
Enquête : harcèlement sexuel dans le milieu médical en France
Dans cette enquête exclusive réalisée par Medscape sur le harcèlement sexuel dans le milieu professionnel médical, plus de 1000 médecins pratiquant en France ont témoigné de leur expérience. Combien d’entre eux ont été victimes, témoins ou même accusés? Quelles ont été les conséquences professionnelles et personnelles? Résultats et témoignages, en images.
Enquête : harcèlement sexuel dans le milieu médical en France
Nous avons interrogé les professionnels de santé, membres de Medscape, sur leur expérience en lien avec des abus, harcèlement* ou inconduite à caractère sexuel, tels que décrits sur la diapositive ci-dessus. Cette enquête précise le harcèlement de la part de collègues mais également de patients, et analyse les différences entre les hommes et les femmes, ainsi qu’entre les praticiens jeunes et plus âgès. De nombreux commentaires et témoignages ont été recueillis et retranscrits dans ce diaporama.
*Selon la Loi du 6 août 2019, le harcèlement sexuel est « le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle, qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. Est assimilé au harcèlement sexuel le fait, même non répété, d'user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, au profit de l'auteur des faits ou d'un tiers. » En France, il constitue un délit dont le délai de prescription est de 6 ans. Dans le cas de contacts physiques, il peut être caractérisé en agression sexuelle, voire viol, constituant des infractions plus sévèrement punies.
Enquête : harcèlement sexuel dans le milieu médical en France
Environ 1 médecin français sur 12, tout âge et sexe confondus, déclare avoir été victime de harcèlement sexuel la part d’un autre professionnel de santé au cours des 6 dernières années. Lorsqu’interrogés sur leur expérience plus récente, c’est-à-dire au cours des 3 dernières années, leur nombre est moitié moindre (1 médecin sur 24).
Également, 11% des praticiens confient avoir été témoins de comportements inappropriés à caractère sexuel au cours des 6 dernières années.
Seulement 1% des médecins déclarent avoir été accusés de harcèlement sexuel.
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De nombreux médecins victimes de harcèlement se sont exprimés plus en détails sur le sujet, illustrant plus précisément l'impact que cela a pu avoir sur leur pratique et leur carrière. Pour certains, comme cette urgentiste, « ces incidents sont extrêmement fréquents dans nos vies professionnelles ou privées. Largement hebdomadaires. C’est en réalité une véritable ambiance. » Propos confirmés par cette oncologue, pour laquelle il s’agit d’une « situation parfaitement habituelle » vécue « tout au long des études et du parcours professionnel… Nous sommes tellement habituées que nous ne réagissons pratiquement pas. »
Des comportements inappropriés qui, pour cette interne en psychiatrie, sont dans son cas « assez banalisés par l’équipe avec qui le médecin a l’habitude de travailler. » Elle décrit un « sexisme au quotidien, une intolérance à la frustration, et des abus de pouvoirs en lien avec la hiérarchie… »
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Selon une enquête Ifop réalisée en 2014, 20% des femmes actives ont été confrontées à une situation de harcèlement sexuel au cours de leur vie professionnelle.
Dans notre enquête, ce sont 16% des femmes médecins (soit 1 femme sur 6) qui ont été victimes d’un collègue au cours des 6 dernières années de leur carrière, et 7% lors des 3 dernières années. En comparaison, 2% et 1% des hommes ont indiqué avoir subi ce type de comportements, au cours des 6 et des 3 dernières années respectivement.
Parmi les médecins interrogés, 3% des hommes, et aucune femme, ont déclaré avoir été accusés de harcèlement sexuel.
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Pour les deux tiers des médecins, le harcèlement sexuel de la part d’un collègue consistait en des commentaires à connotation sexuelle sur leur physique, et pour la moitié d’entre eux, en des propositions de relations sexuelles.
Près du tiers ont cité des demandes répétées de rendez-vous ou un envahissement délibéré sur leur sphère personnelle.
Une victime sur 20 a reçu des propositions de promotion en échange d’une relation sexuelle ou des menaces en cas de refus.
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Les témoignages décrivent des actes et des propos parfois très violents. Ainsi, une interne au SAMU rapporte des menaces proférées par un infirmier au cours d’une intervention, alors que l’équipe est dans un ascenseur : « On t’emmène à la cave pour te violer, on est en chien, on n’a pas niqué depuis longtemps ».
Une cardiologue témoigne d’une « tentative d’enfermement dans la chambre de garde avec verbalisation explicite de proposition sexuelle », et une néphrologue explique comment un confrère l’a enfermée dans son bureau : « Je l’ai signalé à une collègue et il n’a plus recommencé ».
Cardiologue, pédiatre, généraliste… elles sont plusieurs à décrire des baisers volés, qui rappelons-le constituent légalement une agression sexuelle : « embrassée sur la bouche par surprise avec un commentaire humiliant », « baisers sur la bouche non désirés, dans mon cabinet médical! », « des caresses et un baiser forcé ».
Pour cette psychiatre, il s’agissait de « demandes d’apporter des documents professionnels très tard le soir… avec des allusions répétées à la possibilité de prendre une chambre d’hôtel si on ratait ensemble le dernier train… »
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Une interne décrit le comportement du chirurgien pendant une garde, à 3h du matin, en pleine intervention de replantation de phalanges : « Il fixe les plaques et à chaque fois qu'il visse, me demande quel effet ça me fait quand il fait son mouvement du poignet en laissant échapper un râle sans équivoque… je suis mal à l'aise… il me demande si j'ai un copain, si je suis coincée... l'interne avec nous est gêné et tente de faire distraction, les infirmiers semblent coutumiers du fait et ne réagissent même pas… Plus tard, il me dit ‘ne fais jamais chirurgien’... alors qu'à l'époque c'était mon rêve. C'était mon premier stage d'externat, ma première garde de 24h en chirurgie. »
Une généraliste témoigne des propos sexistes d’un confrère : « On ne te demande pas de penser, tu es une femme… tu as tes hormones qui te travaillent… » et un autre « plus âgé qui me caressait les épaules et m'embrassait sur la joue mais lourdement… et entrait dans mon bureau sans frapper. Il se collait à moi physiquement… Lorsque j'ai tenté de mettre de la distance, il m'a fait comprendre qu'il ne serait pas mon allié, mais contre moi. »
Pour d’autres, comme cette psychiatre, ce sont de multiples « propositions de rendez-vous sur messagerie personnelle pendant 3 mois » jusqu’au signalement à la médecine du travail.
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Les médecins de moins de 45 ans sont 3 fois plus nombreux à avoir été victimes de harcèlement sexuel de la part de collègues que les médecins plus âgés (14% contre 5%) au cours des 6 dernières années. Durant cette même période, 25% des internes en médecine ont été témoins de comportements inappropriés et 15% en ont directement souffert.
Globalement, ces résultats suggèrent que plus les individus sont jeunes, plus ils seraient à risque de subir des abus à caractères sexuels. Ainsi, un quart (25%) des externes seraient concernés selon des données récentes.
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Notre sondage portait sur les expériences de harcèlement sexuel au cours des 6 et 3 dernières années. Beaucoup de témoignages indiquent que c’est surtout en début de pratique ou en cours de stage que le risque d’être victime est le plus grand.
Une gériatre confirme : « Mon expérience de harcèlement sexuel a eu lieu pendant mes études et mon harceleur était mon maître de stage. Les étudiant(e)s en médecine ne sont pas protégé(e)s lorsqu’ils sont seul(e)s en maîtrise de stage en ambulatoire et n’ont pas de référents auprès de la faculté. De plus, le maître de stage est votre supérieur hiérarchique et le seul à pouvoir valider votre stage, indispensable à valider vos études. »
Une psychiatre rajoute : « C’est au cours de mes études de médecine que j'ai été le plus victime et témoin de comportements inadaptés de la part d'autres médecins. »
Une pédiatre remarque une évolution avec le statut hiérarchique : « Depuis que je suis en position décideur, le harcèlement est moins un problème. En revanche, en tant qu’étudiante, c’était un réel souci. »
Pour une autre : « Personnellement, j'ai la paix, autant de la part des collègues que des patients... depuis que j'ai atteint l'âge d'environ 55 ans! ».
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Peu de lieux échappent au harcèlement sexuel. Plus d’un quart des actes se sont déroulés dans un couloir, une salle d’examen, une unité de soins ou un bureau. Viennent ensuite les urgences, la cafétéria et même le bloc opératoire. Le contexte professionnel ne se réduit pas à l’hôpital ou au cabinet : pour 1 médecin sur 12, l’incident a en effet eu lieu en dehors d’un site professionnel.
Une psychiatre témoigne ainsi de harcèlement sexuel ayant eu lieu lors d’un « déplacement professionnel sur une route très isolée ».Enquête : harcèlement sexuel dans le milieu médical en France
Le plus souvent, le harcèlement en milieu médical n’est pas un évènement singulier commis par un seul assaillant. Les trois quarts des victimes ont déclaré avoir été harcelées par plus d’un collègue ; près de la moitié indique 2 ou 3 agresseurs. Dans les trois quarts des cas (76%), l’auteur était un homme.
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Dans la grande majorité des cas, l’auteur de l’inconduite sexuelle est lui-même un autre médecin (61%), dans une moindre mesure un infirmier (11%). Le plus souvent, il occupe une position hiérarchique supérieure à celle de la victime.
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Si plus de la moitié des victimes ont confronté leur offenseur, la grande majorité ne l’a pas dénoncé. Lorsqu’elles ont rapporté l’incident, elles se sont confiées à un collègue ou à un représentant des ressources humaines. Bien que le harcèlement sexuel constitue un délit, seul 5% des victimes ont au recours à des services de police.
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Pourquoi n’ont-ils/elles pas dénoncé? Tout d’abord en raison d’un sentiment d’impunité qui protègerait les harceleurs. Ainsi cette psychiatre explique que son agresseur « avait été condamné pour harcèlement sur des internes et restait numéro 2 du CHU dans sa discipline donc co-responsable de l’ensemble de la validation des stages et thèses…. J’ai arrêté la médecine et déménagé pendant 4 ans. »
Une urgentiste : « C’est un médecin âgé, syndicaliste, militant, travaillant depuis plus de 30 ans dans l’établissement, connu pour être tactile. J’ai fini par évoquer le problème en off avec la directrice des affaires médicales… mais si elle fait quelque chose, je vais avoir des problèmes. »
Les victimes estiment qu’elles ne seront pas écoutées : « Si ce n'est pas trop grave, et étant donné le manque de crédibilité donné à la parole des femmes dans notre société, il vaut mieux rester discrète », conseille une psychiatre.
« Parce que tout le monde trouve ça drôle et normal. C’est triste », constate également une urgentiste.
Une généraliste, qui a démissionné suite au harcèlement qu’elle a subi, témoigne de la difficulté à dénoncer : « C'est tellement dur à prouver. On est tellement seule. »
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Dans la plupart des cas, les victimes avaient, avant l’incident, une opinion plutôt neutre ou positive vis-à-vis de l’auteur du harcèlement. Les trois quarts d’entre elles ont dû continuer à interagir avec leur harceleur en raison de leurs responsabilités professionnelles.
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Pour la majorité des victimes, le harcèlement a eu un impact psychologique certain. Seule une personne sur 8 indique ne pas avoir été atteinte par l’incident.
Un médecin sur 3 a le sentiment que l'expérience a eu des répercussions sur ses capacités à effectuer son travail.
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À la suite de l’incident, 20% des victimes ont envisagé de démissionner, 8% l’on fait. Plus d’un tiers ont indiqué avoir eu de la difficulté à se concentrer, et pour un quart d’entre elles, l’incident a eu un impact négatif sur l’attention qu’elles portent à leurs patients, les conduisant, pour certaines (5%), à commettre des erreurs médicales.
Une gériatre a notamment expliqué comment il lui était devenu impossible de travailler avec la personne mise en cause : « J'ai dû partir en quelques mois, sans avoir le temps de préparer ou mûrir mon orientation professionnelle. »
Pour cette psychiatre, qui a vécu des situations de harcèlement sexuel, « notre capacité à travailler peut être durablement remise en question. »
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Le harcèlement sexuel par un collègue a conduit près de 40% des victimes à adopter des mauvaises habitudes de vie : un quart d’entre elles se sont isolées, d’autres ont indiqué avoir augmenté leur consommation d’alcool, de tabac ou de médicaments sur ordonnance, ou manger de façon compulsive.
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Plus des trois quarts des soignants interrogés reconnaissent que le harcèlement sexuel a une incidence négative sur la qualité des soins prodigués aux patients. Ils font peu confiance aux responsables chargés de mener les enquêtes sur leur lieu de travail et considèrent que les agresseurs ont d’autant plus de chance de ne pas avoir à répondre de leurs actes qu’ils ont un statut économique ou hiérarchique supérieur.
Plus d'un médecin sur 10 pensent que le harcèlement sexuel est tacitement accepté dans leur milieu professionnel. Ce sentiment est deux fois plus prononcé parmi les internes (1/5).
Presque la totalité (97%) des répondants indiquent qu’il n’y a pas de formation obligatoire sur le harcèlement sur leur lieu de travail et seulement 11% ont une bonne connaissance de la procédure de dépôt de plainte.
Enquête : harcèlement sexuel dans le milieu médical en France
Le milieu médical est-il un monde à part où la pression est telle que les comportements à caractère sexuel peuvent être tolérés? Les harceleurs ont-ils conscience de leurs actes? À l’heure de #metoo et d’une société encore en pleine évolution, les praticiens ont parfois du mal à s’y retrouver.
Cette interne aux urgences estime que « l’agresseur… malheureusement, souvent, n’a pas conscience d’être un agresseur ». Une généraliste confirme que les commentaires à « caractère sexuel dégradant pour la femme » sont considérés comme une « attitude normale » par « plusieurs confrères » car ceux-ci sont « nostalgiques d'une époque des carabins... ». Peut-être inconscient de la gravité de ses actes, l'auteur des commentaires dont elle a été victime « s'est d’ailleurs dénoncé tout seul, fier de l'avoir fait en ligne et diffusé à tous les confrères du département. »
Pour cette gynécologue « la grivoiserie n’est pas du harcèlement, il faut savoir le différencier et ne pas franchir les limites dans un sens et dans l’autre. » Une opinion partagée par plusieurs hommes, tel ce cardiologue qui demande: « Entre drague et harcèlement, où est la limite? On tombe dans n’importe quoi! »
« Est-ce du harcèlement ou des situations de séduction? Le fait que ce soit dans le cadre professionnel change-t-il les choses? » questionne ce chirurgien.
Pour ce gynécologue : « Les hommes ont toujours désiré les femmes [et vice versa]. La vie est ainsi faite, et la société (ou la sociologie, ou la sociétalité si on veut être à la mode) n'y changera rien: le gène est égoïste! À nous, médecins, de savoir créer une barrière entre notre statut, notre exercice quotidien, notre manière d'être avec nos collaborateurs, et notre vie privée. » Il ajoute: « Et n'oublions pas qu'on peut toujours dire à une femme qu'elle est belle sans pour autant chercher à la toucher ou à coucher avec elle! »
Ce chirurgien orthopédique quant à lui s’inquiète d’une américanisation de la société française : « dénoncez bien sûr, mais il ne faudrait pas que cela devienne comme aux USA ou on ne peut plus faire la moindre blague. Il y a en France, sans que cela pose problème, une légère tendance à la gauloiserie. Ce n'est, dans l'immense majorité des cas, jamais un problème. »
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Dans cette enquête, parmi les rares médecins qui ont été accusés de harcèlement sexuel, plusieurs dénoncent des « propos diffamatoires » et ne comprennent pas la gravité des commentaires à caractère sexuel dans le contexte professionnel. Un urgentiste parle de « compliment mal interprété » et cet anesthésiste précise: « J'ai demandé si l'étudiante avait été Miss dans sa région… ». Un interne en neurologie indique avoir été accusé après avoir fait un « commentaire positif sur une tenue ».
Pour ce gastro-entérologue, « c'est n'importe quoi. Il ne faut pas tomber dans le délire des rapports politiquement corrects... on ne peut rien faire... la vie, ce n'est pas un film... c'est dur et c'est comme cela qu'on se forge le caractère... Elle a dit que je l'ai draguée lourdement... En plus devant 2 autres infirmières qui ont confirmé qu'elle avait tout inventé... ».
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Qu’en est-il du harcèlement par les patients ?
Les médecins sont 6 fois plus fréquemment harcelés par un patient que par un collègue. En effet, un quart d’entre eux témoignent d’un comportement inapproprié de la part de patients, tel qu’une demande de rendez-vous (42%), des tentatives d’attouchement (25%) ou une demande de rapport sexuel (8%).
Les généralistes sont les plus souvent harcelés par des patients (32%). Viennent ensuite les médecins du travail (28%), les psychiatres (27%), les cardiologues (24%), les oncologues (23%), les urgentistes (21%), les gynécologues (15%), les anesthésistes (13%) et les pédiatres (7%).
Les internes sont encore plus fréquemment victimes : 65% d’entre eux déclarent avoir été sollicités pour un rendez-vous galant, contre 42% des médecins.
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Le harcèlement infligé par un patient diffère selon le sexe du praticien.
Les femmes médecins se voient ainsi davantage victimes d’attouchements ou sollicitées pour accepter un rendez-vous galant, alors que les hommes rapportent plus souvent des comportements manifestement sexuels de la part de patient(e)s, des emails, lettres ou photos à caractère sexuel, ainsi que des propositions de relations sexuelles.
7% des hommes médecins (et 0% des femmes) indiquent avoir été accusés d’avoir fait des avances à leur patient.
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Le harcèlement de la part de patients touche les femmes, mais également les hommes médecins. Un chirurgien en gynécologie rapporte : « [La patiente me] dit: ‘Je suis très libre. Mon mari est souvent absent… ‘ Une autre: ‘Je n'ai pas de plaisir avec mon mari, avec vous je pense que ça serait mieux’ ».
Un praticien indique quant à lui « des SMS anonymes avec des promesses de relation sexuelle ou des invitations à déjeuner de la part d’une patiente. »
Un anesthésiste explique avoir reçu des « mails pour des rendez-vous extra-professionnels ». Il ajoute : « des demandes de me faire des baisers dans le cou – j’ai fini par en céder un, pour tenter d’y mettre un terme. C’est toujours honorable de plaire, mais il y avait de l’insistance et j’étais mal à l’aise. »
Une généraliste indique : « J’ai juste un patient qui m’a demandée en mariage. »
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Selon le comportement du patient harceleur, les médecins se sont assurés de lui faire comprendre leur refus, de ne plus être seuls avec lui ou de l’exclure de leur patientèle.
Plus rarement, mais tout de même dans 3% des cas, le soignant a accepté les avances de son patient...
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Des infirmier(es) et sages-femmes ont également accepté de répondre à notre questionnaire. Au cours des 6 dernières années, un quart ont été témoins d’une forme de harcèlement sexuel de la part d’un autre professionnel de santé sur leur lieu de travail, et 9% l’ont directement subi. Elles étaient 10 fois plus fréquemment victimes d’un patient que d’un collègue.
Elles étaient également deux fois moins nombreuses à être informées des procédures de dépôt de plainte sur leur lieu de travail.
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Les infirmières, très exposées au harcèlement sexuel, témoignent :
Infirmière en pédiatrie : « Le chef de service s’amusait à coincer les infirmières contre les murs pendant la visite. Je lui ai fait manger un montant de porte en me poussant au dernier moment devant tout le monde…. Un collègue aide-soignant m’a harcelée et m’attendait dans le parking à chaque fin de service. Comme je l’ai repoussé, il a décidé de ne plus faire ce que je lui demandais pendant le travail. J’en ai parlé à la cadre qui n’a rien fait. Ce sont mes collègues qui m’ont aidée. »
Infirmière polyvalente : « Les remarques sur le physique sont monnaie courante en service... Un chirurgien s’est un jour permis de faire une remarque sur ma culotte… qu’on ne voyait même pas. Il s’est par la suite excusé. »
Maïeuticien : « Une patiente m'avait fait des avances par écrit après avoir glissé un mot dans la poche de ma veste… puis un mot assez menaçant sur ma voiture réclamant que je la recontacte. J'ai pu trouver, auprès de ma direction, le soutien nécessaire. Je l'avais contactée par téléphone en mettant le haut-parleur, en présence de mon directeur et d'un autre membre du personnel. »
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Avec les patients, les médecins conseillent de garder la distance. Cette urgentiste raconte : « Lorsqu’on m’a demandé si c’était Mademoiselle ou Madame, j’ai répondu : ‘C’est docteur’. »
Alors qu’un anesthésiste en appelle à la « tolérance ZERO » et à un « comportement SANS ambiguïté », un autre assure : « Si le harcèlement paraît compliqué du fait que je suis un homme, mon caractère et mon comportement très professionnels ne laissent place à aucune ambiguïté. »
« En tant que médecin homme, je ne peux imaginer un instant avoir un comportement ambigu à l’encontre d’une patiente. J’estime qu’il s’agirait d’un inceste. La ligne jaune ne doit pas être franchie, » estime ce généraliste.
Certains médecins conseillent de privilégier la présence « d'une tierce personne lors d'examens physiques. »
Face au risque d’accusations de harcèlement cette fois-ci, ils recommandent la « vigilance : car c'est ensuite la parole de l'un contre celle de l'autre. » Ainsi, ce généraliste évite de pratiquer certains examens cliniques/physiques par peur d’être accusé injustement de harcèlement sexuel, même sachant que l’examen serait indispensable : « Je demande de faire par exemple une mammographie ou échographie pelvienne, afin d’éviter l’examen physique. » Tout comme cet urgentiste : « En tant que médecin homme, pour tout examen clinique pouvant comporter un déshabillage important, il faut soit les parents présents, soit se faire accompagner d'un membre du personnel afin de pouvoir prévenir les difficultés. »
Pour ce généraliste, serait en cause « la féminisation de la médecine qui a entraîné des relations plus délicates entre le médecin et le patient ». Il évoque, en guise d’explication, « le toucher rectal pratiqué par une femme médecin... ».
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Quels conseils prodiguer à ses collègues victimes de harcèlement sexuel de la part d’un confrère?
Coup de gueule d’une interne : il faut « arrêter de tolérer parce que [soit disant] c'est l'esprit carabin à l'hôpital ou que c'est comme ça depuis toujours. On ne dénonce pas des collègues médecins? Merde à tout ça! Tant pis pour la réputation, tant pis pour la promotion, ouvrons-la parce qu’il y en a marre de tolérer les remarques déplacées qui sont quotidiennes dans certains services hospitaliers. Non, ce n'est pas drôle, ce n'est pas de la liberté d'expression, ce n'est pas anodin ».
La majorité des répondants conseille donc de « libérer la parole », « parler », « dénoncer »… Tout en reconnaissant la difficulté de témoigner ou porter plainte. C’est un « sujet tabou, difficile à aborder, il faut beaucoup de courage pour dénoncer, je soutiens ces personnes très courageuses. Probablement encore plus difficile à dénoncer aujourd'hui en milieu sanitaire que dans l'église, » admet un praticien.
Pour cette psychiatre, « c'est à nous toutes de parler de ce problème et de faire évoluer les mentalités. » Un autre: « Ces actes sont pénalement répréhensibles. Les victimes d’agressions sexuelles doivent porter plainte. Ces comportements ne sont pas plus acceptables dans le milieu médical qu’ailleurs. »
Pour ce médecin, il faut « en parler à une personne de confiance… Garder des preuves si elles existent (mails, textos) pour si un jour on veut aller plus loin et informer la hiérarchie, voire porter plainte. »
Mais, pragmatique, cette généraliste fait remarquer qu’on peut « en parler seulement s’il existe un espace d'écoute. Les médecins ne voient jamais de médecins du travail à l'hôpital, ni de psychologues du travail. Il semble tacitement admis que nous n'en n'avons pas besoin… »
Alors que les témoignages, ouvrages et enquêtes sur le harcèlement et les violences sexuelles dans le milieu médical se multiplient, mettant en évidence des chiffres édifiants, le Conseil de l’Ordre des Médecins a récemment réitéré trois principes : la transparence (accompagnement des victimes, obligation pour les conseils départementaux d’entamer les procédures de plainte), la prévention (formation sur le harcèlement dans le cursus universitaire et professionnel) et juger (encourager les chambres disciplinaires à juger les médecins fautifs).
Des fiches pratiques sur le harcèlement sexuel au travail sont également disponibles sur le site officiel de l’administration française.
Enquête : harcèlement sexuel dans le milieu médical en France
1007 médecins exerçant à temps plein en France et membres de Medscape ont participé à ce sondage* en ligne entre le 7 juin et le 13 août 2019.
Un peu plus de la moitié étaient des hommes (55%), salariés (70%) et travaillant à l’hôpital (63%). Ont également répondu 88 internes/étudiants en médecine et 76 infirmières/sages femmes.
*Marge d'erreur de +/- 3,09%, IC de 95%. Données non pondérées, recueillies à partir d'un échantillon aléatoire de membres de Medscape.
La marge d'erreur pour les infirmières de +/- 11,24% et pour les médecins victimes de harcèlement sexuel par leurs collègues de +/- 15,90%.
Enquête : harcèlement sexuel dans le milieu médical en France
Dans notre échantillon, environ un répondant sur sept était médecin généraliste. Les autres spécialités les plus représentées étaient la médecine d'urgence et la psychiatrie (10%), l’anesthésiologie (7%), et la cardiologie (6%).
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