois) d’un ou deux AAP n’est pas rare mais ne semble pas avoir d’impact important sur le risque thrombotique (4,1% d’événements) [5].

La question du bénéfice éventuel de la double AAP est d’autant plus cruciale lorsque les AVK sont nécessaires.

Des études qui compareront le risque hémorragique avec l’efficacité anti thrombotique de différentes associations anticoagulantes sont indispensables.

Chez un patient ayant une prothèse valvulaire mécanique, la survenue d’un événement coronarien aigu pose les mêmes questions. Toutefois, dans ce cas, la poursuite impérative du traitement par AVK est très bien comprise par le patient, ce qui n’est pas toujours le cas pour la fibrillation auriculaire au cours de laquelle l’interruption (émanant du patient ou du médecin) n’est pas si rare [1].

Nos collègues cardiologues interventionnels devront accepter plus facilement de placer un stent nu, et nous cardiologues traitants nous devrons répéter très fréquemment les vérifications d’INR, tout au moins les premiers mois.

Mais avec la mise sur le marché de nouveaux AAP et anti thrombotiques, le débat est bien loin d’être clos.

 

Références

  1. Lamberts M, Olesen JB Ruwald MH et coll. Bleeding after initiation of multiple antithrombotic drugs, including triple therapy, in atrial fibrillation patients following myocardial infarction and coronary intervention. A nationwide cohort study. Circulation 2012; 126: 1185-93.

  2. Kimura T, Torimoto T, Nakagawa K et coll. Very late stent thrombosis and late target lesion revascularization after Sirolimus–eluting stent implantation :five year outcomes of the J-Cypher registry. Circulation 2012;125:584-91.

  3. Rodriguez D, Jimenez Mena M,et Zemorano. Answers to difficult questions in antiplatelet therapy. E-journal of the ESC Council. Vol. 11; N° 1, 21 Sep 2012.

  4. Dewilde W. The WOEST trial: first randomized trial comparing two regimens with and without aspirin in patients on oral anticoagulant therapy undergoing coronary stenting. Hotline III late breaking trials on arrhythmias. 28 Août 2012.

  5. Ferreira-Gonzales I, Marsal JR, Ribera A et coll. Double antiplatelet therapy after Drug–Eluting Stent implantation. Risk associated with discontinuation within the first year. J . Am. Coll. Cardiol. 2012; 60: 1333-9.

 

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