
Einstein, Luther, Kennedy… les maladies de 10 scientifiques et politiciens célèbres
Albert Einstein : son « signe », entre apparence et réalité
Dans cette deuxième partie consacrée à l'histoire des maladies de patients célèbres, basée sur le livre du Dr Thomas Meissner « Derprominent Patient » (Editions Springer, 2019), retrouvez une sélection de cas de personnages scientifiques et politiques internationaux.
[Voir la 1ère partie : Bukowski, Goethe, Renoir, Bogart… de quoi souffraient ces artistes célèbres ?]
Albert Einstein : son « signe », entre apparence et réalité
Pour les médecins anglo-américains, le Einstein sign est un signe d'alerte de symptômes d'anévrysme abdominal de l'aorte, qui sont souvent difficiles à interpréter. Le « signe d'Einstein » est pourtant basé sur une rumeur infondée, qui voudrait qu'Albert Einstein (1879-1955) soit mort en raison d'une confusion entre une lithiase biliaire et un anévrisme aortique.
En 1948, à l'Hôpital Juif de Brooklyn, le chirurgien allemand Rudolph Nissen avait pratiqué une laparotomie exploratrice sur le célèbre physicien qui se plaignait depuis longtemps de malaises abdominaux et de vomissements. Au cours de l'intervention, le Dr Nissen découvre un anévrisme aortique abdominal de la taille d'un pamplemousse. Il le recouvre de cellophane, qui venait tout juste d'être inventée. La feuille de plastique était sensée induire une fibrose dont on espérait qu'elle stabilise la paroi aortique. En 1954, la fréquence des épisodes douloureux au niveau du dos et de l'abdomen supérieur droit augmente ; ces épisodes qui sont alors interprétés comme le signe d'une cholécystite chronique. Le 12 avril 1955, alors que les douleurs s'amplifient et que l'anévrisme menace de se rompre, Einstein refuse une autre intervention : « J'ai fait ma part, il est temps de partir, et je vais le faire avec élégance. »
Einstein, Luther, Kennedy… les maladies de 10 scientifiques et politiciens célèbres
Marie Curie : fascinée par la « lumière magique »
Double lauréate du prix Nobel, Marie Curie (née Marie Skłodowska, 1867-1934) a manipulé des substances hautement radioactives pendant des décennies, sans protection. Dans le premier laboratoire qui leur avait été attribué, les époux Curie étaient ainsi exposés quotidiennement à des taux de radiation probablement 100 fois supérieurs aux limites autorisées actuellement. Ils s'émerveillaient à la vue des fioles et des flacons qui semblaient s'illuminer dans l'obscurité et ressemblaient à « de minuscules lumières magiques ».
Leur fille Eve a plus tard décrit l'état de santé fragile de sa mère : la voir tomber au sol inconsciente, « sa pâleur et sa rigidité mortelles ».
Marie Curie souffrait déjà des conséquences de l'exposition chronique à la radioactivité alors qu'elle était dans la trentaine. Elle a pourtant continué à travailler jusqu'à 14 heures par jour, ignorant les règles de sécurité, la fièvre, l'épuisement et les lésions évolutives de ses mains. Elle est décédée à l'âge de 66 ans.
Einstein, Luther, Kennedy… les maladies de 10 scientifiques et politiciens célèbres
Heinrich Schliemann ne voulait rien entendre
Heinrich Schliemann (1822-1890), qui a découvert le site archéologique de la ville de Troie, nageait souvent, même en hiver, pour garder la forme. Pendant la moitié de sa vie, il a souffert d'otalgies avec une détérioration progressive de son acuité auditive.
En 1886, il présente une perte soudaine d'acuité auditive mais continue d'ignorer l'avis de médecins reconnus, qui lui conseillaient d'arrêter la nage. Quatre ans plus tard, Hermann Schwartze, un pionnier de la chirurgie de l'oreille, lui retire de grandes exostoses présentes aux deux oreilles et agrandit l'antre mastoïdien gauche. Peu après l'intervention, Schliemann voyage à Leipzig, à Berlin et à Paris, malgré les températures glaciales qui y règnent. D'après une lettre envoyée à son épouse, il aurait malheureusement oublié de protéger son oreille droite avec du coton. Il est ainsi devenu sourd, mais estimait que ce n'était pas un problème particulièrement grave. Il est décédé le jour de Noël 1890, quelques semaines après l'intervention. Aujourd'hui, les médecins ORL suspectent que les exostoses étaient en fait des cholestéatomes, ces tumeurs bénignes mais expansives qui s'accompagnent d'une destruction progressive de l'os, ainsi que d'une inflammation chronique de l'oreille moyenne.
Einstein, Luther, Kennedy… les maladies de 10 scientifiques et politiciens célèbres
Martin Luther : des coups de poing sataniques
Pendant plusieurs semaines, Martin Luther (1483-1546) a souffert d'acouphènes et de crises de vertige, ainsi que de céphalalgies et de fortes douleurs corporelles. Dans sa correspondance, Luther ne cachait aucun détail des souffrances qu'il endurait : « Mes selles sont si dures que je dois pousser avec une force telle que je me retrouve tout en sueur », écrivait-il notamment à son ami Philipp Melanchthon.
Une rétention urinaire liée à une lithiase et ayant persisté pendant plusieurs jours a failli lui coûter la vie. Un remède à base de fumier de cheval et d'ail, préparé par sa femme Katharina, s'est révélé inefficace.
Luther a ainsi probablement souffert de crises de la maladie de Ménière. Il souffrait parfois pendant des journées entières d'un « horrible grondement et bourdonnement dans la tête », qui l'effrayait énormément : « Je pense que c'est [dû à] ce gaillard hirsute et remonté de l'enfer, qui ne peut pas supporter ma présence dans son royaume sur terre. » Luther parle en effet de « coups de poing sataniques dans la chair »…
Einstein, Luther, Kennedy… les maladies de 10 scientifiques et politiciens célèbres
Edouard VII : un couronnement ajourné
Albert Edouard (1841-1910), fils aîné de la reine Victoria, a dû attendre l'âge de 61 ans pour succéder à sa mère sur le trône britannique. Deux jours avant son couronnement, qui devait se tenir le 26 juin 1902, le chirurgien Frederick Treves diagnostique chez le futur roi une appendicite. Des douleurs abdominales avaient en effet commencé à accabler Edouard. Celui-ci refuse catégoriquement l'intervention, pourtant estimée vitale par le chirurgien : « L'abstention thérapeutique verra le couronnement remplacé par un enterrement si vous ne vous laissez pas opérer. » Certains historiens affirment que des propos similaires ont été tenus par Lord Joseph Lister, le père de la chirurgie antiseptique.
L'appendicite était une maladie souvent fatale à l'époque, avec un taux de mortalité post-chirurgie (souvent trop tardive) pouvant s'élever à 50 %. Finalement, Treves et Lister ont été autorisés à drainer l'abcès. Le lendemain, Edouard fumait tranquillement dans son lit. Le couronnement a été célébré deux semaines plus tard, le 9 août 1902. Edouard VII a régné pendant 8 ans.
Einstein, Luther, Kennedy… les maladies de 10 scientifiques et politiciens célèbres
Frédéric III : un empereur silencieux
Lorsqu'il est monté sur le trône, l'empereur allemand Frédéric III (1831-1888) portait une canule trachéale et était donc incapable de parler. Gros fumeur de pipe, il souffrait de maux de gorge fréquents. Il se plaignait d'un enrouement sec et continu, un an avant son accession au trône. Une laryngoscopie avait révélé un petit polype des cordes vocales, qui n'avait pas été considéré comme grave. Les tentatives répétées pour éliminer le polype n'ont pas permis d'améliorer la raucité de la voix. Au contraire, la tumeur a progressé rapidement, entrainant une réduction de la mobilité des cordes vocales. Le Dr Rudolf Virchow, père de l'anatomie pathologique moderne, affirmait que les multiples biopsies du roi ne montraient aucun signe de malignité… mais il se trompait. En novembre 1887, il devient clair qu'il s'agit d'un cancer de la gorge.
Frédéric refuse la laryngectomie totale, n'acceptant qu'une trachéotomie. En mars 1888, son père Guillaume Ier décède. Devenu empereur, Frédéric, gravement malade, succombe à son tour le 15 juin 1888 des suites d'une pneumonie, probablement consécutive à une aspiration. Il n'aura régné que 99 jours. Son fils Guillaume II, âgé de 29 ans, lui succède. 1888 s'inscrit dans l'histoire allemande comme « l'année des trois empereurs ».
Einstein, Luther, Kennedy… les maladies de 10 scientifiques et politiciens célèbres
John F. Kennedy : un syndrome de Schmidt ?
À 43 ans et malgré son apparence d'homme jeune, John F. Kennedy (1917-1963) est gravement malade lorsqu'il entre à la Maison Blanche. Ses problèmes de dos - il était incapable d'enfiler seul ses chaussettes et ses chaussures - étaient probablement liés à un surdosage important en glucocorticoïdes. Ils lui étaient prescrits pour des problèmes intestinaux chroniques, dont il avait commencé à souffrir dès l'âge de 13 ans et qui reflétaient probablement une maladie intestinale inflammatoire chronique - encore inconnue à l'époque. Le traitement a entraîné une ostéoporose secondaire, avec des fractures de compression de la colonne lombaire et des douleurs dorsales constantes.
En outre, une insuffisance surrénalienne chronique (maladie d'Addison) avait été diagnostiquée en 1947. Selon une hypothèse plus récente, John Kennedy aurait en fait souffert d'une polyendocrinopathie auto-immune (PEA) de type II, également connue sous le nom de syndrome de Schmidt. Il s'agit d'un ensemble de troubles endocriniens concomitants qui se manifestent au départ par une maladie d'Addison. La PEA de type II survient généralement au début de l'âge adulte. Un autre indice plaidant pour cette hypothèse : sa sœur Eunice souffrait également d'une maladie d'Addison et son fils John F. Kennedy Jr. était atteint de la maladie de Basedow.
Einstein, Luther, Kennedy… les maladies de 10 scientifiques et politiciens célèbres
Napoléon Bonaparte : du beau gosse élancé à l'empâté somnolent
Jusqu'à son 30e anniversaire, Napoléon Bonaparte (1769-1821) était un homme élancé portant les cheveux longs jusqu'aux épaules. À 36 ans, son apparence avait considérablement changé : il était devenu de plus en plus corpulent et léthargique. Son visage s'était nettement arrondi, ses cheveux étaient devenus fins et ses hanches s'étaient élargies, indiquant des signes de féminisation.
Après la bataille de Dresde en août 1813, il n'a pratiquement fait que dormir pendant un mois. L'empereur se serait même endormi au cours des batailles de Leipzig et de Waterloo. Ses contemporains décrivent un ralentissement de sa parole et des problèmes de concentration. Plus tard à Sainte-Hélène, son médecin déclare qu'il n'a presque plus de poils corporels, et que ses seins devenus ronds et pulpeux feraient la fierté de n'importe quelle femme.
Toutes ces modifications progressives, ainsi que les résultats d'autopsies, suggèrent une maladie endocrinienne. On spécule sur une insuffisance secondaire du lobe antérieur de l'hypophyse, trouvant son origine dans une altération de la circulation sanguine locale provoquée par un accident. En 1803, alors qu'il était âgé de 34 ans, la calèche que conduisait par Napoléon s'était renversée suite à l'emballement des chevaux. Napoléon aurait alors chuté et perdu connaissance.
Einstein, Luther, Kennedy… les maladies de 10 scientifiques et politiciens célèbres
Eva Perón : un diagnostic top secret
María Eva Duarte de Perón (1919-1952), plus connue sous le nom d'Evita, souffrait d'un cancer du col de l'utérus. L'ancienne actrice et mannequin n'a jamais eu connaissance du diagnostic, le cancer étant encore tabou dans les années cinquante. Les considérations politiques de son mari, Juan Domingo Perón, élu deux fois président de l'Argentine, auraient également joué un rôle dans le secret entourant l'état de santé d'Evita, qui était extrêmement populaire.
Un spécialiste new-yorkais est venu à deux reprises, d'abord pour examiner la patiente sous anesthésie, puis pour l'opérer. Malheureusement, la tumeur avait déjà progressé et était métastasée. En 1951, Eva Perón subit une hystérectomie suivie d'une radiothérapie. Une rechute est confirmée trois mois plus tard. Elle reçoit alors une chimiothérapie et devient la première Argentine à bénéficier de ce type de traitement, qui visait à atténuer la toux et la dyspnée dues aux métastases pulmonaires. Elle est morte à l'âge de 33 ans.
Einstein, Luther, Kennedy… les maladies de 10 scientifiques et politiciens célèbres
Eleanor Roosevelt : trop occupée pour être malade
Eleanor Roosevelt (1884-1962), épouse de Franklin D. Roosevelt, a influencé la politique américaine pendant des décennies – pendant et bien après la présidence de son mari. Elle était convaincue de pouvoir vaincre n'importe quelle maladie grâce à sa volonté de fer.
En avril 1960, son médecin lui diagnostique une légère anémie accompagnée d'une leucocytopénie. Une ponction révèle une moelle osseuse hypercellulaire, avec un nombre particulièrement élevé de cellules immatures. Les hématologues posent le diagnostic d'anémie aplasique. Selon un autre médecin, il s'agissait plutôt d'une réactivation de tuberculose avec atteinte de la moelle osseuse par le bacille de Koch, mais les hématologues ont maintenu leur diagnostic et poursuivi le traitement par prednisone.
L'altération de la santé d'Eleanor Roosevelt s'est poursuivie jusqu'à la survenue d'un arrêt cardiaque. Ses médecins l'ont réanimée, notamment à l'aide d'injections intracardiaques d'adrénaline, mais ils n'ont pas pu empêcher le décès. L'autopsie a alors confirmé tant la tuberculose disséminée que l'anémie aplasique. En se basant sur les connaissances actuelles, certains considèrent que cette anémie était peut-être un syndrome myélodysplasique.
Commenter