
La médecine au féminin : hommage à 10 praticiennes françaises
L’avenir de la profession médicale est entre les mains des femmes. Celles-ci représentent désormais 65% des moins de 40 ans chez les médecins généralistes, 62% chez les spécialistes et 49% chez les chirurgiens, selon le CNOM. Depuis le 1er janvier 2022, la majorité des effectifs médicaux en activité régulière sont en effet féminins. Cela n’a pas toujours été le cas, il fût un temps où l’accès aux études et à la pratique médicale était difficilement envisageable, voire interdit pour les femmes... À l’occasion de ce 8 mars, nous avons souhaité rendre hommage à 10 praticiennes, des pionnières qui ont ouvert la voie à leurs consœurs, mais aussi à des femmes médecins d’aujourd’hui qui ont contribué à l’avancement de la médecine. Une liste bien entendue non exhaustive, mais qui, la féminisation du métier se poursuivant, à vocation à grandir.
Guillemette du Luys, chirurgienne du Roi
La médecine au féminin : hommage à 10 praticiennes françaises
Guillemette du Luys, chirurgienne du Roi
L’Histoire de France n’aura retenu officiellement que deux chirurgiennes royales: si Maîtresse Hersend, qui accompagna Saint-Louis lors de ses croisades (1249), est la plus connue, Guillemette du Luys (fl. 1479) physicienne au service du roi Louis XI, a elle aussi marqué son époque. Ses talents de chirurgienne lui ont permis de gagner la confiance du monarque. Très ouvert d’esprit, celui-ci contribua d’ailleurs à l'évolution de la médecine en France, en soutenant la traduction de manuels médicaux venus de l’étranger.
D’autres chirurgiennes ont été en activité entre le Moyen-Âge et la Renaissance, mais n’étant pas autorisées à obtenir une licence leur permettant d’exercer, elles encouraient des répercussions juridiques parfois très sévères. Tel fût le cas par exemple des miresses Jacoba Felicie (1322) et Perreta Perronne (1411).
Madeleine Brès : première doctorante en médecine
La médecine au féminin : hommage à 10 praticiennes françaises
Madeleine Brès : première doctorante en médecine
En 1875, Madeleine Brès (née Gebelin, 1842-1921) a été la première femme française à obtenir un doctorat en médecine. Pour effectuer des études médicales, il fallait être diplômé d’un baccalauréat, dont l’accès n’a été autorisé aux femmes qu’à partir de 1861 ― sous condition de l’autorisation du père ou du mari.
À l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris, Madeleine Brès est tout d’abord élève interne « provisoire », les concours d’externat et internat n’étant pas encore accessibles aux femmes. Elle exerça par la suite en puériculture. Elle fonda et finança elle-même une « crèche » dans laquelle les enfants en bas âges étaient pris en charge gratuitement.
La très médiatique Françoise Dolto
La médecine au féminin : hommage à 10 praticiennes françaises
La très médiatique Françoise Dolto
Pédiatre et psychanalyste célèbre, Françoise Dolto (née Marette, 1906-1988) a tout d'abord été infirmière (diplômée en 1930), avant de se diriger vers des études de médecine. Elle s'intéresse alors au freudisme et décide de consacrer sa thèse à la psychanalyse pédiatrique. Elle poursuivra le développement d'une méthode psychanalytique qui lui est propre et qui repose sur la communication directe et adaptée à l'enfant, celui-ci devant être considéré comme un individu à part entière ― fait nouveau pour l'époque. Ses travaux ont été très médiatisés, notamment grâce à sa participation à des émissions de radio et la publication de plusieurs ouvrages destinés au grand public. En 1979, elle crée la première « Maison verte » qui se veut un « lieu de parole et de jeu » dans lequel enfants et parents peuvent se retrouver et développer des liens de sociabilité.
Docteur Morhange, résistante
La médecine au féminin : hommage à 10 praticiennes françaises
Docteur Morhange, résistante
Zénaïde, dite Zina Morhange (née Paley, 1909-1987), était une femme médecin et résistante, qui a été déportée au camp de d'Auschwitz- Birkenau. D'origine polonaise, elle épouse, en 1935 en France, un confrère médecin. Le couple entrera dans la Résistance intérieure dès le début de la seconde guerre mondiale.
Médecin du maquis, connue sous le nom de « Dr Morhange », la résistante sera dénoncée à la Gestapo par un confrère. Déportée à Auschwitz, elle devra travailler dans le sinistre « hôpital » du camp sous l'autorité de Josef Mengele. Son accès aux structures médicales lui permit de soigner et venir en aide à de nombreuses prisonnières, falsifiant des diagnostics afin de retarder le transfert des détenues les plus faibles.
Marthe Gautier, « découvreuse oubliée »
La médecine au féminin : hommage à 10 praticiennes françaises
Marthe Gautier, « découvreuse oubliée »
Après avoir soutenue une thèse en cardiologie pédiatrique en 1955, Marthe Gautier (1925-2022) obtint une bourse d'étude à l'Université de Harvard où elle travailla dans le domaine alors innovant des cultures cellulaires, et notamment des fibroblastes. Riche de cette expérience, elle dirigea à son retour le premier laboratoire de culture cellulaire in vitro en France, avec pour objectif le décompte des chromosomes chez les enfants malades. Ses recherches aboutiront à la découverte de l'anomalie chromosomique responsable de la trisomie 21 en 1959.
Marthe Gautier s'est exprimée à plusieurs reprise sur son sentiment d'avoir été une « découvreuse oubliée », reléguée au second plan, les honneurs de la découverte revenant à ces confrères masculins Raymond Turpin et Jérôme Lejeune. Reconnue sur le tard, elle a reçu la Légion d'honneur en 2014, et l'Ordre du mérite en 2018.
Voir : Décès de Marthe Gautier, découvreuse oubliée de la trisomie 21
Jacqueline Verdeau, lorsque la musique se fait thérapie
La médecine au féminin : hommage à 10 praticiennes françaises
Jacqueline Verdeau, lorsque la musique se fait thérapie
Jacqueline Verdeau-Paillès (1924-2010) est à l'origine d'une méthode thérapeutique inédite, révolutionnaire, basée sur l'écoute d'extraits musicaux et de sons : la musicothérapie. En 1973, la neuropsychiatre ouvre en effet des consultations de musicothérapie réceptive à l'hôpital de Limoux, avec un protocole permettant d'améliorer la santé mentale et physique des patients. Les bénéfices de la musicothérapie sont aujourd'hui bien reconnus, notamment dans certains troubles psychiatriques comme la schizophrénie.
Dans un hommage à sa consœur, publié dans les Annales Médico-psychologiques, le Dr Pierre Pennec explique comment les travaux de Jacqueline Verdeau-Paillès « l'ont amenée […] à développer l'étude des rapports des sons et de la personnalité, pour définir et dessiner les contours d'une véritable identité sonore individualisée. » Jacqueline Verdeau-Paillès a reçu l'ordre national de la Légion d'honneur en 2006.
Valérie André : « Madame ventilo »
La médecine au féminin : hommage à 10 praticiennes françaises
Valérie André : « Madame ventilo »
Médecin militaire, parachutiste et pilote d'hélicoptère, la Dre Valérie André (100 ans) a été, en 1976, la première femme promue au grade de général en France.
Très tôt passionnée par le monde de l'aviation, elle consacrera sa thèse de médecine à la « pathologie du parachutiste ». Elle obtient d'ailleurs en parallèle son brevet de pilote et de parachutisme en 1948. Recrutée comme médecin militaire en Indochine, elle se spécialise en chirurgie de guerre et sert dans des zones reculées, accessibles uniquement par parachutage. Elle s'efforcera par la suite d'organiser des services d'évacuation médicale par hélicoptère, permettant ainsi des interventions beaucoup plus rapides et améliorant la survie les soldats blessés. Surnommée « Madame Ventilo », elle a pris sa retraite en 1981, elle a fêté l'an dernier son centième anniversaire.
Ghada Hatem, fondatrice de la Maison des femmes
La médecine au féminin : hommage à 10 praticiennes françaises
Ghada Hatem, fondatrice de la Maison des femmes
Ghada Hatem-Gantzer (64 ans)est gynécologue obstétricienne et fondatrice de la première Maison des femmes, inaugurée en 2016.
Alors cheffe du service de maternité à l'hôpital de Saint-Denis en 2011, elle constate que 14 à 16% des patientes sont excisées, et décide de se former à la réparation chirurgicale des mutilations sexuelles. Consciente des conséquences de la précarité et des violences physiques et sexuelles sur la santé des femmes, elle fait le projet de construire un lieu de prise en charge globale pour ces patientes. Naît alors de Maison des femmes à Saint-Denis (93), qui regroupe 3 unités de soins : la planification familiale (contraception, IVG), la prise en charge des femmes victimes de violences (agressions, viols, violence conjugales…) et des soins dédiés aux femmes excisées. Son engagement lui a valu d'être nommée Chevalier de la Légion d'honneur (2015) et Officier de l'ordre national du Mérite (2021).
Voir : Dr Ghada Hatem-Gantzer, une wonder woman au service des femmes
Irène Frachon, lanceuse d’alerte
La médecine au féminin : hommage à 10 praticiennes françaises
Irène Frachon, lanceuse d’alerte
Lorsqu'en 2007, Irène Frachon (née Allier, 59 ans), pneumologue au CHU de Brest, relève plusieurs cas de valvulopathies cardiaques et d'atteintes pulmonaires chez des patients exposés au benfluorex (Mediator®), elle fait le lien avec les effets secondaires de l'isoméride observés une décennie plus tôt. Elle décide d'alerter la communauté médicale sur les dangers du médicament amaigrissant, toujours commercialisé en France. Débute alors le « scandale du Médiator » : du retrait du marché du médicament en 2009 jusqu'à la condamnation pénale des Laboratoires Servier ― reconnus coupables de « tromperie aggravée » et d'« homicides et blessures involontaires » ― en mars 2021, la Dre Irène Frachon aura été exposée à la censure et à la calomnie, avant d'être enfin entendue et reconnue. Procès, livres chocs, film biopic,… l'affaire reste d'actualité avec l'ouverture du procès en appel en janvier 2023.
Frédérique Penault-Llorca, tournée vers l’avenir
La médecine au féminin : hommage à 10 praticiennes françaises
Frédérique Penault-Llorca, tournée vers l’avenir
Anapathologiste de formation, Frédérique Penault-Llorca (59 ans) s'est spécialisée en oncologie et est aujourd'hui directrice générale du centre de lutte contre le cancer Jean-Perrin à Clermont-Ferrand, co-directrice de recherche à l'Inserm 1240 IMoST et vice-présidente d'Unicancer. « Son engagement, son dévouement et sa carrière impressionnante », notamment sur les biomarqueurs et leur ciblage oncologique, lui ont valu d'être élue parmi les 40 femmes les plus remarquables de l'année 2021 par le magazine Forbes France.
De l'immunohistochimie et l'avènement de la biologie moléculaire, et aujourd'hui l'intelligence artificielle (IA), la Pre Penault-Llorca a constamment le regard tourné vers l'avenir : « l’évolution récente qui est l’IA […] va nous aider dans les formes très peu différenciées, complexe et nous orienter vers un diagnostic. Dans 40 ou 50 ans, nous irons peut-être plus loin. L'IA permettra d'identifier avec précision le potentiel évolutif des lésions précancéreuses du sein, pour lesquelles nous avons des images particulières difficiles à analyser », entrevoit-elle.
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