POINT DE VUE

La cardio-oncologie, façon de relier deux spécialités qui ont beaucoup en commun

Dr Jean-Pierre Usdin

Auteurs et déclarations

12 mars 2012

Paris, France -- Le vieillissement de la population et l’efficacité des traitements cardiologiques et anti-cancéreux, ont suscité l’idée de réunir les deux spécialités en une seule : la cardio-oncologie. Le pas a été franchi à Milan où la première unité de cardio-oncologie a ouvert ses portes en 2011, au sein de l’Institut Européen d’Oncologie. Le Dr D. Cardinale en est le directeur [1].

Jusqu’à présent, dans cette unité, le cardiologue est relégué au rôle, ingrat, de consultant se limitant à autoriser ou non la poursuite du traitement par les anthracyclines, par exemple, au nom du sacro-saint risque cardiovasculaire.

Le cardio-oncologue : cardiologue et oncologue
Le cardio-oncologue aura une formation de cardiologue doublée de celle d’un oncologue. Il prendra ainsi en charge les patients souffrant des deux pathologies en ayant un rôle actif dans le suivi du patient et la discussion thérapeutique.

On connaît bien évidemment la toxicité myocardique des anthracyclines, cependant un autre problème existe et il évolue à bas bruit : la majoration du risque cardiovasculaire après la fin de du traitement anti cancéreux. On peut citer les effets retardés des anthracyclines, l’hypertension déclenchée par les antiangiogéniques (portant les suffixes …nib et …mab qui nous « aident » à nous y retrouver…) et les effets de la radiothérapie.

Le cardio-oncologue spécialiste en charge du patient, remplacera le cardiologue (seulement) consultant.

L’International CardiOncology Society
Les premiers jalons de cette spécialité ont été définis par l’International CardiOncologie Society (ICOS) », fondée en 2009 [2,3]. Le Dr C. Cipolla (Milan) en est le président pour la branche européenne et asiatique. La branche américaine (Houston) est présidée par le co-fondateur le Dr D. Lenihan.

Cette société organise des colloques, assure la formation médicale concernant la comorbidité cancer/cardiopathie. Elle a aussi pour but de promouvoir la prévention, la recherche thérapeutique sans oublier l’impact cardiovasculaire des traitements anti cancéreux.

Une prévention commune
Prévenir la maladie. La prévention de ces deux affections a des similitudes : le tabac bien sûr mais aussi l'alcool le diabète… Prévenir l'une, c'est également se protéger de l'autre [4]
Mais il doit aussi être possible de devancer la dysfonction cardiaque au cours du traitement du cancer, en la détectant de plus en plus précocement, et idéalement, en la prévenant. On peut notamment penser au dosage des hormones natriurétiques et des troponines au cours de la chimiothérapie, et à la prescription très précoce d’inhibiteurs de l’enzyme de conversion. Mais aussi, dans le futur, à l’utilisation de nouveaux bio-marqueurs très sensibles (microRNA…).

Les essais cliniques
Actuellement remarque le Dr Cipolla, « les grands essais thérapeutiques cardiovasculaires excluent les patients atteints d’un cancer et réciproquement : la toxicité potentielle des anticancéreux écarte des grandes études oncologiques les patients souffrant d’une affection cardiaque [...] . Réunir les travaux des cardiologues et des oncologues dans les phases pré-cliniques pourra accroître le nombre de patients bénéficiant des nouveaux traitements. »

Mutation du gène BRCA-1 et risque cardiaque
La découverte d’une plus grande susceptibilité cardiaque aux anthracyclines chez les femmes ayant un cancer du sein ou de l’ovaire associé à la mutation du gène BRCA 1, apporte un argument supplémentaire, s’il en était besoin, à l’importance de la coopération entre oncologues et cardiologues.

La protéine codée par le gène BRCA-1 (BReast CAncer-1) inhibe le développement des tumeurs, mais agit aussi tel un protecteur des cardiomyocytes. Des chercheurs canadiens ont mis en évidence chez des souris mutantes pour le gène BRCA 1, une sensibilité beaucoup plus grande des cellules myocardiques à l’ischémie et à la toxicité des anthracyclines [5].

Chez les femmes souffrant d’un cancer du sein lié à une mutation de BRCA 1, la prescription d’anthracyclines devra être faite sous haute surveillance cardiologique, à moins qu’une alternative thérapeutique soit envisagée.

Micro-trottoir

L’ICOS compte quelques 300 inscrits, un peu plus de cardiologues que d’oncologues, et veut favoriser les échanges scientifiques et académiques entre les deux spécialités.  
Un micro-trottoir réalisé auprès de quelques-uns de mes collègues oncologues montre que :

  • les trois-quarts sont enthousiastes à cette idée de la cardio-oncologie, bien qu’aucun ne connaisse encore la société. Ils considèrent le nombre croissant de patients souffrant des deux affections chroniques et l’intérêt d’une concertation oncologues/cardiologues. Ils regrettent souvent la disparité actuelle entre nos deux spécialités ;

  • un quart des oncologues doutait de l’impulsion que pourrait engendrer ce néologisme.

Quant à mes collègues cardiologues… leurs commentaires sont les bienvenus !

 

Références

  1. Taylor J. Heart disease and cancer: the new discipline of cardiology. Eur. Heart J. in CardioPulse 2012 ; 33 : p 151-2

  2. Taylor J. Heart disease and cancer: the International Cardioncology Society. Eur. Heart J. in CardioPulse. 2012; 33: p 286-7.

  3. www.cardioncology.com

  4. www.3OUR50.com

  5. Shkula PC, Singh KK, Quan A et coll. BRCA1 is an essential regulator of heart function and survival following myocardial infarction. Nature Communications 2: 593, 20 dec. 2011. doi 10 .1038/ncomms1601.

Liens

La prédisposition génétique au cancer BCRA 1 pourrait majorer le risque cardiaque.
[Medscape France > Actualités. Oncologie ; 11 janvier 2012]

Un lien modeste entre hypertension et risque de décès par cancer
[heartwire > Actualités ; 27 septembre 2011]

L'herceptine augmente le risque cardiaque chez les femmes âgées
[heartwire > Actualités ; 13 septembre 2011]

Presque deux fois plus de décès cardiaques 20 ans après radiothérapie pour cancer du sein
[heartwire > Actualités ; 11 février 2011]

Radiothérapies thoraciques : le risque cardiaque
[heartwire > Actualités ; 24 février 2010]

Radio et chimiothérapies : des effets cardiaques à connaître
[heartwire > CNCF Actualités ; 13 octobre 2009]

Maladie cardiaque précoce chez les survivants à un cancer dans l'enfance/adolescence
[heartwire > Actualités ; 12 août 2008]

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