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Bukowski, Goethe, Renoir, Bogart… de quoi souffraient ces artistes célèbres ?

Dr Thomas Meissner | 14 septembre 2020 | Auteurs

Jean-Sébastien Bach : des modifications osseuses dues aux « battements d'orgue »

En 1949, le chirurgien berlinois Wolfgang Rosenthal a pu examiner les ossements de la dépouille de Jean-Sébastien Bach (1685-1750), exhumé de l’église de St-Jean de Leipzig détruite pendant la guerre. « J'ai pu observer de multiples exostoses au niveau du bassin, des vertèbres lombaires et des talons », a-t-il rapporté. Les zones osseuses d'insertions musculaires étaient également « remarquablement fortes » au niveau de la partie supérieure des bras et des avant-bras. Le Dr Rosenthal a attribué ce phénomène aux efforts musculaires importants que Bach avait fournis dès son plus jeune âge en jouant de l'orgue. Des modifications osseuses similaires ont été observées au niveau des bras et des jambes chez des cavaliers assidus et des soldats (pratique intensive du drill). Jouer de l'orgue devait être physiquement très difficile à l'époque de Bach, on parlait alors de « coups d'orgue ».

Cette analyse est racontée par le Dr Thomas Meissner dans son livre, « Der prominent Patient» (Editions Springer, 2019), qui retrace l’histoire des maladies de 100 patients célèbres. Retrouvez dans ce diaporama, une sélection de cas de grands artistes, dont l’histoire médicale est surprenante.

Bukowski, Goethe, Renoir, Bogart… de quoi souffraient ces artistes célèbres ?

Dr Thomas Meissner | 14 septembre 2020 | Auteurs

Baudelaire : un poète sans langue

Charles Baudelaire (1821-1867) a été victime d'une attaque cérébrale à l'âge de 45 ans. Le « poète maudit », dont l'écriture subversive et la vie débridée reflétaient ce que l’on considérait alors comme du génie, du dandysme et de la provocation, a survécu un an et demi à cette attaque, dont il est sorti aphasique. Il est cependant légitime de se demander s'il était conscient de son trouble. De manière stéréotypée, il ne cessait de crier « Cré nom » ou « Non, non, cré nom, nom ! » « Pas ! Pas ! Sacré nom », sans doute tiré de « Sacré nom de Dieu », mais c'étaient les seules syllabes qu'il était encore capable de prononcer. Il semblait essayer d'exprimer ses pensées et sentiments : joie, tristesse, colère, impatience. Il se mettait rapidement en colère lorsqu'il n'était pas compris. Les neurologues soupçonnent aujourd'hui que Baudelaire souffrait d'anosognosie, c'est-à-dire de l'incapacité à reconnaître ses propres déficits fonctionnels – en l'occurrence, d'une altération de la rétroaction auditive. Il ne savait donc pas qu'il jurait.

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Dr Thomas Meissner | 14 septembre 2020 | Auteurs

Beethoven : surdité et « mufle de lion »

Selon le rapport d'autopsie de Ludwig vanBeethoven (1770-1827), diverses observations et leur mise en corrélation avec les symptômes de sa perte auditive, on peut conclure que le compositeur a dû souffrir d'une maladie de Paget sévère, qui se traduit localement par un renforcement important du remodelage osseux. 30% à 50% des patients qui présentent une atteinte crânienne souffrent également d'une déficience auditive, dont la cause est attribuable à une forme d'ankylose hypertrophique des osselets et/ou à une compression du nerf vestibulo-cochléaire. Chez Beethoven, les premiers signes de perte auditive étaient déjà présents à l'âge de 26 ans, pour aboutir à une surdité totale une dizaine d'années plus tard. Le prosecteur avait découvert une calotte crânienne très épaisse et exceptionnellement dense. Le masque moulé sur son visage à l'âge de 41 ans montre déjà une ossature frontale hypertrophiée, et une photographie du crâne exhumé en 1863 révèle des os zygomatiques particulièrement irréguliers et larges. Une déformation qui s'observe occasionnellement dans la maladie de Paget, d'après un pathologiste américain, et qui a contribué à l'aspect en mufle de lion du compositeur.

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Dr Thomas Meissner | 14 septembre 2020 | Auteurs

Humphrey Bogart : avoir l’air cool jusqu'au bout

L'icône hollywoodienne Humphrey Bogart (1899-1957) donnait l’image d’un dur à cuir, à l’écran comme en privé. Il l’aura été jusqu’à sa mort. Il a succombé à un carcinome œsophagien attribuable au tabac et à l'alcool, à une époque où ce type d'excès était courant. Humphrey Bogart n'avait jamais été hospitalisé avant la découverte de son carcinome. La dysphagie croissante et les fréquentes crises de toux, qui pouvaient durer une demi-heure, l'ont amené à subir une intervention de neuf heures et demie pour l'exérèse de la tumeur œsophagienne et de plusieurs ganglions lymphatiques, suivie d'une chimiothérapie. L'état du héros de Casablanca s'est d'abord amélioré, avant de rechuter six mois plus tard. À des amis venus lui rendre visite, il s'est écrié : « Pourquoi tout le monde chuchote, ici ? J'ai un cancer ! Bon sang, ce n'est tout de même pas une MST ! » Deux semaines avant sa mort, alors qu’il ne pesait plus que 36 kg, il affirmait à une journaliste qu'il se sentait magnifiquement bien…

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Dr Thomas Meissner | 14 septembre 2020 | Auteurs

Bertolt Brecht : ce n’était finalement pas une névrose cardiaque

Les médecins de Bertolt Brecht (1898-1956) considéraient que les troubles cardiaques du dramaturge étaient de nature névrotique. Ce n'est qu'en 2010 que Stephen Parker, spécialiste britannique de Brecht, a découvert, sur une note, qu'une dilatation cardiaque avait été diagnostiquée dès son enfance, probablement au moyen d'un examen radiologique. En rassemblant les pièces du puzzle grâce aux symptômes décrits et aux témoignages de ses amis sur les contractions nerveuses du côté gauche du visage qui le faisaient grimacer, on peut suspecter que Bertolt Brecht ait souffert, au cours de sa jeunesse, d'un rhumatisme articulaire aigu avec atteinte cardiaque et chorée mineure. Il s'en est suivi une arythmie, une cardiomégalie, de la dyspnée et de l'asthénie. La cause du décès n'était pas une crise cardiaque, comme on l'a longtemps prétendu, mais très probablement une péricardite consécutive à une infection urinaire : à l'âge adulte, Brecht a fréquemment souffert de lithiases rénales, de prostatite et, finalement, d'un rétrécissement de l'urètre.

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Dr Thomas Meissner | 14 septembre 2020 | Auteurs

Bukowski, fui comme un lépreux

L'écrivain américain Charles (Heinrich Karl) Bukowski (1920-1994) a énormément souffert d’acné sévère durant sa jeunesse. Il a d'ailleurs abordé ce sujet dans son livre Le pire est encore à venir. Son alter ego, Henry "Hank" Chinaski, est un étranger « mangeur de choucroute » (la mère de Bukowski était allemande). Dans le livre, il parle de boutons « gros comme des noix », sur le visage et l'ensemble du corps, ainsi que de pus jaunâtre qui explosait sur son miroir... Son père le tourmentait et l'humiliait, l’obligeant à garder sur la peau une pâte décapante, bien plus longtemps que recommandé dans la notice. À l'hôpital général du comté de Los Angeles, Bukowski a été considéré par un médecin comme le pire cas d'acné qu'il n'ait jamais rencontré, sans doute un acné conglobata. C’est l'écriture qui a aidé Bukowski à accepter sa singularité et sa souffrance : « Les mots sont une potion magique qui nous protège du suicide. »

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Dr Thomas Meissner | 14 septembre 2020 | Auteurs

Goethe : Faust en danger

Johann Wolfgang von Goethe (1749-1832) a bien failli ne jamais terminer son Faust, à cause d'un érysipèle bulleux. Début janvier 1801, alors qu'il était âgé de 51 ans, Goethe a souffert d'un « catarrhe » qui s'est progressivement aggravé, devenant une infection grave qui a duré plusieurs semaines. Accompagnée d'une forte fièvre, une inflammation purulente s'est développée sur la moitié gauche de son visage, allant jusqu'à l'empêcher d'écarter les paupières. L'inflammation touchait également le palais, le pharynx et le larynx, avec une toux majeure et des crises d'étouffement. Goethe délirait parfois pendant plusieurs jours d'affilée. Cet état critique a persisté pendant neuf jours, avant de s'améliorer progressivement et d'induire une asthénie qui a duré plusieurs mois.

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Dr Thomas Meissner | 14 septembre 2020 | Auteurs

Rita Hayworth : une pathologie mal identifiée

Le comportement étrange de la diva du cinéma née en 1918 et décédée en 1987 a été longtemps attribué à sa consommation excessive d'alcool. Le véritable diagnostic est resté inconnu pendant près d'une décennie. L’évolution de la recherche et la découverte de la démence associée à la maladie d'Alzheimer ont permis de mieux comprendre son cas. Rita Hayworth avait le même âge qu'Auguste Deter en 1901, chez qui Alois Alzheimer a décrit pour la première fois les signes de cette forme de démence jusqu'alors inconnue. Au début des années 1970, la danseuse et actrice, alors âgée d'un peu plus de 50 ans, avait de plus en plus de mal à se souvenir des textes et des séquences de pas de danse. En 1972, elle n'a pas réussi à obtenir le rôle dans la comédie musicale Applause à Broadway. Au cours du tournage de son dernier film, The Wrath of God (Le diable avec Hosanna) sorti en 1972, elle a dû apprendre le texte de chaque scène ligne par ligne ou le lire sur un tableau. Les phases de grande excitation dont elle était victime irritaient ses amis et le public. Ce n'est que lorsque le psychiatre new-yorkais Ronald Fieve l'a prise en charge, en 1979, que le diagnostic de maladie d'Alzheimer a enfin été posé.

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Dr Thomas Meissner | 14 septembre 2020 | Auteurs

Friedrich Hölderlin : « Apprivoiser la bête sauvage »

Le destin du poète et philosophe allemand Friedrich Hölderlin (1770-1843) met en lumière le regard particulier porté sur les maladies mentales et leur prise en charge au début du XIXe siècle. En septembre 1806, Hölderlin, qui souffrait probablement d'une psychose, est conduit au nouvel hôpital universitaire de Tubinge pour y être soigné par le médecin-chef Johann Autenrieth. On en sait peu sur les 231 jours de traitement qui ont suivi, mais on sait que le Dr Autenrieth enseignait à ses étudiants les cas de « dérangés mentaux ». Il croyait en l'existence d'une substance pathologique provoquant une démence. Selon lui, cette substance devait être évacuée du corps, par exemple en administrant des médicaments à très forte dose, de manière à entraîner de fortes douleurs et à provoquer une diarrhée majeure, des saignements hémorroïdaires et une hématémèse. L'objectif était d'apprivoiser le « maniaque » comme on le ferait avec un animal sauvage. Cette stratégie thérapeutique douteuse commandait également de porter des coups aux patients, de les bâillonner, et de les priver de nourriture et d'eau. De la belladone et de l'opium brut étaient prescrits pour les calmer. Considéré finalement comme incurable, Hölderlin a passé les 36 années suivantes au sein d'une famille de charpentiers dans la Tübinger Turm, sur le bord du fleuve Neckar.

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Dr Thomas Meissner | 14 septembre 2020 | Auteurs

Bob Marley : un mélanome malin au gros orteil

C'est en 1977 que le roi du reggae Bob Marley (1945-1981) aurait été diagnostiqué avec un mélanome malin du gros orteil droit, à l'occasion d'une blessure subie au football. Marley aurait révélé à son manager qu'il avait à cet endroit, et depuis des années, une plaie parfois fermée, parfois ouverte. Il refuse l'amputation totale de l'orteil : l'exérèse ne porte que sur l'ongle et son lit, suivie de la transplantation d'un petit lambeau cutané prélevé sur la cuisse. Il s'agissait apparemment d'un mélanome acrolentigineux mais on ignore qui a posé ce diagnostic, qui concerne seulement 4% des cas de mélanome. En septembre 1980, Bob Marley s'effondre au cours d'un jogging dans Central Park. Les médecins découvrent des métastases dans le foie, les poumons et le cerveau. Il donne un peu plus tard son dernier concert, avant de se rendre en Allemagne. Il passe six mois au Tegernsee, en Bavière, dans la clinique de médecine alternative Ringberg du très controversé médecin « faiseur de miracles » Josef Issels. Le traitement n'ayant pas porté ses fruits, Bob Marley décide de rentrer en Jamaïque pour y terminer ses jours. Il n'y arrivera pas, mourant au cours d'une escale à Miami.

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Dr Thomas Meissner | 14 septembre 2020 | Auteurs

Steve McQueen : le King of Cool faisait confiance à des charlatans

La star hollywoodienne, dont l’apparence décontractée était légendaire, est née en 1930 et décédée à l’âge 50 ans. En 1978, des médecins lui diagnostiquent un mésothéliome, un cancer rare, associé dans 80-90% des cas à une exposition à l'amiante. Cette exposition aurait pu se produire à l'époque où Steve McQueen était marin ou lorsqu'il portait des vêtements ignifugés pendant des courses automobiles. L’acteur a tenté de garder le diagnostic secret et de se faire soigner par des méthodes peu orthodoxes (vitamines, minéraux et lavements au café). Il s'est ensuite tourné vers un médecin américain douteux qui consultait au Mexique et prétendait pouvoir « digérer » les ulcères cancéreux à l'aide d'enzymes pancréatiques, d'un régime strict et de procédés connexes. Six semaines après le début du traitement, la masse tumorale aurait tout de même diminué de 60 à 75%. Lors d'une dernière tentative chirurgicale à la clinique Santa Rosa de Juarez, les médecins ont observé que la tumeur pulmonaire droite avait atteint le diaphragme et envahi le poumon gauche. Steve McQueen mourait 24 heures après l'intervention. Cause officielle du décès : un infarctus.

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Dr Thomas Meissner | 14 septembre 2020 | Auteurs

Auguste Renoir : des jeux de balle contre les rhumatismes

En observant les œuvres de Pierre-Auguste Renoir (1841-1919), il est difficile de dire si l’artiste les a peintes de la main droite ou de la main gauche. Au cours de sa maladie, ses mains étaient extrêmement déformées et quasi immobiles. Vers l'âge de 50 ans, Renoir a souffert d'une arthrite rhumatoïde qui l'a cloué dans un fauteuil roulant pendant les 7 dernières années de sa vie. Presque immobile, cachectique, souffrant de fortes douleurs et d'ulcères de décubitus, il arrivait pourtant à peindre des tableaux de grand format, au moyen de différentes aides. ll lutte d'abord contre l'immobilité croissante en jonglant avec des balles de cuir, au billard, au badminton et au bilboquet, pour entretenir son adresse. Le rhumatologue Henning Zeidler, de Hanovre, a qualifié Renoir « d'inventeur de l'ergothérapie ». Le dernier jour de sa vie, Renoir passe plusieurs heures à peindre des anémones que sa femme de ménage avait cueillies pour lui. « Je crois que je commence à y comprendre quelque chose », aurait-il murmuré avant de s'éteindre au cours de la nuit.

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Dr Thomas Meissner | 14 septembre 2020 | Auteurs

Andy Warhol : une sorte d'extraterrestre

Le comportement et les œuvres excentriques de l’artiste américain (1928-1987) ont été associés au syndrome d'Asperger. Ses interviews monosyllabiques sont légendaires. Il répondait de manière inadéquate, comme un enfant, souvent sans savoir que faire des questions qui lui étaient posées. La symptomatologie principale du syndrome d'Asperger consiste en des troubles de la communication verbale, comportements stéréotypés et faiblesse de perception de la communication non verbale. Les personnalités Asperger sont souvent dotées de talents particuliers – dans le domaine graphique et artistique pour Warhol. Sa marque de fabrique était la répétition constante de motifs picturaux de la vie quotidienne, ou encore la reproduction d'images de célébrités telles que Marilyn Monroe ou Elvis Presley. Il a ainsi produit 32 photos quasi identiques de la boîte de soupe Campbell, qui était disponible en 32 saveurs différentes. En société, Warhol était particulièrement gauche et timide. Il était constamment absorbé par son travail, le seul sujet dont il parlait, d'après les témoignages. Il est mort en 1987, probablement des suites d'une opération à la vésicule biliaire.

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Psychiatrie : quand le remède était pire que le mal

Enfermement sur ordre, méthodes thérapeutiques de choc, complicité avec les dictatures, euthanasie des malades…la psychiatrie a, en France et dans le monde, une histoire qui peut faire peur quand on l’examine de près. Le Dr Patrick Lemoine revient sur ce lourd passif.
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