
Enquête : le pouvoir d’achat des médecins grevé par l’inflation et les charges
Les revenus des médecins ont stagné en 2022, selon notre enquête à laquelle ont répondu près de 900 praticiens hospitaliers et libéraux français. La profession estime en revanche avoir considérablement perdu de son pouvoir d'achat, du fait d'une forte inflation consécutive au conflit russo-ukrainien et d'une importante hausse des charges. Voici les résultats de l'enquête, en images.
Enquête : le pouvoir d’achat des médecins grevé par l’inflation et les charges
Après une nette baisse de revenus enregistrée pendant la crise Covid, la moitié des médecins ayant répondu à l'enquête Medscape estiment que leur rémunération liée à l'activité de soin est restée peu ou prou équivalente en 2022 à celle de l'année précédente. Une part non négligeable (21%) observe même une augmentation comprise entre 1 et 10% de leur bénéfice net comptable (BNC). Les praticiens déclarent avoir perçu en moyenne 87 000 euros avant impôts (94 500 euros pour les seuls généralistes)*.
Ces chiffres confirment la tendance à un retour à la situation pré-Covid observée dans un récent rapport par la Carmf sur l'évolution de la rémunération des médecins libéraux.
*Revenu pour une pratique à temps plein. Pour les médecins salariés, il inclut le salaire net, les primes et les cotisations à un régime de participation aux bénéfices. Pour les médecins libéraux, il inclut les revenus après impôts et les dépenses professionnelles déductibles, mais avant impôt.
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En dépit des revalorisations à l'hôpital dans le cadre du Ségur qui ont suivi la crise Covid et de la revalorisation de 3,5% de la valeur du point d'indice de la fonction publique intervenue en juillet 2022, une large majorité de praticiens considère insuffisante leur rémunération.
Les médecins de ville n'ont quant à eux connu aucune évolution notable de leurs honoraires l'an dernier (le tarif des consultations des médecins généralistes et spécialistes augmentera de 1,50 euro au 1er novembre prochain à la faveur du règlement arbitral).
Un généraliste déplore d'ailleurs la « stagnation indécente de la cotation des actes » quand plusieurs praticiens hospitaliers déplorent les « salaires trop bas », certains allant jusqu'à évoquer la « paupérisation » du métier. « Tout augmente, sauf notre salaire », résume une oncologue.
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Dans un contexte de crise, le ressenti de la profession est quasi-unanime : 7 praticiens interrogés sur 10 affirment avoir perdu l'an dernier de leur capacité à consommer. Les médecins sont nombreux à témoigner que leur rémunération n'est pas à la hauteur de la responsabilité et de leur niveau de compétences. « Mon salaire est insuffisant pour avoir un niveau de vie décent dans une grande métropole », affirme une jeune chirurgienne. Nombreux sont aussi les praticiens à pointer les gardes insuffisamment rémunérées. « Tout a augmenté sauf le prix des soins remboursés, observe un généraliste. N'ayant pas diminué mon temps de consultation et donc mon nombre de patients par heure, mon pouvoir d'achat a mécaniquement diminué. »
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60% des médecins ayant déclaré une baisse de revenus en 2022 estiment que l'inflation, qui a atteint les 5,2% l'an dernier selon l'INSEE, et plus généralement la crise économique, sont à l'origine de leur moindre pouvoir d'achat.
Les praticiens sont également très nombreux dans les commentaires à citer la hausse des charges comme autre motif majeur de la baisse de leur capacité à consommer.
Selon les chiffres de l'Union nationale des associations de gestion agréées (Unasa) sur les revenus des médecins libéraux en 2022, la forte hausse des charges est en partie liée au rattrapage des mesures d'aides du gouvernement en 2021 (report de paiement pour certaines cotisations sociales…) et à la flambée d'un grand nombre de postes (frais généraux, énergie, fournitures, alimentation, essence…). Selon l'Unasa, les charges externes des généralistes par exemple, se sont ainsi accrues de 6,2% en 2022. À l'hôpital, les salaires ne sont pas indexés sur l'augmentation réelle du coût de la vie, qui a progressé bien plus vite ces 20 dernières années que les salaires, déplore un praticien hospitalier.
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S'ils sont globalement peu optimistes sur l'évolution du système de santé, les médecins ayant répondu à l'enquête sont fatalistes et peu enthousiastes sur l'avenir économique de leur pays. Et par ricochet sur les moyens que l'État sera en mesure d'engager pour financer la santé dans les prochaines années. « Le climat est tellement délétère que tous les médecins autour de moi sont à la limite de la dépression. Je commence sérieusement à avoir peur pour mon avenir… », relate un praticien hospitalier.
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Est-ce un effet durable de la crise Covid? Les médecins déclarent travailler un peu moins qu'avant l'épidémie (50h par semaine, selon cette enquête). Lors de la précédente consultation, les répondants avaient indiqué exercer 53h hebdomadaires. Seuls 25% des médecins affirment avoir retrouvé le même rythme qu'avant la crise quand 10% des praticiens reconnaissent avoir réduit leurs heures de travail.
Ces résultats traduisent une tendance à privilégier, quand cela est possible, une réduction du temps de travail pour une meilleure qualité de vie. Une récente enquête de la Drees (ministère de la Santé) pointait cette tendance. Elle relevait que les généralistes installés en groupe, portés par la jeune génération, travaillaient moins. Leur rythme de travail s'élevait à 50,7h par semaine en groupe monodisciplinaire et 53,1h en groupe pluriprofessionnel contre 55,4h pour les omnipraticiens exerçant en solo.
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Est-ce une conséquence d'un retour à la normale après l'épidémie de coronavirus ou un contrecoup de la crise démographique? Les médecins déclarent recevoir 87 patients en moyenne, soit près de 10 de plus chaque semaine depuis notre précédente enquête.
Sans surprise, les médecins généralistes soignent davantage de patients que les spécialistes et les médecins libéraux voient près de deux fois plus de malades chaque semaine que leurs confrères hospitaliers, même si l'organisation et la nature des pathologies rendent difficiles les comparaisons. À noter que les praticiens les plus âgés sont un peu plus consultés que leurs confrères moins expérimentés.
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À l'hôpital et en ville, le poids du travail administratif pèse lourdement sur les épaules des médecins. Au-delà des 42h en moyenne par semaine qu'ils consacrent aux soins de leurs patients, ils passent 13h hebdomadaires à remplir des tâches administratives.
Les procédures administratives sont le premier motif (40%) cité par les médecins quand on leur demande l'aspect le plus difficile de leur travail. « L'administration est omniprésente », avance un répondant, « Trop de contraintes administratives », ajoute un autre… Un oncologue hospitalier évoque un « glissement de tâches administratives vers les médecins pour économiser du temps de secrétariat ». Un neurologue résume l'état d'esprit d'une grande partie de la profession : « On ne se lasse jamais de faire ce métier mais la maltraitance administrative devient très pénible. »
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Signe de l'impact de la crise hospitalière sur le moral des troupes, les praticiens hospitaliers ont été nombreux à exprimer leur désarroi et leurs craintes pour l'avenir des établissements publics, alors même que la question ne leur était pas spécifiquement posée! Les mots « effondrement » et « désorganisation » sont revenus souvent dans les commentaires. « Depuis 7 à 8 ans j'ai vu beaucoup se dégrader les conditions de travail à l'hôpital public. les cadres ont baissé les bras… Les syndicats sont sur puissants… L'hôpital meurt.. », affirme l'un d'eux. « Le travail à l'hôpital est devenu pénible, nous n'avons plus aucun moyen, ajoute un autre. Nous devons nous battre pour réussir à prendre en charge les patients. » « L'hôpital pour lequel je me suis toujours battue ne correspond plus à mes attentes », ajoute une gériatre. Un ressort semble s'être cassé pour de nombreux praticiens. « Les patients sont impatients et peu respectueux, les collègues sont exténués et moins proches, et d'une manière générale, l'ambiance à l'hôpital dégradée. »
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Au sortir de l'épidémie de Covid, les médecins sont éprouvés par le contexte de crise du système de santé et ont le sentiment d'une dévalorisation de leur métier, qu'ils sont nombreux à exprimer dans leurs témoignages. « Malgré des études très longues, beaucoup de sacrifices voire de souffrance, notre profession est souvent déconsidérée par les patients ainsi que les gouvernements successifs », relate l'un d'eux.
« Perte de sens du métier », « Métier peu créatif et soumis aux diktats moraux des politiques, des administrations, et parfois d'une société non reconnaissante qui en veut toujours plus »,« le médecin est devenu un objet de consommation lambda »…
Plusieurs praticiens déplorent un « faible niveau de revenus par rapport à leur temps de travail et leur niveau de responsabilité. » Un généraliste désabusé confie son envie de raccrocher le stéthoscope : « J'ai l'impression d'être un prestataire de service et distributeur de documents, comme une machine : on met une pièce et cela délivre un certificat ou une ordonnance. »
« Nous sommes nombreux à être devenus de simples techniciens, qui appliquent protocoles et directives sans considérer la prise en charge globale », regrette pour sa part un diabétologue.
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Du fait de la crise économique et sociale, les médecins sont nombreux à s'alarmer de l'évolution de leur situation patrimoniale. Et si une part non négligeable est à l'abri du besoin, la moitié des répondants déclarent posséder moins de 500 000 euros de patrimoine. « J'aurais espéré avoir un patrimoine plus important à bientôt 50 ans, d'autant plus que nos régimes de retraite ne sont plus garantis... », observe l'un d'eux.
Les répondants sont nombreux à juger que leur patrimoine n'est « pas à la hauteur de leurs sacrifices » ou de leur travail. « Je n'ai ni chalet à la montagne, ni villa à la mer, ni maison de campagne, juste un logement à Paris, indique un anapath. Contrairement à nos aînés, le patrimoine d'une vie de médecin est bien maigre! ».
Plusieurs praticiens concèdent avoir été mal conseillés ou s'être peu préoccupés de ce sujet par manque d'intérêt.
Enquête : le pouvoir d’achat des médecins grevé par l’inflation et les charges
Signe que la dégradation des conditions de travail et de rémunération pèsent sur le moral des médecins hospitaliers, une partie significative envisagent de quitter l'hôpital public pour exercer en établissement privé ou en cabinet de ville.
« J'ai exercé 15 ans à l'hôpital, j'ai perdu 15 ans de ma vie, affirme un médecin urgentiste des Hauts-de-France. Depuis trois ans, je suis en libéral et ma situation financière s'est largement améliorée. Je regrette de ne pas avoir quitté l'hôpital bien avant, j'aurais eu une meilleure vie. »
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Est-ce le goût pour l'air pur, l'appel du chocolat ou des salaires de bon niveau… quand on demande aux médecins dans quel autre pays ils souhaiteraient exercer, une part considérable (23%) cite la Suisse comme destination idéale, devant le Canada (13%).
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Si le sentiment du travail bien fait est le premier motif de satisfaction des médecins, la reconnaissance des patients est tout aussi appréciée. Les praticiens sont très nombreux à exprimer leur « sentiment d'exercer un métier utile » et sont attachés à la notion de « service rendu aux patients ». « C'est le métier que je voulais faire et même si cela se détériore, je peux aider les personnes rencontrées », témoigne l'un des répondants
« C'est ce que j'ai toujours voulu faire depuis mon enfance, aider, soulager les autres », confie un autre.
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Pour 2 médecins sur 5, la motivation professionnelle a fortement diminué depuis le début de leur carrière. Malgré leur amour pour le métier, 38% déclarent que, si c'était à refaire, ils s'orienteraient vers une autre carrière… C'est bien le signe que la dégradation des conditions de travail doublée parfois d'une perte de sens du métier, a un impact direct sur le ressenti des praticiens.
« Si c'était à refaire, je ne ferais pas carrière en médecine. Aujourd'hui, être médecin c'est passer sa vie à soigner les maux de la société au risque d'y perdre sa santé », lâche une urgentiste de Paca.
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C'est l'un des enseignements paradoxaux de cette enquête mais aussi un motif d'espoir : si les médecins se sentent bousculés dans l'exercice de leur profession, plus de 8 praticiens interrogés sur 10 sont toujours heureux de soigner. Les témoignages sont unanimes pour louer « le plus beau métier du monde » :« Ma profession est ma passion principale », « c'était mon projet de vie », « un rêve d'enfance qui a pu se réaliser ». Malgré les difficultés, les médecins sont toujours épris de leur métier, à forte valeur intellectuelle ajoutée, qui leur permet d'aider les patients, de réaliser des gestes techniques, de mener des projets avec des collègues, de faire de l'enseignement ou de la recherche…
Enquête : le pouvoir d’achat des médecins grevé par l’inflation et les charges
Cette enquête a été réalisée sur les réponses de 879 médecins hospitaliers et libéraux exerçant à temps plein entre le 21 décembre 2022 et le 15 mai 2023.
La majorité était des hommes (64% contre 36% de femmes). 53% exerçaient à l'hôpital et un peu plus de la moitié était salariés. Ils étaient âgés en moyenne de 54 ans. 21% des répondants exerçaient en Ile-de-France, 13% en Auvergne Rhône-Alpes et 11% dans le Grand Est.
Enquête : le pouvoir d’achat des médecins grevé par l’inflation et les charges
Parmi les répondants, 27% étaient des médecins généralistes, 8% des urgentistes, 7% des psychiatres, 6% des cardiologues. Les autres spécialités représentaient en moyenne chacune d'elles entre 2 et 5%.
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