POINT DE VUE

Interrogations autour des effets indésirables et imprévus de médicaments importants

Dr Jean-Pierre Usdin

Auteurs et déclarations

12 mai 2011

Paris, France — À Genève, lors de la réunion de l'Euro Prevent (14-16 avril 2011), le Pr Salim Yusuf a été salué par une standing ovation après avoir déclaré que la maladie cardiovasculaire, épidémie planétaire, pourrait disparaître en 2050 si l'on appliquait à la population mondiale quelques principes (hygiéno-diététiques) simples.

Certes, mais en attendant d'être capable de modifier les habitudes de vie à l'égard du tabac, du sel alimentaire ou bien encore de la sédentarité, nous sommes toujours contraints d'utiliser des médicaments dont les effets secondaires (potentiels ou réels) suscitent un nombre croissant de controverses et de méta-analyses pour vérifier la positivité du rapport bénéfice/risque.

En se limitant à l'actualité récente, plusieurs classes thérapeutiques très largement prescrites ont ainsi suscité moult discussions : la supplémentation calcique, les sartans et les statines.


Un impact cardiovasculaire d'une supplémentation calcique ?

Au sujet de la prescription de supplément de calcium, la polémique a été relancée récemment par MJ Bolland et coll qui suggère une augmentation (modeste) du risque cardiovasculaire chez les femmes.

Face à une contradiction dans l'essai Women ' s Health Initiative CaD, ces auteurs se sont lancés dans une relecture de l'étude, au terme de laquelle ils affirment que la randomisation imparfaite a masqué le surrisque vasculaire chez les femmes prenant un supplément de calcium et de vitamine D (la vitamine serait hors de cause). Ce surrisque significatif serait de 1,13 pour l'infarctus myocardique et de 1,22 pour l'accident cérébral, en défaveur d'une supplémentation en calcium et vitamine D [1].

Le supplément de calcium préviendrait 3 fractures ostéoporotiques chez 1000 femmes sur 5 ans mais provoquerait 6 infarctus du myocarde — MJ Bolland et coll.

Et de conclure, en s'appuyant sur deux autres analyses, que le supplément de calcium préviendrait 3 fractures ostéoporotiques chez 1 000 femmes sur cinq ans mais provoquerait 6 infarctus du myocarde.

Pour l'éditorialiste qui commente ce travail du British Medical Journal, cette controverse autour de la supplémentation calcique chez la femme ménopausée mérite un supplément d'études [2].


Plus d'infarctus et de décès cardiaques sous sartans ?

Les sartans et les statines font également l'objet de controverses.

De multiples études ont fait la preuve que les inhibiteurs des récepteurs de l'angiotensine II (ARA II) sont un traitement efficace de l'hypertension artérielle, de l'insuffisance cardiaque.

En 2004 néanmoins l'étude VALUE [3] avait fait état d'une augmentation de 19 % du risque d'infarctus du myocarde ! Cette hypothèse vient d'être réfutée par une méta-analyse portant sur plus de 147 000 patients inclus dans des essais randomisés [4].

Conclusion : les sartans n'accroissent pas le risque d'infarctus du myocarde. Mieux ! Comparés aux sujets contrôles, ils diminuent le risque d'accident vasculaire cérébral, d'insuffisance cardiaque et la survenue d'un diabète.

Dans l'essai ROADMAP (patients diabétiques et survenue d'une albuminurie : 4500 pendant 4 ans), l'olmésartan aurait été responsable d'un nombre significatif de décès cardiaques : 15 vs 3 pour le placebo. La Food and Drug Administration accorde néanmoins l'indication au titre du traitement de l'HTA (mais ne retient pas l'indication pour la prévention de l'albuminurie chez les patients diabétiques) [5].

Les sartans ont aussi été accusés d'augmenter le risque de cancers, notamment pulmonaire, dans une méta-analyse publiée en 2010 dans le Lancet Oncology [6]. Cependant, deux autres méta analyses parues l'une dans Circulation [7], l'autre dans The Journal of Hypertension [8] réfutent cette hypothèse. Ainsi, chez plus de 325 000 patients, il n'a pas été noté de différence significative dans la survenue de cancers au cours du traitement par les sartans.

Le Pr Jacques Blacher (Hôtel-Dieu, Paris) lors d'une interview donnée à heartwire, remarque d'ailleurs que le délai de survenue de nouveaux cancers paraît bien court dans l'étude du Lancet. Il évoque également un effet d'annonce préjudiciable à l'utilisation de ces produits qui ont fait la preuve de leur efficacité avec un niveau de preuve irréfutable.


Un effet diabétogène des statines

Trois études majeures concernant l'atorvastatine (TNT, IDEAL, SPARCL) feraient état du risque accru de survenue d'un diabète associé au traitement. Un effet dose a été évoqué parallèlement à la diminution importante du LDL cholestérol. Cependant, il convient de remarquer que la plupart des patients traités par les statines sont déjà menacés par la survenue d'un diabète.

Pour 225 patients traités, il y aurait un nouveau cas de diabète. Mais la diminution d'1 mmol/l de LDL cholestérol prévient plus de 5 événements cardiaques majeurs [9]. Il n'y a donc pas lieu de cesser ce traitement.

Clopidogrel et IPP : le chapitre est-il clos ?

Quant à l'association oméprazole-clopidogrel, la cause semble entendue ! Il n'y a pas de diminution in vivo de l'efficacité du clopidogrel quand il est associé à l'oméprazole ou l'esoméprazole. Qui plus est, les gastro-entérologues eux-mêmes ont constaté que le clopidogrel n'altérait pas l'effet de l'esoméprazole [10]. L'esoméprazole (ou l'oméprazole) est donc justifié quand il y a des antécédents ulcéreux si l'on doit prescrire le clopidogrel.

Avons-nous réellement le choix pour nos prescriptions ?

Mais au final, quel est notre degré de liberté à l'égard de prescriptions dont l'efficacité est clairement démontrée en cardiovasculaire ? Avons-nous les moyens de nous en passer sans nuire aux patients ?

Plusieurs controverses sur des médicaments à l'intérêt prouvé, ont paradoxalement fait augmenter l'utilisation d'autres produits à l'efficacité beaucoup moins établie. Aux Etats-Unis on constate une recrudescence de l'utilisation des fibrates, alors qu'il n'existe pas de preuve que ce traitement réduit la morbi-mortalité cardiovasculaire. Cette envolée est attribuée à un effet marketing, à la substitution aux statines quand les effets secondaires de celles-ci sont importants, ainsi qu'à l'absence de recommandations précises en ce qui concerne la prise en charge des hyper triglycéridémies [11]. Selon les récentes recommandations de l'American Heart Association qui définissent le niveau adéquat de triglycérides, le meilleur moyen pour atteindre cette cible n'est autre que l'exercice physique et le régime [12]. On en revient aux réflexions du Pr Salim Yussuf...

 

Références
  1. Bolland M J, Grey A, Avenell A et coll. Calcium supplements with or without vitamin D and risk of cardiovascular events: reanalysis of the Women's Health Initiative limited access dataset and meta-analysis. BMJ 2011. 342:d2040.

  2. 2 Abrahamsen B, Sahota O. Do calcium plus vitamin D supplements increase cardiovascular risk ? BMJ 2011. 342:d2080

  3. Julius S, Kjeldsen S, Weber M et coll. Outcomes in hypertensive patients at high cardiovascular risk treated with regimens based on Valsartan or Amlodipine : the VALUE randomised trial. Lancet 2004;363:2022-31.

  4. Banglore S, Kumar S, Wetterslev J et coll. Angiotensin receptor blockers and risk of myocardial infarction: meta-analysis and trial sequential analyses of 147 020 patients from randomised trials. BMJ 2011. 342:d2234

  5. FDA Drug Safety Communication: Safety Review Update of Benicar (olmesartan) and cardiovascular events [4/14/2011].

  6. Sipahi I, Debanne SM, Rowland DY et coll. Angiotensin-receptor blockade and risk of cancer : meta-analysis of randomised controlled trials. Lancet Oncology. 2010;11:627-38.

  7. Pasternak B, Svanström H, Callerus T et coll. Use of angiotensin receptors blockers and the risk of cancer. Circulation. 2011;123:1729-36.

  8. The ARB Trialist collaboration. Effects of Telmisartan, Irbesartan, Valsartan, Candesartan and Losartan on cancers in 15 trials enrolling 138 769 individuals. J Hypertens. 2011;29:623-35.

  9. Waaters DD, Ho JE, DeMicco DA et coll. Predictors of new-onset diabetes in patients treated with Atorvastatin. Results from 3 large randomized clinical trials. J.Am.Coll.Cardiol. 2011;57:1535-45.

  10. Hsu P-I, Lai KH, Lui CP. Esomeprazole with Clopidogrel reduces peptic ulcer recurrence compared with Clopidogrel alone, in patients with atherosclerosis. Gastroenterology 2011 ;140 :791-8.

  11. Jackevicius C A, TU J V, Ross J V et coll. Use of Fibrates in the United States and Canada. JAMA 2011;305:1217-24.

  12. Cardiovascular Risk Reduction Guidelines in Adults ; Cholesterol Guideline Update (ATP IV) ; Hypertension Guideline Update (JNC 8) ; Obesity Guideline Update (Obesity 2) ; Integrated Cardiovascular Risk Reduction Guidelines .

 

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