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Steven Rourke
Rédacteur indépendant
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Ce diaporama a été publié originalement sur Medscape.com, le 14 mars 2017
Traduit par Vincent Bargoin
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Steven Rourke | 11 juillet 2017
Notre rapport à l’alcool s’inscrit dans un réseau complexe de pratiques et de normes sociales, culturelles, rituelles, entre religion et recherche de plaisir, échanges marchands et convictions médicales.
Le recours à l’alcool dans une visée thérapeutique semble aussi ancien que l’alcool lui-même. On le retrouve dans nombre de cultures, à nombre d’époques, un peu partout dans le monde.
Les diapositives suivantes illustrent les usages que la médecine a fait de l’alcool depuis les sociétés anciennes jusqu’à nos jours.
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Des vases d’argile découverts dans le Nord de la Chine, et qui remontent à 6 ou 7000 ans avant notre ère, constituent les traces les plus anciennes de l’utilisation de l’alcool. Ils renfermaient du vin de riz (alcool de riz ayant subi une vinification), aromatisé par du miel et du raisin [2,3].
L’alcool purement médicinal (yao jiu), que l’on ne confondait pas avec l’alcool fermenté (huang jiu) et l’alcool distillé (bai jiu), avait dans l’ancienne Chine des indications spécifiques, basées sur l’affection, mais aussi sur l’âge et le sexe du patient.
On trouve des descriptions de préparations de plantes médicinales dans de l’alcool dans tous les grands traités d’herboristerie. D’une manière générale, ces préparations sont destinées à « réchauffer le sang » et à « revitaliser » [4]. La littérature médicale chinoise signale également des situations nécessitant de boire de grandes quantités d’alcool, et discute les effets secondaires de celles-ci.
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La plus ancienne brasserie connue aurait fonctionné dans la cité égyptienne de Nekken (ou Hierakonpolis) aux alentours de 3400 av. J.-C (apparition des premières citées fortifiées en Egypte). Le brassage était une activité importante dans l’Egypte ancienne, où la bière, qualifiée de « nécessité de la vie », était consommée dans toutes les classes sociales.
Osiris, dieu de la vie et de la mort, était aussi le dieu du vin, considéré comme une potion de jouvence, importée pour les classes aisées.
Bière et vin faisaient partie intégrante de la vie rituelle et des pratiques religieuses et médicales. La consommation d’alcool était ainsi répandue, et généralement modérée, pour « le plaisir, l’alimentation, la médecine, les rituels religieux, à titre de rémunération, et lors des funérailles » [2,3].
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La Grèce antique considérait le vin comme bénéfique pour le corps et l’esprit, pour les femmes comme pour les hommes, en usage interne ou externe [7]. Les médecins le prescrivaient largement pour des troubles digestifs, respiratoires, mais aussi contre les tumeurs et les blessures [6]. Hippocrate considérait le vin comme bénéfique dans de nombreuses situations, sauf « les lourdeurs cérébrales accablantes » [2].
Les médecins grecs ont aussi exercé leur esprit critique sur l’usage du vin [6]. Hippocrate et Galien ont tous deux consigné leurs connaissances sur le vin en médecine, et écrit sur ses effets positifs aussi bien que sur ses aspects négatifs. Leurs traitements tenaient compte d’une part de la couleur du vin, de sa provenance et de son âge, de son nez, de son goût et de sa consistance, et d’autre part de la maladie mais aussi de l’âge du patient, de son sexe et de son style de vie [6]. Galien soutenait que l’alcool n’était pas bon pour les enfants, mais le devenait pour les personnes âgées [6].
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Le recours au vin comme remède dans l’Empire romain, était influencé par les traditions grecque et étrusque [8]. Du vin mélangé à de l’encens ou de la myrrhe était utilisé comme anesthésiant avant les actes chirurgicaux, une pratique qui aurait été empruntée à la médecine talmudique [9]. A partir du second siècle av. J.-C., la consommation ludique et festive du vin devient plus fréquente et s’étend dans tout l’empire [10]. Pour la première fois dans l’histoire, peut-on supposer, l’ivresse devient un passe-temps populaire.
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Dans l’Europe du moyen-âge, le brassage de la bière était une activité économique importante pour les monastères et les ordres religieux [3,11]. On estime qu’entre le XIe et la fin du XVe siècle, un anglais moyen en consommait plusieurs litres par jour [3]. Les médecins comme les moines croyaient en les propriétés médicinales de l’alcool, et s’enthousiasmaient pour les produits distillés, comme l’aquae vitae, tenue pour un « médicament divin » [2].
Le médecin Arnaldus de Villanova (1240-1315) la considère comme une « cure pour tous les maux », procurant de la chaleur contre les maladies du froid et protégeant de la peste [3]. Dans Liber de vinis, il attribue de très vastes propriétés médicinales à l’alcool, « adapté à tous les âges, à chaque moment, dans toutes les régions. L’alcool réconforte « les têtes endolories », stimule appétit et digestion, protège contre la jaunisse, l’hydropisie, les douleurs dans la poitrine et la goutte. Villanova l’utilise aussi pour traiter les maladies de la vessie et « les morsures de chiens fous », ainsi que pour accroitre le courage et la mémoire [2,3].
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Dans les sociétés précolombiennes, la consommation d’alcool à des fins sociales, rituelles, médicinales et religieuses semble à la fois ancienne et répandue. Des vestiges retrouvés en Mésoamérique suggèrent que les Mayas consommaient de l’hydromel et des alcools à base de maïs un millénaire avant notre ère [1]. Selon les descriptions données par les conquistadors, des alcools étaient également produits à partir de cactus, de fruits et d’écorces [2].
Quant aux usages spécifiquement médicinaux de l'alcool, il semble qu’ils étaient courants dans l’Amérique précolombienne [2]. On rapporte qu’en 1603, Sir Walter Raleigh, emprisonné à la Tour de Londres, a confectionné un cordial à partir de plus de 40 plantes rapportées des Amériques, et que cet « élixir de longue vie » eut les faveurs de la Reine du Danemark [12].
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Au tournant du moyen-âge et de la renaissance, on reste persuadé des bienfaits de la bière et du vin. Les premières connaissances anatomiques ne vont pas tarder. L’alcool n’en restera pas moins prescrit dans les hôpitaux londoniens jusqu’au XVIIIe siècle. Mais l’idée fait son chemin que l’alcool pourrait ne pas promouvoir la santé, mais l’alcoolisme [2].
Parallèlement, le thé, importé d’Asie, commence à gagner en popularité, et fait un peu d’ombre à l’alcool dans la catégorie du « médicaments miracle » [2].
Il ne faut rien exagérer, cependant. C’est une avant-garde de médecins qui s’interroge, notament sur certains remèdes un peu trop folkloriques à base d’alcool. David Hume (1711-1776) a été traité par des boissons alcoolisées pour ses crises de nerfs, et des toniques alcoolisés sont prescrits aux enfants dans une large gamme d’affection [2].
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Entre autres innovations importées par Guillaume d’Orange (1650 -1702) des Pays-Bas en Angleterre : l’eau de genévrier, alias le gin. Il était réputé pour fortifier l’estomac, le foie, le cœur, les reins et traiter la goutte et les calculs [12].
La légende est tenace : pour le médecin irlandais Robert Bentley Todd (1809-1860), professeur au King’s College de Londres, le gin favorise le processus naturel de cicatrisation [11].
Bon marché, largement disponible, le gin provoque une vague d’alcoolisme et une crise de santé publique comparable à la toxicomanie actuelle [12]. Le Royal College of Physicians pétitionne en 1726 contre le gin. Le “Gin Act”, qui taxe lourdement la boisson, est pris en 1736. Au mieux, la folie du gin en aura été un tout petit peu ralentie [11,12].
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Les propriétés de l’absinthe étaient connues depuis l’Egypte ancienne. Mais la rumeur prête au Dr Pierre Ordinaire, médecin suisse installé à Paris, l’invention, en 1792, de la recette comportant de la liqueur d’absinthe (plante vivace et aromatique) mélangée à de l’anis vert et du fenouil et que le XIXe siècle appellera « la fée verte ». Baudelaire, Verlaine, Rimbaud la célèbreront.
On prêtait à la gorgée brulante des effets médicinaux allant de la prévention des indigestions à l’élimination des vers intestinaux, en passant par le soulagement des rhumatismes et des douleurs de l’accouchement. Vint la prohibition, dans toute l’Europe au début du XXe siècle, l’absinthisme provoquant tremblements, convulsions et hallucinations [2].
Les analyses actuelles de la boisson, y compris de bouteilles d’époque, montrent pourtant l’absence de substances hallucinogènes ou psychoactives à part l’éthanol. Les artistes de l’époque souffraient probablement simplement d’alcoolisme et de manque [17].
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Le sirop de menthe, qui associe la menthe et le whisky et fait figure d’ancêtre des cocktails, est inventé dans le Sud des États-Unis au XVIIIe siècle. Il a été prescrit pour « toutes sortes de maux et désagréments causés par le climat » [12].
En tant que tonifiant, ce sirop de menthe faisait partie d’une vague de boissons pseudo-médicinales vendues sous les appellations de « cordials », « spécialités pharmaceutiques » ou « élixirs gastriques ». Ils étaient volontiers indiqués pour « la constitution féminine ».
Les boissons fortifiantes de l’époque étaient vendues davantage pour leurs propriétés médicinales qu’en tant que cocktails. Elles sont d’ailleurs souvent réputées « sans alcool ». Les principales sont le Parker’s Tonic (42° d’alcool), la Dr Hoofland’s German Bitters (26°), la Dr Kaufmann’s Sulphur Bitters (26°), le Whiskol (28°), le Colden’s Liquid Beef Tonic (27°) et le Lydia E. Pinkham’s Vegetable Compound, pour « les problèmes des femmes » [12].
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Durant la guerre de sécession américaine, faute de médicaments, le brandy, le punch et le lait de poule (au bourbon) sont utilisés à tout va, contre les traumatismes, les maladies, les évanouissements et les morsures de serpent [12]. L’épisode a certainement contribué à diffuser les usages et mésusages de l’alcool, et a pu contribuer à la véritable explosion qu’ont connue les ligues de tempérance en cette seconde moitié du XIXe siècle [12].
Ces ligues existent en fait depuis 1808 aux États-Unis, 1817 en Angleterre, 1818 en Suède, 1820 en Irlande et 1836 en Nouvelle-Zélande. Dans un premier temps, elles ne s’opposaient qu’aux alcools forts, et non au vin ou à la bière. À la fin du XIXe siècle, leur combat s’élargit aux alcools de toutes sortes.
Parallèlement, dans le registre médical, avec l’accroissement des connaissances, l’alcool perd sa réputation de médicament, son inefficacité apparaissant de plus en plus manifeste.
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Au début du XXe siècle, la communauté médicale se divise encore sur le statut à accorder à l’alcool. Faute de mieux, on s’en resservira contre l’épidémie de grippe espagnole de 1918 [12]. L’idée d’une prohibition complète fait cependant son chemin et finira par s’imposer en 1916-1917 en Russie, de 1919 à 1927 en Norvège, de 1919 à 1932 en Finlande, et enfin de 1920 à 1933 aux États-Unis [3].
Par un étrange paradoxe, c’est durant la tumultueuse prohibition américaine que l’utilisation médicale de l’alcool sera pour une dernière fois reconnue, avec l’autorisation accordée aux médecins américains de prescrire du « whisky médical » - à raison de 100 prescriptions par période de 3 mois. Un vrai succès d’ailleurs : en 1927, plus de 8 millions de litres avaient été ainsi prescrits … [11]
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Aujourd’hui, l’alcool n’a plus d’utilisation thérapeutique. Compte-tenu des données scientifiques accumulées au XXe siècle sur ses méfaits, cet abandon n’est pas très surprenant. Mais est-il durable ? Que fait-on des données sur les propriétés cardioprotectrices du vin en quantité modérée ? Quel est l’apport de la sociabilité autour d’un verre ? Il n’est pas sûr que l’histoire soit vraiment terminée.
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