Copenhague, Danemark - Réunis à l'occasion du congrès européen d'endocrinologie (ECE 2013), la fine fleur de l'endocrinologie devait répondre à la question de la nécessité de supplémenter tout le monde en vitamine D [1]. Deux experts, chacun soutenu par d'autres éminents spécialistes, ont confronté leurs arguments pour justifier la supplémentation de toute la population par opposition à la supplémentation de certains groupes ciblés.
Seuls points d'entente contre lesquels personne ne s'oppose certaines catégories de personnes doivent impérativement avoir des niveaux de vitamine D suffisants, comme les femmes enceintes et les personnes à risque d'ostéoporose. Par ailleurs, un moyen d'obtenir un taux suffisant de vitamine D consiste à s'exposer au soleil 30 minutes par jour.
« La liste des personnes qui en ont besoin est si longue »
Favorable à la supplémentation de toute la population, le Pr Chantal Mathieu (Université catholique de Louvain, Belgique), a déclaré que « la liste des personnes qui ont besoin de suffisamment de vitamine D est tellement longue qu'il serait plus rationnel de donner de petites doses à tout le monde. »
A l'opposé, la position du Pr Mark Cooper (University Hospital, Birmingham, Royaume-Uni) qui a annoncé, qu'en tant qu'investigateur d'essais cliniques randomisés avec la vitamine D et bien que n'ayant absolument rien contre la vitamine D, sa tendance consiste à en donner uniquement aux personnes qui en ont besoin et ce n'est pas toujours le cas.
« Il y a tout un pan de la communauté scientifique dont la position en faveur de la vitamine D est quasi-religieuse » a-t-il ajouté. « Attention, l'engouement pour certains nutriments a déjà montré ses limites. Plusieurs grands essais d'intervention avec d'autres vitamines ont révélé l'absence d'effet voire un risque de toxicité. Qui plus est, des essais randomisés avec la vitamine D ont déjà mis en évidence des risques liés à la supplémentation. Ceci sans même apporter la preuve d'un bénéfice. »
Au final, pour l'expert britannique, à la question « Avons-nous tous besoin de plus de vitamine D ? », sa réponse est : «pour la plupart d'entre nous non, et cela pourrait faire plus de mal que de bien. »
Les UV durant les hivers de l'hémisphère nord ne suffisent pas
Le rôle essentiel de la vitamine D est de promouvoir la résorption du calcium par l'intestin. « Toutes les données de la littérature montrent que la carence en vitamine D crée un mauvais statut calcique » a souligné le Pr Mathieu.
La carence en vitamine D est généralement définie comme un niveau inférieur à 20ng/ml (<50 nm / l).
« Il y a des corrélations dans toutes les grandes études observationnelles entre la carence en vitamine D et les cancers, notamment le cancer du côlon, les maladies cardio-vasculaires et les troubles du système immunitaire. Plus généralement, la carence en vitamine D est associé à un risque accru de mortalités » a-t-elle souligné.
« S'exposer au soleil est une option pour augmenter la vitamine D. Même les dermatologues australiens sont revenus sur leur position de tolérance zéro à l'égard du soleil durant les deux dernières années et concèdent maintenant 15-30 minutes par jour au soleil car cela apporte des bénéfices. Mais il faut savoir respecter la balance bénéfice/risque car la longueur d'onde d'UV nécessaire à la fabrication de la vitamine D est identique à celle qui induit des lésions cutanées, vieillissement et cancers. »
Précision apporté par l'endocrinologue belge : les UV émis durant les hivers de l'hémisphère nord ne permettent pas de produire des niveaux adéquats de vitamine D, indépendamment de la quantité de temps passée au soleil. Les personnes à peau mate, ou encore celles qui ne s'exposent pas au soleil ou qui portent des vêtements couvrants, sont particulièrement à risque. «Nous voyons encore des cas de rachitisme en Belgique, chez des enfants à la peau mate, exclusivement allaités et dont les mères évitent le soleil ou se couvrent » a-t-elle ajouté.
Les poissons d'élevage ont perdu leur richesse en vitamine D
Quant aux apports alimentaires de vitamine D, « le seul aliment réellement riche est l'huile de foie de morue. On en trouve aussi dans le saumon et les maquereaux à l'état sauvage. Malheureusement, ces poissons sont aujourd'hui majoritairement issus de l'élevage et ils ont perdu leur richesse en vitamine D ».
Voir la liste des teneurs en vitamine D des aliments de l'Anses.
Alors que faire ? « Nous sommes endocrinologues. Quand une thyroïde est défaillante, nous donnons des hormones de substitution. Si notre peau ne peut pas faire suffisamment de vitamine D avec les UV que nous recevons, donnons-lui de la vitamine D » conclut le Pr Mathieu.
Mais la clé, dit-elle, est d'utiliser des doses plus faibles de vitamine D que celles qui ont été précédemment recommandées. « Les orientations de l'Endocrine Society aux États-Unis conseille une supplémentation allant jusqu'à 2000 UI par jour, c'est beaucoup trop à mon sens. Une dose de 600-800 UI par jour est plus raisonnable», explique-t-elle en précisant qu'elle participe à de nouvelles recommandations à paraitre dans le Journal of Clinical Endocrinology and Metabolism, qui indiqueront que 2000 UI par jour n'est pas justifié. »
« Ma conclusion est que nous avons tous besoin de plus de vitamine D, mais nul besoin de fortes doses. »
En réponse, le Pr Cooper a concédé « qu'auparavant notre taux de vitamine D était beaucoup plus élevé que ce qu'il est aujourd'hui car nous vivons trop à l'intérieur des maisons. Des niveaux plus bas de vitamine D ont été associés au cancer, aux pathologies cardiaques, à une augmentation des diabètes et à une réduction de l'espérance de vie. La liste est longue liste. Il est rare au final de ne pas trouver un état morbide qui ne soit pas lié à un déficit en vitamine D. « Mais le problème est que les avantages supposés de la vitamine D sont exclusivement rapportés dans des études observationnelles. Or nous avons besoin de preuves solides ».
Les ANC recommandés par l'Anses et par l'Académie de médecine
Les apports nutritionnels conseillés (ANC) par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) ont été définis « en considérant que la production endogène cutanée couvre 50 à 70% des besoins quotidiens en cette vitamine.
Ils sont de 5 µg/j (200 UI) chez les adultes et les enfants de plus de 3 ans et 10-15 µg/j (400 à 600 UI) chez la personne âgée.
L'Anses précise que Les apports moyens en vitamine D dans la population française (données INCA2) apportés par la seule alimentation sont de 1,9 µg/j chez les enfants de 3 à 17 ans et de 2,6 µg /j chez les adultes de 18-79 ans. Ces apports sont plus élevés dans la population masculine.
La principale source d'apport en vitamine D dans la population sont les poissons qui contribuent à 31% des apports chez les enfants et à 38% chez les adultes. Après les poissons, les ?ufs et les fromages sont les 2 sources principales de vitamine D aussi bien chez les adultes (respectivement 10 et 8%) que chez les enfants (9 et 7%).
De son côté, l'Académie de médecine recommande, depuis le printemps 2012, d'augmenter les apports quotidiens, soit un doublement voire un quadruplement dans certaines populations, en particulier les plus âgées, passant par exemple des 400 à 600 UI recommandées par l'Afssaps actuellement chez les plus de 70 ans à plus de 1500 UI. L'Académie ajoute que cet apport peut être constitué par des doses journalières ou des doses cumulées mensuelles ou bimensuelles.
Problème: à ce jour, les essais d'intervention sont plutôt négatifs
Il est vrai qu'à ce jour, études d'intervention dont on dispose, sont décevants.
« L'essai britannique RECORD publié en 2005 dans le Lancet ne montre pas que les femmes supplémentées en vitamine D font moins de fracture. Dans cette étude menée sur 5000 femmes, faire passer le taux moyen de vitamine D de 38 nm/l à 62 nmol/l ne change rien, du moins à l'égard des chutes et des fractures » rappelle le Pr Cooper [2].
« Il y a eu beaucoup d'autres essais randomisés, à mon sens tous négatifs. Dans WHI, 36 000 femmes ménopausées prenant la combinaison calcium vitamine D n'ont pas réduit leur risque d'ostéoporose?tout en augmentant leur risque de lithiase urinaire de 70%. Au final, la vitamine D détient le record du plus grand nombre de méta-analyses faites avec le plus petit nombre d'essais [3]. »
Est-ce une question de dose, faut-il atteindre des taux plus importants ? Là encore, le Pr Cooper rappelle que de fortes supplémentation en vitamine D ont déjà été tentées. Il cite un essai mené en hiver en Australie dans lequel les femmes du groupe traitement actif sont passées d'un taux moyen de 50 nm/l à 75 nmol/l, sans aucun effet préventif perceptible [4].
Petites doses quotidiennes ou supplémentation mensuelle ?
Pour le Pr.Mathieu, le débat sur la négativité des essais d'intervention oublie de prendre en compte la façon dont a été administrée la supplémentation (méga-doses 1 fois/mois et tous les 2 mois) du fait des difficultés d'observance.
« Aujourd'hui, notre taux moyen de vitamine D est de 20-25 ng / ml et la moitié de la population est déficiente. Il est inutile et couteux de faire un dosage de la vitamine D chez tout le monde. Mieux vaut donner de petites doses de vitamine D pour l'ensemble de la population. Ainsi, l'Institute of Medicine (IOM) américain recommande 400 UI par jour, chez les enfants en dessous d'un an, 800 UI par jour chez les plus de 70 ans et 600 UI pour tous les autres. Je suis persuadée que nous avons tous besoin de plus de vitamine D.
Seules exception concédées par la spécialiste : les patients souffrant de calculs rénaux pour lesquels « il faut faire attention ».
1. Congrès européen d'endocrinologie 2013. Débat du 28 avril 2013.
2. Grant AM, Avenell A, Campbell MK et al. Oral vitamin D3 and calcium for secondary prevention of low-trauma fractures in elderly people (Randomised Evaluation of Calcium Or vitamin D, RECORD): a randomised placebo-controlled trial. Lancet. 2005 May 7-13;365(9471):1621-8.
3. Prentice RL, Pettinger MB, Jackson RD et al Health risks and benefits from calcium and vitamin D supplementation: Women's Health Initiative clinical trial and cohort study. Osteoporos Int. 2013 Feb;24(2):567-80. doi: 10.1007/s00198-012-2224-2
4. Sanders KM, Stuart AL, Williamson EJ et al. Annual high-dose oral vitamin D and falls and fractures in older women: a randomized controlled trial. JAMA. 2010 May 12;303(18):1815-22.
- Vitamine D : l'Académie de médecine recommande d'augmenter les doses [Medscape France > Actualités ; 25 juin 2012]
- Attention, l'exposition au soleil ne corrige pas le déficit en vitamine D [Medscape France > Actualités ; 4 décembre 2012]
- Le déficit en vitamine D touche 80% de la population adulte française [Medscape France > Actualités ; 24 avril 2012]