
L’éthique médicale en France : résultats de l’enquête Medscape
Relations intimes avec les patients, erreurs médicales, GPA, euthanasie... Medscape a interrogé les médecins français sur les enjeux éthiques auxquels ils peuvent être confrontés dans leur pratique quotidienne. Près de 900 praticiens ont partagé leurs opinions et leurs expériences sur ces sujets d’actualité, entre le 6 janvier et le 8 avril 2020.
Nous avons également effectué un sondage sur les enjeux éthiques rencontrés durant la crise du Covid-19. Ces données, recueillies entre le 16 avril et le 19 mai 2020, sont publiées ici.
L’éthique médicale en France : résultats de l’enquête Medscape
En mars 2019, le Conseil de l’Ordre formalisait, dans le Code de déontologie, l’interdiction de toute relation sexuelle entre médecin et patient, considérée désormais comme un abus de faiblesse de la part du soignant, puisque celui-ci détient un ascendant sur le patient. Une décision entérinée par près de 2 médecins sur 5 dans notre sondage.
La majorité estime cependant, en répondant « oui » ou « selon les circonstances », qu’une relation intime peut être acceptable. Pour 18% d’entre eux, elle doit se développer en dehors du contexte médecin/malade : il faut référer le patient à un confrère et respecter un délai de carence. Car pour beaucoup, l’attirance est en quelque sorte une fatalité : « On ne peut pas lutter contre l’Amour », « Humain, trop humain ! », « L’amour d’abord, le patient pourra toujours changer de médecin après ! », « L’amour ne se contrôle pas » témoignent-ils dans leurs commentaires. « C'est mon histoire personnelle depuis 30 ans », indique un généraliste, « Je suis le médecin de ma propre femme », confirme un autre. Nombreux sont ceux qui estiment qu’à partir du moment où la relation s’établit « entre adultes consentants », nul n’est apte à la juger.
Un médecin sur 3 exprime cependant des doutes, tel ce cardiologue : « La passion et l’éthique sont-elles compatibles ? ». Un anesthésiste, réaliste, estime que « le pouvoir de séduction des blouses blanches exploité à des fins de libertinage est condamnable et doit impérativement rester encadré… », mais admet que « toutefois, un praticien célibataire peut tomber amoureux d'un patient, et réciproquement, et en ce cas souhaitons-leur tout le bonheur du monde. »
« J’ai découvert, avec stupeur, que cela n’était interdit que depuis peu », admet une généraliste, confirmant que les nouvelles directives du CNOM ne semblent pas avoir été entendues.
L’éthique médicale en France : résultats de l’enquête Medscape
Un peu plus de 4 médecins sur 7 sont contre la légalisation du cannabis récréatif, en grande partie en raison de ces effets néfastes sur la santé. « Nous connaissons les ravages du THC sur le système de la motivation, » indique un neurologue. Un autre : « J'ai vu trop de jeunes décompenser sur un mode psychotique en psychiatrie. » Un urgentiste estime avoir « déjà assez de problèmes avec l’alcool, le tabac et autres médicaments légaux mais détournés, sans avoir à en rajouter d’autres... ». Ce médecin du travail constate une augmentation du nombre « de personnes dépendantes, avec un certain nombre de troubles (mémoire, concentration, motivation…) et un manque de fiabilité professionnelle ».
Ce sont 3 médecins sur 7 qui se déclarent être en accord avec une légalisation, la plupart par pragmatisme : « le cannabis est indiscutablement dangereux, mais la politique répressive est un échec sur tous les plans ». Pour ce cardiologue, « c'est malheureusement une réalité, la répression ne change rien et l'interdiction ne fait que favoriser les trafiquants ». Comme beaucoup, cette urgentiste fait l’hypothèse que la légalisation pourrait « éviter le trafic et permettre une meilleure prévention ». « Déconseiller et non pas interdire, comme pour le tabac. »
L’éthique médicale en France : résultats de l’enquête Medscape
Plus de la moitié (56%) des répondants signaleraient le comportement d’un médecin collègue ou ami dont la pratique serait impactée par la drogue, l’alcool, ou même la maladie. Cette affirmation est plus marquée chez les médecins spécialistes (58%) que généralistes (46%).
Pour 36%, il convient de parler tout d’abord avec l’intéressé et d’essayer d’intervenir avant de faire un signalement officiel.
Seulement 8% sont contre, certains estimant « que la délation est inacceptable au regard de l’éthique ». Une opinion qui était plus fréquente chez les médecins > 45 ans (9%) que chez les plus jeunes (5%).
Cependant, 46% des médecins estiment qu’eux-mêmes ne devraient pas être soumis à des contrôles sur leur consommation d’alcool ou de drogue. Dans les témoignages, le terme « Big brother » revient fréquemment : « Comment travailler sereinement sans confiance préalable? », « chacun doit d'abord s'imposer sa propre morale ». Et si 42% sont en accord avec le principe et accepteraient d’être testés (« comme les pilotes »), beaucoup ne voient pas « pourquoi les médecins devraient être « particulièrement visés » ; certains préconisent d’instituer ce type de contrôle « pour toute profession à conséquence sur autrui », telle que les travailleurs du BTP, les forces de l'ordre, les enseignants, voire les politiciens…
L’éthique médicale en France : résultats de l’enquête Medscape
Les patients n’ayant pas une bonne hygiène de vie, ou ne respectant pas les recommandations concernant leurs traitements, ne devraient pas être pénalisés et ne méritent pas de se voir attribuer une priorité moindre sur les listes d’attente du système de santé public, selon près des 3/4 des médecins interrogés. « Attention à ne pas tomber dans la stigmatisation », « il s’agit de les convaincre et non de les juger », « l’addiction, comme l’obésité, sont des maladies à part entière et doivent avoir la même priorité que les autres ». Allonger les délais et donc retarder la prise en charge, « pourrait faire courir des risques supplémentaires aux patients », s’inquiètent-ils.
Parmi les médecins favorables à des « sanctions », on retrouve plus de praticiens jeunes (15% chez <45 ans) que de plus âgés (8%).
Néanmoins, encourager le sevrage tabagique ou la perte de poids par des déductions fiscales, ne convainc pas, les 3/4 des médecins estimant que « la solution financière » n’en est pas une. L’éducation thérapeutique devrait primer : « Les patients devraient être personnellement convaincus de l'intérêt de suivre les recommandations » pour que celles-ci soient efficaces.
L’éthique médicale en France : résultats de l’enquête Medscape
Un médecin sur 5 admet qu’il refuserait de prendre en charge une famille qui ne veut pas recevoir les vaccins recommandés, aussi bien ceux pour adultes que pour enfants. « Je ne peux pas soigner des personnes qui ne me font pas confiance », explique une généraliste. Cependant la majorité (68%), même si elle est en désaccord avec la décision du patient anti-vaccin, accepte de le recevoir. « Cette famille serait dans l’erreur, notre rôle est d’éduquer et non pas d’exclure, ce qui est contre-productif », précise une urgentiste. « Mais je refuserai de signer les certificats de vaccination permettant l'inscription à l'école ou en crèche… »
Les médecins sont en revanche bien plus sévères avec leurs confrères, 63% estimant que les soignants qui préconisent aux patients de ne pas se faire vacciner devraient être sanctionnés par le CNOM. « C’est une faute professionnelle », « irresponsable ».
Pour 1 médecin sur 5, l’éducation devrait primer sur la sanction, même pour les professionnels.
Quid de la vaccination antigrippale des praticiens? 61% estiment qu’il est tout à fait éthique d'exiger des médecins qui sont en contact avec des patients de se faire vacciner contre la grippe chaque année. « Ne pas le faire revient à devenir un serial killer potentiel », estime un généraliste. Selon une enquête de Santé publique France 2018-2019, 67% des médecins sont d’ailleurs vaccinés contre la grippe. Dans notre sondage, 30% des médecins déclaraient être en désaccord. Certains considèrent, tel, ce gériatre hospitalier, que « le port du masque et le lavage des mains sont efficaces », alors que d’autres s’en remettent à la « liberté individuelle.»
L’éthique médicale en France : résultats de l’enquête Medscape
Dans leur très grande majorité (85%), les médecins français sont opposés à la rémunération des donneurs d’organes, considérée comme une « marchandisation » du corps. « Cela dénature la notion même de don et ouvrirait la porte à des trafics », croit, comme beaucoup de répondants, cette anesthésiste. Parmi les médecins favorables à une compensation financière, on retrouve significativement plus d’hommes (8%) que de femmes (4%). Quant aux indécis, ce sont surtout les libéraux (10%) qui envisageraient cette possibilité (contre 4% des hospitaliers). Voir Les enjeux éthiques des dons rémunérés
Plus de la moitié des médecins sont contre la fin de l’anonymat du don des gamètes, en particuliers les hommes (58%, vs 44% pour les femmes). Cela risquerait de constituer « un frein majeur au don » et « induire beaucoup de complexité dans le concept de filiation ».
Deux médecins sur 7 sont en faveur de la levée de l’anonymat, notamment pour des raisons médicales : « Alors que sur le fond je suis pour l’anonymat, l’évolution de la recherche en génétique nous oblige aujourd’hui à tenir compte de la transmission… et de la médecine préventive » selon une généraliste.
Un médecin sur 5 n’a pu trancher.
Selon les modifications apportées au projet de loi sur la bioéthique en février 2020, les donneurs pourront accepter, ou non, la levée de leur anonymat en cas de demande d’enfants issus d'un don de gamètes.
L’éthique médicale en France : résultats de l’enquête Medscape
61% des médecins interrogés approuvent l’accès à la procréation médicalement assistée (PMA) pour les femmes en couple ou non mariées, même si parmi eux beaucoup ont tenu à préciser que l’intervention ne devrait pas, « hors problème médical avéré », être remboursée. « La société n'a pas à payer pour ces FIV », renchérit une gynécologue.
Les médecins hommes (43%) étaient plus fréquemment opposés à la PMA dans ce contexte que les femmes (32%). « La fonction paternelle me semble indispensable », déclare un psychiatre. Pour d’autres, c’est la médicalisation qui est remise en cause : « L'homosexualité n'est pas une pathologie », estime ce cardiologue. « Le médecin est fait pour soigner, aider les couples infertiles. Mais des femmes [ou hommes] en couple, non malades, ne nécessitent pas l'intervention d'un médecin. »
Plusieurs déclarent également être favorables à la PMA pour les couples homosexuel(les), mais opposés la PMA pour une femme seule, « l'enfant devant rester le projet d'un couple ».
À l’inverse, 61% des médecins sont opposés à la gestation pour autrui (GPA). La filiation d’un enfant né par GPA à l’étranger reste d’ailleurs toujours interdite en France. « Le corps de la femme n'est pas à vendre et la grossesse n'est pas sans risque » souligne une gynécologue. « C’est de l’esclavagisme » exprime un autre, pour illustrer le risque d’abus à l’encontre des populations pauvres. Pour ceux qui sont pour, comme ce psychologue, « il est illusoire de vouloir l’empêcher… Il faut donc en définir le cadre légal ».
L’éthique médicale en France : résultats de l’enquête Medscape
La majorité des médecins estiment ne pas être suffisamment formés pour prodiguer des soins aux patients transgenres, et beaucoup le regrettent. « Absolument pas formée, mais pas opposée à l’être! » déclare une urgentiste. « Informée à titre personnel et par choix, mais pas suffisamment » confirme une généraliste. Pour un autre, « il manque surtout de l’information sur le suivi et les conséquences des traitements hormonaux ». Les hommes étaient plus nombreux à déclarer être suffisamment formés (33%) que les femmes (23%).
Concernant les patients transgenres pédiatriques, les 3/4 des médecins pensent que la personne responsable de l’enfant n’est pas forcément la mieux placée pour décider de la transition. Ils penchent plus souvent pour un avis collégial, certains estimant que « le tuteur légal est lui-même conditionné par sa propre histoire et ses émotions. » « Pas de transition tant que l’individu n'est pas majeur », estime un endocrinologue.
Les hommes étaient plus fréquemment (30%) en faveur d’une application de l’autorité parentale, que les femmes (21%).
Voir : Dossier spécial sur la prise en charge des patients transgenresL’éthique médicale en France : résultats de l’enquête Medscape
Quatre médecins sur 5 estiment, qu’en France, la décision d’arrêter les soins qui maintiennent le patient en vie n’est pas prise trop précocement, bien au contraire. L’affaire Lambert, citée dans les commentaires, illustre « l’acharnement médical » constaté par beaucoup de répondants. Pour ce chirurgien, « on prolonge encore trop la vie de personnes qui souffrent inutilement ». « Nous vivons tous les jours les demandes acharnées des chirurgiens/oncologues », témoigne un réanimateur. Et ce pneumologue : « on soigne des patients dont l'état général catastrophique augure une issue fatale à court terme ». Pour ce gériatre, cela s’explique par le fait que « la Loi sur la fin de vie n’est pas assez connue, ni appliquée ; il faut l’expliquer et dépassionner les débats ». Voir Directives anticipées : quel rôle pour les médecins?
Le sujet de l’euthanasie divise un peu plus les médecins : 42% (dont 48% des libéraux et 35% des hospitaliers) sont en faveur de l’euthanasie ou du suicide médicalement assisté pour les patients qui ont des souffrances incurables, même s’ils pourraient survivre encore plusieurs années.
À part égal (30%), les autres répondants s’y opposent ou préfèrent répondre au cas par cas. « Le rôle du médecin n'est pas de donner la mort, » rappelle un urgentiste. Pour ce gériatre « ce n’est pas à la médecine de traiter une problématique sociétale ». « La question de médicaliser ces procédures interpelle de nombreux pans de la profession » analyse un urgentiste.
L’éthique médicale en France : résultats de l’enquête Medscape
Un médecin sur 10 admet que ses croyances religieuses ont déjà influencé sa prise de décision médicale. Si, pour ce psychologue, il s’agit de « compassion et de charité humaine », un chirurgien orthopédique considère que « les croyances religieuses, morales ou philosophiques modèlent notre pensée et nos actions ». Pour cet infectiologue, c’est une « évidence » et il dit « prêcher pour une spiritualité, quand bien même elle serait laïque, estimant que « les gens sont rassurés quand ils savent que le docteur a des valeurs ».
Mais ces positions restent rares, puisque la grande majorité des praticiens (86%) ont répondu par la négative, beaucoup précisant par ailleurs être athées. Pour certains, cela demande tout de même « beaucoup d'efforts et de réflexion sur soi ».
L’éthique médicale en France : résultats de l’enquête Medscape
Les 3/4 des médecins accepteraient de pratiquer une IVG, dans les délais prescrits, quels que soient leurs principes moraux ou religieux. Pour cette gynécologue, il s’agit bien entendu « d’un droit inaliénable pour les femmes ».
À l’inverse, un médecin sur 6 refuserait, mais beaucoup arguent que l’avortement n’est pas pris en charge dans leur spécialité (diabétologie, oncologie, orthopédie etc.).
Rares sont ceux qui émettent des doutes, même si, comme ce gériatre, certains questionnent : « Tout dépend de l’histoire de la patiente... Relation sexuelle consentie? Viol? Inceste? »
Il ressort des commentaires que la plupart des médecins ne connaissent pas la clause de conscience spécifique à l’IVG – il existe déjà une clause de conscience pour l’ensemble des actes médicaux, mais il y a aussi une clause additionnelle (« redite ») uniquement pour l’IVG (article L.2212-8). Jugée inutile, voir stigmatisante et contraignante vis-à-vis de l’acte, la suppression de cette double clause fait partie des révisions de la loi sur la bioéthique 2020. Le CNOM et certains membres du CNGOF sont opposés à cette modification.
L’éthique médicale en France : résultats de l’enquête Medscape
La moitié des hommes médecins (50%, vs 39% pour les femmes) iraient contre la volonté de la famille et maintiendraient un traitement s’ils estimaient qu’il y a encore une chance de survie pour le patient. Ceux de >45 ans étaient également plus susceptibles de prendre cette décision (48%) que les plus jeunes (34%). 35% des médecins agiraient, quant à eux, au cas par cas.
Même si certains pensent « le faire probablement de manière inconsciente », les 3/4 des médecins interrogés refuseraient de minimiser les risques d’une procédure ou d’un traitement, reconnu bénéfique, pour obtenir le consentement du patient. Seulement 1 médecin sur 9 y consentirait ― les hommes (13%) plus que les femmes (8%).
Les praticiens seraient-ils prêts à dissimuler des informations sur un diagnostic en phase terminale ou pré-terminale, s’ils estimaient que cela permettrait de maintenir la motivation ou le moral du patient? Les avis sont très partagés. Les hommes (39%, vs 31% de femmes), les libéraux (42%, vs 30% des hospitaliers) et les plus âgés (39%, vs 23% des <45 ans) répondent plus fréquemment par l’affirmative. « Toute vérité n’est pas bonne à dire ; c’est selon la personnalité du patient », sont-ils plusieurs à concéder. Une urgentiste témoigne : « Cela m’est arrivé, car il y a des mots qui tuent ». Mais pour cet infectiologue, c’est la manière qui importe : « Le métier de médecin est un métier de communication. »
L’éthique médicale en France : résultats de l’enquête Medscape
Un médecin sur 7 a déjà dissimulé une erreur médicale. « L'erreur médicamenteuse est très fréquente en anesthésie. » Une toxicologue : « Deux patients avec le même nom dans le service ! L’un a reçu le traitement de l’autre ».
La même proportion estime qu’il peut exister des situations dans lesquelles il est acceptable de cacher une erreur médicale qui pourrait être dommageable au patient. Un avis partagé davantage par les hommes (18%) que les femmes (10%), et par les médecins libéraux (20% que les hospitaliers (12%).
Mais pour la grande majorité des praticiens, il est « éthiquement inacceptable » de ne pas révéler une erreur médicale : Il ne faut pas « se protéger au détriment de la dignité du patient, qui a le droit de savoir ce qui lui arrive », selon un réanimateur. « L’erreur doit être révélée pour être corrigée », c’est une question « d’honnêteté intellectuelle ».
Et si une erreur était commise, 90% des médecins présenteraient leurs excuses au patient ; beaucoup témoignent l’avoir déjà fait.
L’éthique médicale en France : résultats de l’enquête Medscape
Pour la moitié des médecins interrogés, il est acceptable de rompre le secret médical s’ils estiment que l’état de santé d’un patient (lié par exemple à une maladie contagieuse) peut nuire à autrui. Beaucoup mentionnent les situations délicates des IST, notamment le VIH et la syphilis, l’information sur la séropositivité du patient ne pouvant être communiquée au(x) partenaire(s). « Sous prétexte de secret médical, faut-il condamner à mort un conjoint? » interroge un médecin. « J’aimerais que la déontologie le permette, même l’oblige. » déclare un psychiatre.
Pour près d’un quart des répondants, point d’exception au secret médical : « C’est au médecin de convaincre le patient de prendre les dispositions nécessaires ». Une psychiatre craint que « si le patient n’est pas protégé par le secret médical, cela peut le conduire à ne pas se soigner, ce qui peut être encore plus néfaste pour la santé publique ».
L’autre quart est indécis : « dépendamment de la pathologie et des risques, et à condition que cela soit clairement inscrit dans les codes civil, pénal et déontologique. »
L’éthique médicale en France : résultats de l’enquête Medscape
Un médecin sur 10 indique ne pas avoir signalé, ni fait de suivi, face à un cas suspect de violence domestique. C’était plus souvent le cas pour les médecins hospitaliers (15%) que pour les libéraux (9%). Il n’y avait pas de différence significative entre les réponses des médecins femmes ou hommes, jeunes ou plus âgés. « Je n’en suis pas fier, il m’est arrivé d’avoir eu un doute et de ne pas avoir poussé jusqu’où j’aurais dû », avoue un gérontologue. Tout comme cette urgentiste : « J'y repense tous les jours… et le regrette ».
Dans nos précédents sondages, menés en 2015 et 2017, respectivement 24% et 20% des médecins indiquaient ne pas être intervenus, contre 10% aujourd’hui. Les campagnes de sensibilisation et les outils mis à disposition des praticiens auraient-ils porté leurs fruits? Ainsi, dans leur grande majorité (83%), les médecins interviennent.
Parmi ceux qui préfèrent décider au cas par cas (7%), on retrouve surtout des médecins généralistes (11%) plutôt que spécialistes (6%). Les freins au signalement les plus couramment cités dans les commentaires sont les lourdeurs administratives, les problèmes de temps, et surtout le refus de la victime. Un projet de loi visant à lever le secret médical en cas de violences conjugales a été récemment adopté. Pour cet ORL, il signale tout de même « au médecin référent lorsque la patiente n’est pas d'accord pour une déclaration. »
À noter que ce sondage a été lancé un peu avant le confinement (Covid-19) au court duquel les violences intrafamiliales ont explosé.
L’éthique médicale en France : résultats de l’enquête Medscape
S’ils étaient témoins d'un acte de harcèlement moral ou sexuel de la part d'un collègue à l'encontre d'un autre clinicien, 70% des répondants effectueraient officiellement un signalement. Presque à l’unanimité, ils indiquent qu’ils parleraient avec l’agresseur et/ou la victime avant d’avertir une autorité.
Pour un quart des médecins, il est difficile d’intervenir : « J’en suis témoin tous les jours, mais les barrières sont trop imprécises pour générer des signalements… Et cela dépend des relations hiérarchiques », explique un anesthésiste.
Pour cette psychiatre, c’est non : « Ça ne sert à rien, les dirigeants ignorent les faits, ou pire, déplacent le harcèlement sur vous. » Un sentiment d’impunité partagé par beaucoup de médecins en France (voir notre enquête sur le harcèlement sexuel dans le milieu médical).
Le mouvement #MeToo, qui s’est intensifié depuis 2017, ne semble pas avoir permis de changer l’attitude à l’égard du harcèlement sexuel au travail pour 32% des médecins. Certains, et surtout certaines, voient néanmoins des progrès, telle cette oncologue : « Cela a libéré la parole et permis aux femmes d'exprimer haut et clair ce qu'elles ressentaient ». Les hommes (5%) étaient plus nombreux que les femmes (2%) à avoir une opinion négative de #MeToo – « C’est une forme de lynchage médiatique particulièrement détestable… une porte ouverte aux comportements délateurs et fascisants », selon un cardiologue.
L’éthique médicale en France : résultats de l’enquête Medscape
61% des répondants pensent pouvoir être rémunérés comme orateurs par l’industrie pharmaceutique, ou accepter des invitations à dîner d’un de leurs représentants, sans que cela influence leurs habitudes de prescription. Les médecins spécialistes étaient plus nombreux (67%) à être certains de « garder leur liberté éclairée de prescription » que les généralistes (48%). « Je suis le meilleur juge de ma propre indépendance et honnêteté, » déclare un cardiologue.
Mais pour 3 médecins sur 10, il faut être réaliste : « Les labos ne le feraient pas s’ils pensaient qu’ils n’avaient pas d’influence, » fait remarquer un diabétologue. Un radiologue renchérit : « L'industrie ne finance rien sans retombées : c'est de la naïveté (ou de la complaisance coupable) de penser le contraire. » Une étude française publiée récemment dans le BMJ allait dans ce sens…
Beaucoup sont contre les repas offerts par l’industrie : « Never go for the free lunch! » conseille une chirurgienne.
Le problème du coût des congrès médicaux est néanmoins soulevé à plusieurs reprises : « Dommage qu'il n'y ait pas de réflexion sur comment participer à des congrès sans aide [pour les frais d’inscriptions et de déplacement]… Financièrement, c'est compliqué ».
L’éthique médicale en France : résultats de l’enquête Medscape
Pour 2 médecins sur 9, les lois informatiques actuelles sur la santé ne sont pas suffisantes pour assurer la protection des données numériques des patients en France. Pour cet endocrinologue, « dans un CHU, tout le monde peut accéder aux dossiers de tout le monde. Le secret médical… n'est absolument pas respecté et je le déplore ». « La plupart des médecins continuent à envoyer par e-mail des résultats d'examen de leurs patients non anonymisés » témoigne un médecin en recherche clinique. Pour ce médecin du travail, « aucune loi ne protégera les données numériques! ». « Tout se hacke et tout se transforme », ironise un généraliste.
Les hommes étaient cependant plus confiants (28%) en la sécurité des données médicales que les femmes (13%).
Près d’un quart des médecins ont déjà partagé des informations à propos de leurs patients sur des forums de discussion en ligne, des applications de messagerie, ou plus rarement les réseaux sociaux. Sans surprise, cela concernait surtout les médecins de moins de 45 ans (38%, vs 21% > 45 ans). Messageries sécurisées, groupes WhatsApp entre collègues, échanges dans les congrès médicaux... les médecins s’envoient des images dermatologiques, des ECG ou demandent des avis à des confrères. Pratiquement tous ont néanmoins confirmé anonymiser les données transmises.
L’éthique médicale en France : résultats de l’enquête Medscape
Lire plus en détails les témoignages des médecins ayant répondu à la question ultime : « Quel a été le dilemme éthique le plus marquant dans votre carrière ? »
Cette enquête* porte sur 871 médecins pratiquant à temps plein en France (2/7 exercent en Île-de-France). La majorité étaient des hommes (58%), salariés (61%), de plus de 50 ans (70%). La moitié exerce en milieu hospitalier.
Les médecins ont répondu à un sondage en ligne proposé par Medscape entre le 6 janvier et le 8 avril 2020.
*Marge d'erreur à +/- 3,32%, IC de 95%. Données non pondérées, recueillies à partir d'un échantillon aléatoire de membres de Medscape.
L’éthique médicale en France : résultats de l’enquête Medscape
Dans notre échantillon, un peu plus d’un répondant sur cinq était médecin généraliste. Les autres spécialités les plus représentées étaient la médecine d'urgence/réanimation (9%), la psychiatrie (9%), l'anesthésiologie (7%) et la cardiologie (6%).
Dans ce diaporama, « spécialistes » renvoie à « médecins de toute spécialité sauf médecine générale », pour comparer spécifiquement ce groupe aux médecins généralistes.
Commenter