
Enquête : les médecins et l’amitié
Alors que les médecins sont soumis à un stress de plus en plus conséquent, un cercle d'amis peut s'avérer extrêmement précieux pour maintenir un équilibre émotionnel. Dans les faits, sont-ils entourés de beaucoup d'amis? Ont-ils déjà développé des amitiés avec leurs patients? Quel est l'impact de leurs obligations professionnelles et familiales sur leurs relations amicales? Ont-ils perdu des amis durant la pandémie de COVID-19? Sont-ils trop souvent sollicités par leurs amis pour des conseils médicaux? Plus de 1600 praticiens français ont répondu à cette nouvelle enquête de Medscape.
Enquête : les médecins et l’amitié
Sur le plan de l'amitié, les médecins semblent bien entourés. Très rares (2%) sont ceux qui déclarent n'avoir aucun ami. 30% indiquent avoir entre 6 et 10 amis, la même proportion entre 1 et 5 amis.
Dans ce sondage, un ami était défini comme un individu que l'on connaît personnellement et avec lequel on entretient un lien d'affection mutuelle, excluant les relations sexuelles, familiales, ou uniquement virtuelles (p. ex. réseaux sociaux).
À noter que les médecins spécialistes étaient significativement plus nombreux que leurs confrères généralistes à déclarer n'avoir qu'entre 1 et 5 amis. Les médecins les plus jeunes (<45 ans) étaient quant à eux plus nombreux à entretenir des relations d'amitié avec plus de 15 personnes.
Enquête : les médecins et l’amitié
La plupart des médecins côtoient des amis de leur âge ou de la même génération, et plus de la moitié d'entre eux proviennent du même milieu socio-économique.
76% des répondants précisent que leurs amis évoluent dans le même domaine professionnel qu'eux, à savoir celui de la santé.
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Dans ce sondage les répondants pouvaient sélectionner plusieurs professions représentées dans leur groupe d'amis. Pour plus des 2/3 d'entre eux, ces amis sont également des confrères ou des consœurs. L'amitié entre médecins et infirmières n'est évoquée cependant que pour 13% des praticiens.
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Un ami proche est quelqu'un à qui on peut se confier, sur qui on peut compter en cas de problème, qui se soucie de notre bien-être et avec lequel on se sent à l'aise, sans avoir le sentiment d'être jugé.
La majorité des médecins déclarent avoir entre 1 à 5 amis qu'ils considèrent comme proches, près d'un quart d'entre eux en côtoient entre 6 et 10. Aux extrêmes : 6% n'ont aucun ami proche, 6% en ont 16 ou plus. Les hommes sont deux fois plus nombreux que les femmes à déclarer avoir plus d'une quinzaine d'amis proches.
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La plupart des médecins ont rencontré leurs amis proches au cours de leurs études, que ce soit à l'université (26%) ou au lycée (7%).
Pour 1 praticien sur 5, les amis proches sont surtout des collègues de travail. Comparativement, pour 1 médecin sur 8, il d'agit d'amitiés proches nouées dans l'enfance. Parmi les autres occasions qui leur ont permis de se faire des amis, les médecins citent dans leurs commentaires les activités sportives, les associations de bénévoles ou les voyages. Leurs amis sont aussi, pour beaucoup, des voisins ou des parents d'amis de leurs enfants.
Près des 2/3 des médecins déclarent avoir au moins un ou une meilleure amie, les femmes étant plus nombreuses que leurs confrères (68% vs 41%) à entretenir ce type d'amitié. À noter que dans ce sondage, la définition de meilleur(e) ami(e) excluait les conjoint(e)s ou les personnes avec lesquelles on entretient une relation amoureuse.
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Bien que la plupart de leurs amis évoluent dans le même domaine professionnel, les 2/3 des médecins estiment que les amitiés ne sont pas encouragées sur leur lieu de travail. Un médecin en réadaptation précise même que « les chefs de pôle et cadres supérieurs sont contre des relations amicales au travail ».
C'est peut-être pourquoi un tiers des répondants indique que les interactions avec leurs amis sont dans ce contexte peu fréquentes, voire rares pour près d'un quart d'entre eux. Un tiers des médecins n'a d'ailleurs aucun contact amical avec ses collègues. Un autre tiers rapporte n'avoir aucun ami au travail.
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Avoir des amis dans le même milieu professionnel permet à certains médecins de bénéficier de meilleures opportunités, comme des promotions ou des offres d'emplois, que ce soit occasionnellement (pour 31% d'entre eux) ou fréquemment (14%).
Les médecins généralistes et ceux âgés de plus de 45 ans étaient significativement plus nombreux que leurs confrères à déclarer n'avoir jamais tiré avantage de leurs relations amicales (34% vs 29% des spécialistes, et 33% vs 16% des plus âgés respectivement).Enquête : les médecins et l’amitié
Les obligations professionnelles des médecins sont un obstacle majeur à leurs relations amicales. Près des 2/3 expliquent que leur travail les empêche d'entretenir leurs amitiés, les femmes semblant subir encore plus de difficultés que leurs confrères (32% vs 26% respectivement).
L'écart est encore plus criant concernant la famille : les femmes (15%) et les moins de 45 ans (16%) sont deux fois plus nombreux à estimer que leurs obligations familiales les empêchent toujours de voir leurs amis. À l'inverse, pour 31% des hommes (contre 21% des femmes) et 27% des médecins de plus de 45 ans (contre 19% des jeunes), leur vie familiale n'a jamais eu d'impact négatif sur le maintien de leurs relations amicales.
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Pour la majorité des médecins, le manque de temps est la raison principale pour laquelle ils ne peuvent profiter pleinement de leurs amitiés. Trop fatigués par le travail et les obligations familiales, beaucoup manquent d'énergie pour aller à la rencontre de leurs amis. L'éloignement physique limite également les retrouvailles pour plus de 2 médecins sur 5.
Horaires décalés, temps de travail et fatigue physique
Dans leurs commentaires, les médecins expliquent comment les horaires décalés et le temps de travail impactent leur vie personnelle. Une anesthésiste de 54 ans explique ainsi que « travailler les week-ends et les jours fériés, qui sont des moments propices pour rencontrer ses amis », a un impact négatif sur ses relations amicales. À cela s'ajoute « l'accumulation de la fatigue des gardes de nuit ». Lorsque les week-ends sont libres, ils servent à « se reposer et récupérer ». Une urgentiste de 47 ans confirme : « Travailler 3 à 4 week-ends par mois empêche toute activité sociale. »
« C'est simple, le peu de temps qu'il nous reste après le travail est consacré en priorité à la famille », confirme une médecin hospitalière de 40 ans. Une autre : « Il faut parfois choisir entre voir ses amis ou s'occuper de sa famille. »
Un endocrinologue hospitalier se demande : « Les horaires de travail ne me laissent déjà pas le temps de faire des courses alimentaires… comment trouver du temps pour voir des amis ? »
« Parce qu'en bossant 50 h par semaine, on ne sort jamais en semaine ! », conclut un généraliste.
Fatigue psychologique
Beaucoup de commentaires insistent sur le manque de disponibilité émotionnelle lié à leur activité professionnelle. Ainsi, un gastro-entérologue de 37 ans raconte que c'est « la surcharge du travail qui nous rend anxieux et nous empêche d'entretenir des amitiés. » Un psychiatre de 58 ans pratiquant à l'hôpital confirme également que la « fatigue psychique empêche d'être disponible pleinement avec autrui ». Pour ce pédiatre de 46 ans, « nous sommes dans une spécialité de relations, et très souvent, amis et médecins n'avons pas la même disponibilité psychique ».
Des amitiés intéressées ?
Plusieurs ont du mal à établir un lien de confiance : ce généraliste de 52 ans estime « qu'en tant que médecin, les amitiés sont superficielles et simplement commandées par l'envie d'obtenir des bénéfices secondaires ». Une impression partagée par cette ophtalmologue pour qui « être perçue comme un médecin avant tout est un réel frein. J'ai beaucoup de mal à développer des amitiés non intéressées ». « Quand je rencontre quelqu'un et qu'il apprend que je suis pédopsychiatre, il me demande des avis ou se livre à moi facilement, et de ce fait je dois mettre une distance rapidement. »
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En limitant les opportunités de socialisation, la pandémie de COVID-19 a mis à rude épreuve les relations personnelles pour toute la population. Chez les médecins, dont beaucoup ont vu augmenter stress professionnel et astreintes, la pandémie a eu un impact certain, bien que modeste, sur le nombre d'amis qu'ils ont côtoyés. 13% d'entre eux ont mis fin à des amitiés ou n'ont pas eu l'occasion de nouer de nouvelles relations durant cette période.
Plus tragiquement, 1 praticien sur 10 a dû faire le deuil d'un ami ayant succombé au coronavirus. Les hommes (15% vs 6% des femmes) et les praticiens de plus de 45 ans (11% vs 3% des plus jeunes) étaient plus nombreux à déplorer la perte d'un de leurs amis dans ce contexte.
Enquête : les médecins et l’amitié
Quid de l'effet clivant du COVID-19 sur les relations amicales? 46% des médecins reconnaissent avoir eu des différences de point de vue avec leurs amis concernant la gestion de la pandémie, que ce soit par exemple sur le traitement de la maladie ou sur la vaccination. Pour près d'un quart des répondants, ces désaccords ont eu un effet négatif sur leurs relations amicales, un impact plus souvent rapporté par les femmes médecins que par les hommes (27% vs 17% respectivement).
Outre le COVID, seulement un tiers des médecins partagent globalement les mêmes opinions politiques que leurs amis.
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Les médecins ont globalement des relations amicales harmonieuses : les disputes entre amis proches sont rares, un peu moins de la moitié des répondants indiquent d'ailleurs ne jamais avoir vécu de conflit au cours de leurs amitiés.
Néanmoins, 42% d'entre eux ont déjà subi une trahison de la part d'un ami. Les femmes étaient significativement plus nombreuses que leurs homologues masculins à en avoir fait l'amère expérience (45% vs 38% respectivement).
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Un peu plus d'un quart des répondants reconnaissent avoir développé des relations d'amitié avec un patient. Une situation plus fréquente chez les médecins généralistes (40% vs 23% des spécialistes), les libéraux (39% vs 16% des hospitaliers), les hommes (33% vs 24% des femmes) et les praticiens plus âgés (31% vs 11% des <45 ans).
Dans leurs commentaires, les médecins expliquent qu'ils sont souvent sollicités dans leur vie personnelle pour des avis médicaux. D'ailleurs pratiquement tous (97%) – âge, sexe et spécialité confondus – admettent avoir déjà prodigué des conseils médicaux à leurs amis. Et la majorité est indulgente, les 3/4 des médecins précisent ne pas se sentir importunés par ces questions.
À noter que les praticiens de moins de 45 ans, les femmes et les médecins généralistes étaient néanmoins plus nombreux à se dire « agacés » par les demandes de conseils répétés. Ainsi, ce généraliste regrette que les gens « ne [puissent] s'empêcher de nous casser les pieds sans arrêt à nous demander des avis médicaux, même dans notre vie privée »…
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Dans leurs commentaires, les médecins racontent les amitiés qu'ils ont pu nouer avec des patients.
Le hasard des rencontres
« On s'est retrouvées sur notre lieu de vacances commun », « nous faisons du sport ensemble », « l'affinité était la langue et la culture du pays d'origine », « nos enfants sont dans la même école »… Les amitiés entre médecins et patients, pour la plupart, semblent s'être développées comme celles des autres, au gré de la vie. « On rencontre des gens frappants parfois et les liens se créer d'eux-mêmes », constate une généraliste.
C'est aussi le lien de confiance entre le soignant et le malade qui a, pour certains, favorisé l'évolution de la relation : « À force de les voir fréquemment, un lien de confiance s'est établi et une amitié s'est développée », explique un chirurgien. Un autre décrit son ami comme un « patient guéri d'un cancer, suivi pendant longtemps et avec des affinités particulières. »
Parfois, la proximité géographique est un facteur : « J'exerce dans un petit village où tout le monde se connaît », admet une généraliste. Idem pour cette néonatologiste qui exerce en Outre-mer et qui doit prendre en charge les enfants de plusieurs de ses amies : « Je vis sur une île, le lien s'est fait lors de rencontres ultérieures… il me semble plus simple chez nous de se lier en dehors de son propre univers. »
Le rapprochement a pu également se faire lorsque ce sont les patients qui sont venus en aide au médecin. Une oncologue raconte : « L'épouse d'un patient m'a aidée quand je ne trouvais personne pour garder mon fils malade. » Une autre : « Une patiente infirmière est devenue une amie très proche pendant mon burn-out ». Ou encore : « Une patiente reçue aux urgences et revue car elle enseignait l'anglais et que je voulais prendre des cours… ». Pour cette cardiologue, une « relation cordiale s'est développée en amitié et m'a aidée à une époque où j'avais besoin de conseil juridique… aujourd'hui nous sommes amies, mais sans relation médecin-patient. »
Une amitié comme les autres ?
Non, il ne s'agit « pas d'une amitié comme les autres... », selon une oncologue qui indique avoir « toujours préféré garder une certaine distance qu'elle n'a pas avec ses autres amis ». Pour ce psychiatre, « à partir du moment où la relation devient amicale, la relation médecin-patient se termine ». Même principe pour ce généraliste qui précise que son amitié « s'est développée lorsque le lien médecin-malade s'est arrêté ». Une néphrologue raconte avoir suivi pendant plusieurs années une jeune patiente traitée par hémodialyse : « Notre relation d'amitié a débuté lorsque je n'ai plus assuré son suivi médical. »
Beaucoup de médecins sont donc très prudents, une gynécologue relatant même une « attitude de refus de ma part de trop m'impliquer dans cette relation ».
Une généraliste explique qu'il est « difficile de mélanger amitié et lien professionnel. On partageait les mêmes loisirs, mais ça s'est mal fini. » Même constat chez un autre généraliste qui regrette que son amitié ait été « utilisée comme un passe-droit pour accéder aux soins ».
Enquête : les médecins et l’amitié
Pour 41% des médecins, il est désormais compliqué de développer de nouvelles amitiés, en particulier pour les femmes. Celles-ci estiment difficile (32% d'entre elles vs 27% des hommes), voire extrêmement difficile (13% vs 9%) de rencontrer de nouveaux amis à cette étape de leur vie.
Pour certains, au-delà de leur emploi du temps atypique et de leurs obligations, c'est « Internet qui s'est substitué à bien d'opportunités de rencontrer des amis ».
Pourtant, il a bien été montré que les réseaux d'amis constituent un des principaux facteurs de contrôle du stress au travail chez les professionnels de santé. Pour son propre bien-être, il est important de ne pas renoncer à l'amitié…
Enquête : les médecins et l’amitié
1614 médecins exerçant en France et membres des sites Medscape/Univadis ont participé à un sondage en ligne entre le 1er septembre et le 14 décembre 2022.
56% des répondants sont des femmes et la grande majorité (83%) est âgée de 45 ans et plus. Plus de la moitié sont des salariés (54%), 38% exercent en hôpital, 78% travaillent à temps plein, et 19% pratiquent en Île-de-France.
*Marge d'erreur à +/- 4,29%, IC de 95%. Données non pondérées, recueillies à partir d'un échantillon aléatoire de membres de Medscape et Univadis, qui ne sont pas nécessairement projetables sur une population plus large.Enquête : les médecins et l’amitié
Dans notre échantillon, un quart des répondants étaient des médecins généralistes. Les autres spécialités les plus représentées étaient la psychiatrie (8 %), l'anesthésiologie (6%), la médecine préventive/du travail (6%), la médecine d'urgence (5%), la cardiologie (4%), la pédiatrie (4%), et la gynécologie/obstétrique (3%).
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